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La création du GDR 3359 MoDyS – Modélisation des dynamiques spatiales

Les actualités

Le GDR Modélisation des dynamiques spatiales (MoDys) a été créé en 2010 pour 4 ans par l’INSHS. Il s'appuie sur la double filiation du réseau inter-MSH Information Spatiale et Archéologie (réseau ISA) et du réseau thématique pluridisciplinaire Modélisation des dynamiques spatiales (RTP MoDys).

Positionnement scientifique du GDR

La place de la modélisation spatiale dans les différentes disciplines des Sciences humaines et sociales est évidemment fonction du lien plus ou moins fort qu’elles entretiennent avec l’espace. Les géographes, qui sont les concepteurs de l’essentiel des outils, et qui animent les débats méthodologiques à travers des congrès et des revues spécialisés, y jouent naturellement un rôle de premier plan. Ils ont ouvert la voie aux archéologues, dont les données sont, par nature, localisées, et qui ambitionnent depuis longtemps d’être les géographes du passé. Les méthodes d’analyse spatiale élaborées par les géographes se sont répandues chez les archéologues dès les années 1970, mais le phénomène a pris une ampleur nouvelle dans les années 1990 avec le développement des Systèmes d’Information Géographique (SIG) qui ont joué un rôle intégrateur.

L’intérêt pour la spatialité s’est diffusé dans d’autres disciplines avec lesquelles l’archéologie entretient des relations privilégiées, notamment l’histoire et les sciences du paléoenvironnement.

Jusqu’à très récemment, l’espace ne constituait pas un objet de recherche pour les historiens. Le référencement géographique des mentions textuelles qu’ils utilisaient n’était pas fondamental, et ils ne s’interrogeaient guère sur la représentativité spatiale des sources écrites. Des colloques et publications récentes (Histoire & Mesure, Le médiéviste et l’ordinateur) témoignent d’une évolution dans ce domaine: les phénomènes historiques sont désormais, plus que par le passé, analysés selon leur composante spatiale.

C’est sans doute également la collaboration avec les archéologues qui a conduit les spécialistes du paléoenvironnement à changer d’échelle et à s’intéresser à la caractérisation des activités humaines. Les palynologues s’attachent ainsi à donner une meilleure résolution spatiale et temporelle aux données polliniques en multipliant les prélèvements et en travaillant sur de petites tourbières qui enregistrent la végétation locale. Dans le même temps, l’ouverture de plusieurs revues de géographie aux sciences historiques (Mappemonde, Géocarrefour) traduit la volonté de prendre en compte la longue durée.

Si l’analyse spatiale a forgé depuis longtemps déjà ses concepts et ses outils, intégrant une dimension spatiale «active» et valorisant ses effets, la dimension temporelle apparaît le plus souvent comme «support». L’enjeu est de poser les bases nécessaires au développement d’un point de vue complémentaire, intégrant l’approche spatiale mais privilégiant la formalisation de la dimension temporelle et la complexité des relations qu’entretiennent les événements et les temporalités observés dans des sources multiples et lacunaires.

L’importance prise par l’analyse spatiale en SHS suscite depuis une dizaine d’années un intense dialogue interdisciplinaire entre géographes, archéologues et historiens, autour de l’analyse des processus de transformation de l’espace à différentes échelles de temps —notamment dans la longue durée, c’est-à-dire sur plusieurs siècles voire plusieurs millénaires — jusque-là peu abordée par les géographes. Ce travail a mis en évidence les questions communes qui se posent à l’intersection des disciplines concernées. En outre, cela a permis d’identifier les spécificités des dynamiques spatiales dans le temps long qui nécessitent des développements et des formalisations propres : la longue durée, les temporalités multiples, les échelons d’analyse, le rapport aux sources. La multiplicité et la diversité des sources mises en œuvre, et la particularité de leurs modes de production et de conservation confèrent, en effet, aux données historiques et archéologiques un caractère hétérogène et lacunaire. S’y ajoute une précision chronologique très inégale. Ces paramètres compliquent particulièrement l’évaluation des rythmes de transformation et l’appréhension des interactions spatiales. Dès lors qu’elle se dévoile, cette complexité du temps, à la fois effet de source et réalité, devient un enjeu. Ces spécificités impliquent de nouveaux formalismes pour l’analyse et la modélisation des processus. Si l’espace est au cœur du questionnement des analyses spatiales, le temps et ses différentes composantes prévalent dans l’approche historienne: il s’agit alors d’aborder la modélisation des dynamiques spatiales en donnant toute sa place au temps, et en s’affranchissant de la prédominance de l’espace, implicite en géographie.

