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Les paysages du finage de l’île de Diamniadio (Sénégal)

La thèse dont est issu ce travail sur l'Île de Diamniadio propose une analyse de la dynamique des paysages sur le littoral de l’Afrique de l’Ouest: cartographie par analyse d’images de télédétection (Andrieu, Mering, 2009); description des paysages par relevés botaniques et physionomiques (Andrieu, Alexandre, 2008); explication par confrontation des dynamiques de la végétation et des évolutions des pratiques agro-sylvo-pastorales (Andrieu et al., à paraître).

La figure proposée ici est extraite du dernier chapitre de la thèse. Après avoir étudié la cinématique des paysages aux échelles régionales, cinq études de terroirs villageois permettent d’expliquer les structures paysagères par l’organisation des finages, puis de mettre en relation les dynamiques paysagères et les évolutions des pratiques paysannes.

Cartographie des paysages à l’échelle du finage et représentation graphique du paysage végétal

L’analyse des paysages à l’échelle d’un village s’appuie sur l’idée qu’un exemple villageois constitue un cas de figure représentatif d’une région, ici l’île de Diamniadio.

Première étape: carte de la structure des paysages

Une carte du finage est réalisée à partir de l’interprétation d’une image satellite à très haute définition. L’interprétation est guidée par les résultats d’une enquête. Les villageois ont été questionnés sur leurs activités et leur évolution dans les 30 dernières années, par des entretiens semi-directifs (chef du village) ou non-directifs (gardiens de la mémoire). Les acteurs ont été suivis dans le cadre d’enquêtes participatives (pêche au filet, récolte des huîtres, bûcheronnage, gestion du troupeau). Les usages et les pratiques susceptibles de transformer la végétation ont été recensés et datés, pour confirmer les interprétations de l’analyse de la végétation. L’enquête cerne les processus économiques et sociaux, permet de connaître les perceptions des paysages et de leurs dynamiques et devient ainsi un outil pour la prospective des usages et des paysages.

Deuxième étape: constitution de coupes de végétation

L’aspect des différents paysages végétaux est considéré comme le reflet des caractéristiques physiques et des activités agro-sylvo-pastorales. On cherche en particulier à identifier des indices de changement dans les paysages (souches, marques d’incendies, traces d’anciennes prati­ques agricoles), ce qui permet une description quantifiée du paysage puis la préparation de coupes de végétation représentatives. Ces coupes botaniques traversent, par choix, les secteurs où des modifications ont été notées. Les individus végétaux sont relevés à la verticale de la ligne. On note pour chacun d’eux l’espèce, la hauteur, le recouvrement, la taille du tronc à 25 cm du sol. Les marques de dépérissement, de surpâturage, de coupe ou de brûlis sont aussi relevées. Les informations collectées sont mises en relation avec le résultat des enquêtes pour une reconstitution rétro-prospective de l’évolution du paysage.

Les paysages de Diamniadio

La carte montre que les vasières entourant l’île connaissent un faible boisement (mangrove basse et ouverte). Sur la terre ferme, l’île présente, dans une matrice de sols nus et salés («pseudo-tannes») où seuls quelques arbustes se développent, un petit nombre de taches: une tache de rizières en pleine activité, quelques taches de rizières partiellement en friche et une tache de savane arbustive. Ces différents éléments sont structurés par les différences pédologiques liées à la microtopographie (Pélissier, 1966).

La coupe de végétation de mangrove (coupe 1), effectuée dans le sud de l’île de Diamniadio, à un kilomètre au sud-ouest du village, montre que le rideau de palétuviers vivants n’occupe que quelques mètres. Le rideau présente, en 2004, une épaisseur de 1 à 3 arbres et de 1 à 5 arbustes. Ce rideau s’accompagne de 2 à 5 arbustes de 1,5 à 0,5 m de haut, morts sur pied, puis d’une bande de 5 à 10 mètres de jeunes individus également morts. La végétation comportait déjà, il y a quinze ans, une lisière d’arbustes jeunes et peu développés, témoignant de l’importance des contraintes hydriques (Guiral et al., 1999; Sow et al., 1994). Ces arbustes sont aujourd’hui morts ou mal en point. L’absence de feuilles sur le branchage encore présent montre qu’il s’agit d’un dépérissement. Certains arbustes ont cependant quelques feuilles avec des traces d’abroutissement: le dépérissement s’accompagne donc d’un surpâturage. On ne note aucune trace de coupes du bois.

