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Éléments de spatialisation du risque «crues rapides» dans le nord du Bassin Parisien (France)

Les «crues rapides» qui apparaissent en périodes printanière et estivale (entre mai et août) dans les régions du Nord du Bassin Parisien constituent la forme la plus dangereuse mais également, de manière paradoxale, la moins étudiée des inondations rencontrées dans de tels espaces. Ces crues présentent l’originalité de se manifester dans des bassins versants habituellement dépourvus d’écoulement permanent, ce que l’on appelle des «vallons secs». Suite à des pluies de forte intensité, le plus souvent associées à des épisodes orageux, les ruissellements diffus donnent très rapidement naissance à une véritable onde de crue qui va dévaler les talwegs de ces «vallons secs». Lorsque les exutoires sont urbanisés, les dégâts sont systématiquement importants, comme nous le rappelle les récents événements du 26 mai 2009 (inondations à Bourguignon-sous-Coucy, dans l’Aisne, par exemple). Réalisé entre 1983 et 2005, un inventaire proposé à partir des déclarations de «catastrophes naturelles» avait permis d’identifier 269 événements sur huit départements (Douvinet, 2006), montrant à quel point ce risque est fréquent lorsqu’on se place à une échelle régionale. Néanmoins, à l’échelle locale, il est encore très difficile de prévoir ces aléas car ils apparaissent rarement aux mêmes endroits (Delahaye, 2002).

À le lecture de ces observations, il est urgent de proposer des stratégies afin d’améliorer la prévention face à ce type de phénomènes, d’autant plus que ces catastrophes hydrologiques sont à la source d’un risque torrentiel élevé et inconnu aux exutoires urbanisés de nombreux bassins. Des inondations répétées dans le temps et dans l’espace amènent souvent à la prévention d’un événement du même type et, par conséquent, à la cartographie de ce risque dans la perspective de la protection des biens et/ou des personnes (Veyret-Mekdjian, 2001; Vinet, 2003; Moriniaux, 2004). La spatialisation de l’aléa, des zones inondées ou de celles potentiellement vulnérables, est par ailleurs devenue une nécessité dans tous les documents réglementaires (Garry, 1995; Bocco et al., 2001; Le Bourhis, 2007).

Afin d’apporter des solutions aux gestionnaires du risque, différentes cartes de sensibilité ont été réalisées (Douvinet, 2008). Les deux cartographies que nous avons choisi de commenter ici sont le résultat d’une spatialisation des zones à risque à une échelle régionale, définies en confrontant la localisation des bassins versants potentiellement sensibles à l’aléa d’un point de vue morphométrique à la distribution spatiale des foyers de population.

Dans un premier temps, nous avons cartographié tous les exutoires des bassins versants qui ont des caractéristiques morphométriques communes aux 189 bassins touchés (1983-2005). On s’est plus spécifiquement intéressé à un type majoritaire regroupant 94% de l’échantillon initial. Ce sont des petits vallons (< 25 km2;) situés en aval de plus grands bassins (> 50 km2;). Ils sont caractérisés par un saut d’ordre dans la classification de Strahler, avec des bassins d’ordre 1 à 2 qui se raccordent à des bassins aux ordres 5 voire plus. Ces vallons ont aussi des profils en long «tendus», avec un encaissement relativement marqué.

Au final, 2 540 exutoires de vallons sont localisés (fig. 1). La carte confirme la sensibilité de certains secteurs géographiques (Pays de Caux, Haut-Pays d’Artois, Soissonnais) déjà identifiés auparavant (Douvinet, 2006), mais elle met aussi à jour la prédisposition d’autres secteurs tels que le Pays d’Auge ou la Thiérarche. Cette cartographie régionale montre une concentration des vallons sensibles à l’aléa le long des principales vallées humides et le long des plateaux à corniche (Soissonnais). La densité des exutoires augmente fortement lorsque l’encaissement devient marqué dans le paysage, tandis qu’elle diminue dans les vallées qui se raccordent avec les niveaux de base de manière plus régulière (bassin de la Somme).

1. Cartographie des exutoires de vallons sensibles d’un point de vue morphométrique et mise en évidence de leur degré d’urbanisation (seuil-test fixé à 20 maisons)

En fixant un seuil arbitraire à 20 maisons, on peut qualifier le degré d’urbanisation de ces exutoires et ainsi évaluer le niveau de risque dans ces espaces. Sur les 2 540 exutoires, 902 sont «densément urbanisés», ce qui représente 35% de l’échantillon. Le risque est élevé dans les parties aval de certaines vallées comme la Durdent, la Scie ou l’Arques (fig. 1). Le manque de place, l’inconstructibilité des secteurs inondables dans les basses vallées, le maintien des terres agricoles sur les plateaux, ou la présence de forêts domaniales, peuvent en partie expliquer la forte pression foncière qui s’exerce sur les espaces environnants, en particulier dans les talwegs des «vallons secs» (Angeliaume, 1996; Meyer, 2001; Auzet et al., 2005). D’autres vallées présentent un nombre élevé de vallons sujets à l’aléa mais elles sont peu urbanisées (Pays d’Auge). L’exposition au risque est alors faible dans ces espaces.

