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La Russie et l’Inde : un rapprochement stratégique

Une plaisanterie, faisant de la transcription du nom propre Putin une abréviation anglaise pour Planes (avions), Uranium, Tanks, Infrastructure et Nuclear (nucléaire), aurait fait, selon la BBC, le tour de New Delhi lors de la célébration du 57e anniversaire de la proclamation de la République Indienne. À cette occasion, le président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine, a été invité à rencontrer, pour la quatrième fois de son mandat, le Premier ministre indien Manmohan Singh dans le cadre d’un sommet bilatéral.

1. Drapeaux de l’Inde et de la Russie mêlés

Cette visite n’est pas sans arrière-pensées. En effet, bien que les deux pays entretiennent de forts liens politiques et militaires hérités de la guerre froide, ils ont cependant vu leurs relations économiques se réduire fortement depuis l’éclatement de l’URSS. La Russie en déclin et l’Inde en voie de développement ont dû soutenir leurs économies intérieures par des réformes favorables à la croissance. Les deux pays connaissent désormais une dynamique qui les place au cœur des spéculations économiques actuelles. Ainsi, enregistrant lors de l’exercice 2005-2006 un taux de croissance du PIB de 8,1% pour une population dépassant le milliard d’habitants (1), l’Inde affiche des besoins énergétiques et militaires en constante augmentation qui en font l’objet de convoitises. La concurrence est rude entre les principales puissances pour s’assurer la position de partenaire économique privilégié de l’Inde. Ainsi, le Président américain Bush a effectué une visite officielle à New Delhi en mars 2006, tandis que son homologue chinois Hu Jintao l’a imité en novembre. En outre, l’Inde a été conviée par l’Union européenne à un sommet économique bilatéral à Helsinki en octobre 2006.

C’est dans ce contexte que se place la visite de M. Poutine à New Delhi. Les perspectives de signatures de contrats particulièrement lucratifs pour les entreprises russes ont été autant de raisons motivant une visite diplomatique en Inde du président de la Fédération de Russie. Les diverses négociations qu’il y a menées ont eu essentiellement pour but de renforcer les échanges russo-indiens qui n’ont progressé en dix ans que de 1,5 à 2,7 milliards de dollars par an (tandis que les échanges sino-russes représentent actuellement 36 milliards par an, ce chiffre augmentant de 30% par an ces dernières années).

Le domaine énergétique a occupé une place majeure dans les pourparlers puisque l’Inde compte investir près de 200 milliards de dollars d’ici à 2012 pour répondre à la demande croissante de son économie émergente et afin d’atteindre l’autosuffisance en hydrocarbures. C’est pourquoi, lors de sa visite, M. Poutine a cherché à revaloriser le statut historique d’«alliés naturels» (selon l’expression consacrée) unissant, selon ses propres dires, les deux pays et faisant de l’Inde un partenaire privilégié pour les exportations énergétiques russes. Déjà associée à l’exploitation du gisement de gaz et de pétrole Sakhaline-1 depuis la visite en décembre 2005 de M. Singh à Moscou, l’Inde, qui importe 70% de ses hydrocarbures, entend porter la part du pétrole russe à 50 millions de tonnes par an (2). Le pays s’est vu proposer d’investir dans les nouveaux projets de prospection Sakhaline-2 et Sakhaline-3. Outre une coopération renforcée entre la principale compagnie pétrolière indienne ONGC et son pendant russe Rosneft, M. Poutine a déclaré que la Russie étudiait également la possibilité de « construire de nouveaux pipelines » dont la mise en projet relègue au second rang l’idée d’un oléoduc Iran-Pakistan-Inde. Par ailleurs, un accord prévoit la création de quatre nouvelles tranches dans la centrale nucléaire de technologie russe à Koodankulam (au Tamil Nadu, dans l’extrême Sud indien), qui s’ajouteraient aux deux tranches de 1 000 Mw en cours de construction.

2. localisation de Koodankulam

L’autre objectif de la visite de M. Poutine était d’obtenir de nouveaux contrats d’armements et de maintenir ainsi la position dominante de la Russie dans les importations militaires de la quatrième armée du monde (70% des armes indiennes viennent de Russie). Mais les Russes doivent faire face à une concurrence accrue dans un domaine où l’Inde envisage d’investir pas moins de 10 milliards de dollars en dix ans. M. Poutine a notamment tenté, en vain, de faire pencher en faveur des entreprises russes l’appel d’offres à venir concernant 120 nouveaux avions de combats (en proposant, en plus de la vente, un transfert de technologie). L’échec russe sur cette question s’explique sans doute par la coopération accrue mise en place depuis quelques années entre l’Inde et les États-Unis, principaux partenaires commerciaux de l’Inde, qui voient dans la plus grande démocratie du monde un contrepoids efficace à l’influence grandissante de la Chine en Asie. L’Inde, en s’employant à conserver un équilibre commercial stratégique entre Moscou et Washington, fait jouer une concurrence qui tend à accroître son rôle à l’échelle régionale comme à l’échelle mondiale.

Moscou a promis de tripler ses échanges avec l’Inde afin d’atteindre 10 milliards de dollars par an d’ici 2010. Cependant, cet objectif, déjà fixé en 2004, semble peu réalisable. De plus, en dépit de quelques contrats déjà signés, l’arme énergétique souvent brandie par la Russie dans ses relations diplomatiques n’a pas influencé cette fois-ci les choix de l’Inde dans le domaine de l’armement. La visite de M. Poutine n’a donc permis qu’un rapprochement limité avec une Inde qui tient plus que jamais à son indépendance économique.

Nathan Grison, 28 janvier 2007

Références

«Роснефть и ONGC подписали Меморандум о взаимопонимании» («Rosneft et ONGC ont signé un protocole d’accord»), 25 janvier 2007, site de la compagnie pétrolière russe Rosneft

«Путин пообещал привнести смысл в отношения с Индией» («Poutine a promis de donner un sens aux relations avec l’Inde»), article paru dans Izvestia (Известия), le 26 janvier 2007

CHIPAUX Françoise, «À New Delhi, Vladimir Poutine resserre les liens avec l’Inde», Le Monde, 28-29 janvier 2007.

GRAMMATICAS Damian, «Russia and India's complex friendship» («L’amitié complexe entre Inde et Russie»), 26 janvier 2007, site de la BBC

RADYUHIN Vladimir, «Putin visit: chance for course correction» («La visite de Poutine: une chance de corriger le tir»), 23 janvier 2007, in The Hindu, quotidien indien

THOMAS Colette, «Des alliés moins naturels», 25 janvier 2007, site de RFI