Les sites identifiés ailleurs comme des boisements et des rizières boisées sont  en fait d’anciennes rizières, comme en témoignent les digues qui se devinent  sur la coupe 2. Ils sont, aujourd’hui, avant tout, utilisés comme lieux de pâturage extensif. La coupe illustre la composition botanique et la physionomie de ces jeunes boisements. À gauche, la limite entre le tanne (1) et la terre ferme correspond à une végétation de zone salée ancienne. L’espèce dominante dans le paysage et dans le peuplement adulte est Tamarix senegalensis. Cette espèce non abroutie est résistante au sel jusqu’à un certain point; elle connaît ici une faible croissance et un faible taux de renouvellement. De jeunes Faidherbia albida se développent là depuis quelque temps, ce qui montre que cette espèce supporte également les sols salés. Les parties plus hautes sont occupées de Faidherbia albida plus âgés, en fonction probablement d’un effet de lisière progressive du centre de l’île vers sa périphérie. Plus loin, les digues sont encore visibles, ce qui témoigne de l’occupation du sol jusqu’à un passé récent. Les arbres adultes se situent aux marges de cet espace d’anciennes rizières, ou sur des digues. La rizière la plus à gauche (A) est occupée par des Faidherbia albida assez hauts et larges qui datent, pour certains, de plus de quinze ans. Celle du milieu(B), bien que non cultivée lors de la dernière saison agricole, n’est pas encore colonisée. La rizière (C) est occupée par de jeunes Faidherbia albida de deux à trois ans, ce qui montre qu’elle a été abandonnée il y a quatre ou cinq ans. À droite sur la coupe (D), on retrouve un espace boisé occupé par des arbres adultes, d’espèces variées; de jeunes Faidherbia albida densifient donc progressivement la végétation. Tous les Boscia senegalensis de la coupe sont surpâturés.

Le finage de Diamniadio apparaît donc comme en crise d’un point de vue agricole (abandon des rizières et enfrichement) et en rééquilibrage en ce qui concerne la ressource en bois (dépérissement de la mangrove et enfrichement de la terre ferme). L’examen plus complet des évolutions du finage grâce aux enquêtes nous apprend que ces changements s’insèrent dans le cadre d’une transformation plus complète du finage où, à la fin des années 1980, les techniques de pêche évoluent et où le troupeau fait apparition dans l’île.

Julien Andrieu

Bibliographie

ANDRIEU J., MERING C. (2009). «Cartographie par télédétection des changements de la couverture végétale sur la bande littorale ouest-africaine, l’exemple des Rivières du Sud: du Delta du Saloum (Sénégal) au Rio Geba (Guinée-Bissau)». Télédétection, vol. 8. ISSN: 1028-7736.

ANDRIEU J., ALEXANDRE F., MERING C. (à paraître). «De la dynamique de la végétation à la dynamique des paysages, Analyse rétro-prospective de la végétation ouest-Africaine en relation avec les transformations du milieu et des pratiques. L’exemple de l’île de Diamniadio (Delta du Saloum, Sénégal)». Actes du colloque de Chilhac du RTP Paysages et environnement, de la reconstitution du passé aux analyses prospectives.

ANDRIEU J., ALEXANDRE F. (2008). «Dynamiques des paysages forestiers sur la frange littorale de l’Afrique de l’Ouest (Sénégal, Gambie et Guinée-Bissau)». Actes du colloque Des milieux aux territoires forestiers: itinéraires biogéographiques. Lille, 15-18 octobre 2008.

GUIRAL D., ALBARET J.-J., BARAN E., BERTRAND F., DEBENEY J.-P., DIOUF P.-S., GUILLOU J.-J., LE LŒUFF P., MONTOROI J.-P., SOW M. (1999). «Les écosystèmes à mangrove». In CORMIER-SALEM M.-Ch. Rivières du Sud: sociétés et mangroves ouest-africaines. Paris: IRD Éditions, p. 63-130. ISBN: 2-7099-1425-5

SOW M., DIALLO A., DIALLO N., DIXON C.A., GUISSE A. (1994). «Formations végétales et sols dans les mangroves des Rivières du Sud». In CORMIER-SALEM M.-C., Dynamique et usages de la mangrove dans les pays des rivières du Sud (du Sénégal à la Sierra Leone). Paris: ORSTOM (Colloques et Séminaires), p. 51-59. ISBN: 2-7099-1236-8

PÉLISSIER P. (1966). Les Paysans du Sénégal: les civilisations agraires du Cayor à la Casamance. St Yrieix: Fabrèque. 297 p.

Référence de la thèse

ANDRIEU Julien (2008). Dynamique des paysages dans les régions septentrionales des Rivières-du-Sud (Sénégal, Gambie, Guinée-Bissau). Paris: Université Paris Diderot-Paris 7, thèse de doctorat de géographie, 519 p.

Note

1. Partie d’un marais maritime la moins fréquemment submergée et aux sols généralement sursalés, nus ou peu végétalisés, se développant aux dépens d’une mangrove.