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Lula réélu, le retour aux origines ?

Les récente élections  brésiliennes ont eu pour résultat principal la réélection du Président Luiz Inácio Lula da Silva, au deuxième tour, le 29 octobre 2006 (il avait manqué de peu l’élection au premier tour, le 1er octobre).

Mais cette réélection – que l’on pourrait prendre pour un non-événement – a toutefois été une surprise, à la fois parce que quelques mois auparavant on donnait le Président et son parti battus d’avance, en raison d’une sucession de scandales financiers et politiques, mais aussi parce que l’analyse des suffrages révèle que la base électorale de Lula a profondément changé, ce que quelques cartes aident à montrer.

Les candidats en présence au premier tour étaient de poids très inégal et de fait les résultats (tab. 1) ont montré que le seul adversaire dangereux pour Lula était Geraldo Alckmin, du PSDB, parti social-démocrate allié au PFL, franchement à droite. Le second tour a confirmé cette bipolarisation, les votes des petits candidats se reportant principalement sur Lula, ainsi que ceux de nombreux citoyens déçus par les dérives du PT, mais qui n’ont pas voulu pour autant porter au pouvoir son adversaire, qui a de ce fait perdu près de deux millions et demi de voix entre les deux tours.

Un des aspects les plus étonnant de cette élection est qu’à la bipolarisation politique a correspondu une bipolarisation territoriale, Lula apparaissant comme l’élu des régions pauvres du Nord amazonien et du Nordeste, alors que son concurrent est appuyé par le Sud et le Sudeste, plus développés. C’est bien ce que montrent le tableau 2 et la carte 1.

1. Résultats du second tour de la présidentielle de 2006

Cela n’allait pas de soi, et constitue même une rupture avec l’histoire personnelle de Lula. Il est certes né dans le Nordeste (à Garanhuns, dans le Pernambuco), mais il en est parti à l’âge de sept ans, suivant ses parents dans leur migration vers São Paulo, comme tant d’autres Nordestins. Il y a fait l’essentiel de sa carrière syndicale et politique, au syndicat des métallos puis au Parti des Travailleurs (PT), et sa base électorale était bien dans le Sudeste et le Sud, jusqu’à l’élection victorieuse de 2002.

La carte 2 confirme ce retournement, en comparant les scores de Lula en 2002 et en 2006 on fait apparaître qu’il n’a perdu des électeurs que dans le Sud-Sudeste (et le Roraima, à l’extrême nord), et en a gagné principalement dans le Nord et le Nordeste. Les quelques pertes dans le Nordeste sont dues à la candidature d’Heloisa Helena, dissidente du PT, et les gains dans le Mato Grosso se situent dans la région de développement du front pionnier du soja, dont les producteurs ne sont pas très à gauche...

2. Gains et pertes de voix de Lula entre 2002 et 2006

De fait, Lula a gagné grâce aux voix des régions les plus pauvres du pays, et l’on peut faire apparaître une étroite coïncidence entre les communes où il est arrivé en tête et celles dont l’IDH (Indice de Développement Humain) est le plus bas (carte 3).

Élaboré par le PNUD pour comparer entre eux les pays plus ou moins développés, cet indice a été repris au Brésil pour comparer entre elles ses 5 000 communes, en prenant en compte non seulement le revenu par tête, mais aussi l’éducation et la santé. Calculé pour 1970, 1980, 1991 et 2000, il révèle la situation précaire du Nordeste et de l’Amazonie, alors que le Sud et le Sudeste – à l’exception d’une région qui s’étend du sud-est de l’état de São Paulo au centre du Paraná – a de bien meilleurs indices. Le Centre-Ouest tend à lui ressembler le plus en plus, à mesure que les fronts pionniers avancent à travers les savanes centrales et – de plus en plus – la forêt amazonienne.

Pourquoi ce vote massif des régions pauvres en faveur de Lula ? Une partie de l’explication est à chercher dans le très grand «légitimisme» de ces régions, qui votent depuis longtemps pour le pouvoir en place, dont elles dépendent étroitement pour toute une série d’aides: à la fin du régime militaire (1964-1985) le Nordeste était le dernier grand bastion qui lui restait.

3. Résultats électoraux et IDH

Une autre explication, sans doute la principale, est la reconnaissance des bénéficiaires de la Bolsa família, l’aide versée aux familles les plus pauvres. Inventée sous le gouvernement précédent et systématisée par le gouvernement Lula, cette aide peut paraître dérisoire (autour de 60 reais par famille et par mois, soit environ 22 euros), mais elle peut être décisive pour des populations vivant avec moins de 120 reais par mois (l’équivalent de 45 euros). Arrivant à date fixe, payées sous forme d’une carte de paiement, ce qui donne à ses titulaires une nouvelle dignité, ces aides ont concerné en 2006 plus de 11 millions de familles, précisément concentrées dans ces régions déprimées: la région Nordeste reçoit 69,1% du total, le nombre de bénéficiaires dans chaque commune y varie de 13% à 45% du total de la population. Viennent ensuite le Sudeste (19,1%), le Nord (8%), le Centro-Oeste (2,4%) et le Sud (1,4%).

De mauvaises langues disent qu’avec la Bolsa familia Lula s’est acheté une clientèle pour pas très cher – et avec l’argent du contribuable – mais on peut dire aussi que ce premier président issu des classes populaires a rendu à «son peuple» ce qui lui était dû, après des siècles de spoliation. Après tout, ceux qui ont monté ce «modèle de développement» si inégalitaire auraient bien dû penser qu’un jour ou l’autre, dans un système démocratique où tous les votes se valent, la masse des pauvres pourrait vouloir appuyer qui sait leur parler et lui donner un peu – si peu que soit – et qu’elle soutiendrait ensuite son bienfaiteur.

André Rodrigues Nagy, Hervé Théry