À la lecture de ces résultats, une cartographie du niveau de risque final a ensuite été définie (fig. 2) en spatialisent la densité de vallons potentiellement sujets à des «crues rapides», figurée par des aplats de couleur, couplée à la densité de vallons «densément urbanisés», représentée par la méthode des isolignes. Le calcul des densités tient compte de la distance euclidienne et non de l’alignement des vallons au sein des vallées. Une forte sensibilité à l’aléa donne un risque élevé si les espaces urbanisés sont importants, mais seulement un risque faible si l’habitat est peu présent. On peut décomposer ce niveau de risque final en quatre catégories: risque très faible (Baie de la Somme, Santerre, Plateau Picard, Lieuvin);  risque faible: forte sensibilité à l’aléa mais faible exposition des zones bâties (Pays d’Auge, Soissonnais); risque moyen: faible sensibilité à l’aléa mais degré d’exposition élevé (Vexin normand, Noyonnais); risque élevé: aléa important associé à une très forte exposition.

2. Définition d’un niveau de risque final en croisant la densité de vallons sujets à l’aléa et la densité des vallons urbainsés; mise à jour des 4 secteurs potentiellement vulnérable

Quatre secteurs apparaissent comme particulièrement sensibles: Dieppe, Montreuil-Hesdin, Lillebonne et Sissonne. Étant donné la forte proximité spatiale entre les bassins à risque, on comprend mieux pourquoi plusieurs crues ont déjà été recensées dans ces régions lors d’un même épisode pluvieux. Dès lors, ce sont dans ces espaces que les politiques de prévention et d’information auprès des populations locales doivent être accès en priorité (fig. 2).

Parmi les 902 exutoires urbanisés, on retrouve 146 bassins touchés au cours de la période 1983-2005, soit 16% de l’échantillon. Le seuil fixé à 20 bâtiments était un premier «seuil-test»; à moyen terme, il serait intéressant de faire varier ce seuil pour suivre l’évolution du ratio entre le nombre de vallons urbanisés et le nombre de bassins touchés. Les exutoires des autres bassins (13%) sont plus faiblement urbanisés (moins de 20 maisons). La plupart des dommages ont été observés au sein de ces bassins, une approche complémentaire doit alors être menée: réaliser un diagnostic aux échelles fines (Douvinet et al., 2008).

Johnny Douvinet

Bibliographie

ANGELIAUME A. (1996). Ruissellement, érosion et qualité des eaux en terre de grande culture; étude comparée de deux bassins versants du Laonnois et du Soisonnais. Lille: Université de Lille, thèse de géographie, 2 vol., 448 p.

AUZET A.-V., HEITZ C., ARMAND R., GUYONNET J., MOQUET J.-S. (2005). Les «coulées de boue» dans le Bas-Rhin: analyse à partir des dossiers de demande de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle. Rapport de l’Institut de Mécanique des Fluides et des Solides, 29 p.

BOCCO G., MENDOZA M., VELASQUEZ A. (2001). «Remote sensing and GIS-based regional geomorphological mapping: a tool for land use planning in developing countries». Geomorphology, n° 39 (3-4), p. 211-219.

DELAHAYE D. (2002). Apport de l’analyse spatiale en géomorphologie — modélisation et approche multiscalaire des risques. Rouen: Université de Rouen, Laboratoire MTG, mémoire d’habilitation à diriger des recherches, 2 tomes, 250 p.

DOUVINET J. (2006). Intérêts et limites des données «CatNat» pour un inventaire des inondations. L’exemple des «crues rapides» liées à de violents orages (Bassin Parisien, Nord de la France). Norois, n° 201, 2006/4, p. 17-30.

DOUVINET J., DELAHAYE D., LANGLOIS P. (2008). «Modélisation de la dynamique spatiale potentielle d’un bassin versant et mesure de son efficacité structurelle». Cybergéo, n° 412.

GARRY G. (1995). «Auch, Nîmes, Vaison-la-Romaine: retours d'expériences». Bulletin de l’Association des Géographes Français, p. 131-145

LE BOURHIS J.-Ph. (2007). «Du savoir cartographique au pouvoir bureaucratique. Les cartes des zones inondables dans la politique des risques». Genèses, n° 68, p. 75-96.

MEYER E. (2001). Évolution des paysages ruraux et phénomènes d’inondation boueuse en terres de grande culture. Le cas du ru de Senneville (Yvelines). Paris: Université de Paris IV, Sorbonne, thèse de doctorat de géographie, 413 p.

MORINIAUX V. (2004). Les risques. Nantes: Éditions du temps, coll. «Questions de Géographie», 255 p. ISBN: 2-84274-259-1

VEYRET-MEKDJIAN Y. (2001). Géographie des risques naturels. La Documentation photographique. Paris: La Documentation Française, n° 8023, 63 p.

VINET F. (2003). Crues et inondations dans la France méditerranéenne: les crues torrentielles des 12 et 13 novembre 1999 (Aude, Tarn, Pyrénées orientales, Hérault). Nantes: Éditions du Temps, coll. «Questions de géographie», 225 p. ISBN: 2-84274-252-4

Référence de la thèse

DOUVINET J. (2008). Les bassins versants sensibles aux crues rapides dans le Bassin Parisien - Analyse de la structure et de la dynamique de systèmes spatiaux complexes. Caen: Université de Caen/Basse  Normandie, thèse de géographie, 381 p. (consulter)