L’appropriation par les archéologues et les historiens des méthodes de l’analyse spatiale développées dans le domaine de la géographie constitue un changement de perspective dans les modalités de construction des connaissances. La modélisation est utilisée comme outil scientifique de représentation d’une réalité observée, l’abstraction et la simplification qu’elle nécessite contribuant à en comprendre les propriétés. Elle permet de tester les hypothèses par la simulation de scénarios construits sur la base de ces hypothèses. Cette procédure de recherche heuristique s’inscrit dans un aller-retour constant entre inductif et déductif. Quelle que soit l'échelle considérée, que l’on s'intéresse à un élément d'architecture, au bâtiment, à un quartier, à une ville ou à un paysage, la démarche modélisatrice implique de formaliser son objet d’étude de manière univoque selon une identification et une description rigoureuse. C’est, par exemple, transformer la description détaillée des artefacts archéologiques mettant en évidence l’existence d’un atelier de potiers en structure de production, quartier artisanal, fonction d’échange et de commerce selon l’échelle d’analyse. Ou encore, c’est traduire les caractéristiques d’un établissement humain (fonctions des bâtiments identifiés, datation, emprise spatiale…) en critères de hiérarchisation dans un réseau d’habitat. Les modèles construits sur cette base mettent en évidence les structures élémentaires nécessaires à la compréhension des phénomènes ou des objets complexes étudiés.

La multiplicité des sources, l’inscription des phénomènes dans la longue durée révélant des temporalités multiples, les échelons géographiques d’analyse soulèvent de nouvelles questions pour l’application des concepts de l’analyse spatiale aux sciences historiques. Ces questions nécessitent de mobiliser une communauté interdisciplinaire autour d’un projet commun permettant d’une part de fédérer des expériences et des points de vues divers, d’autre part de relayer ces développements et savoir-faire au sein d’une communauté non spécialiste de ces méthodes. C’est ce qui a fondé la création du GDR interdisciplinaire MoDys au sein de l'INSHS.

La multiplication des projets collectifs (ACI puis ANR) associant archéologues, historiens et géographes et faisant appel à l’analyse et la modélisation spatiales (Archaeomedes 1 et 2, ACI puis ANR ArchaeDyn, ANR Alpage, ANR MODELESPACE, ANR Transmondyn) montre le dynamisme des recherches dans ce domaine. La communauté pluri-disciplinaire concernée a fait la preuve de sa capacité à travailler en réseau.

Situés à l'interface disciplinaire entre sciences historiques et géographie, les objets de recherche du groupe MODYS s’articulent autour de formalisations et de modélisations de phénomènes localisés dans l’espace et dans le temps, croisant une approche spatiale et une approche historique. Le programme est structuré selon deux axes: 1) multi-temporalités et longue durée, 2) incertitude et multi-représentation. L’ambition est de contribuer à améliorer la compréhension des transformations des objets spatiaux considérés, selon les disciplines, dans le temps long.

Enjeu en sciences historiques et en SHS

La création du GDR MoDys s’appuie sur la double filiation du réseau inter-MSH Information Spatiale et Archéologie (réseau ISA) et du réseau thématique pluridisciplinaire Modélisation des dynamiques spatiales (RTP MoDys).

Depuis 2001, le réseau inter-MSH ISA, initié par des archéologues travaillant sur le rapport des sociétés à l’espace, a largement contribué à l’animation de la recherche (séminaires, colloques, écoles thématiques) et à la structuration de la communauté scientifique. Soutenu par le CNRS comme plateforme technologique, il est reconnu comme une des principales actions du réseau des MSH. En permettant des formations et des travaux collectifs, il a permis d’organiser et de faire progresser l’instrumentation de la recherche dans le domaine de l’application de l’analyse spatiale en archéologie notamment par l’utilisation des outils de la géomatique (SIG, télédétection).

Les échanges engagés avec les géographes dans le réseau ISA ont donné lieu, en 2005, à la création du Réseau Thématique Pluridisciplinaire MoDys (RTP MoDys) par la direction scientifique du département SHS du CNRS. Les deux missions principales qui lui ont été assignées sont, d’une part, d’être un outil d’assistance à la politique scientifique ; d’autre part, de promouvoir les collaborations interdisciplinaires en SHS et de favoriser le développement de la modélisation spatiale appliquée à la recherche sur les sociétés du passé et du présent. De 2005 à 2008, regroupant des archéologues, géographes et architectes, le RTP a montré la pertinence et la richesse des échanges interdisciplinaires dans le domaine de la modélisation spatiale notamment lors des rencontres de doctorants organisées en 2006 à Lyon et en 2007 à Avignon. Le RTP a fonctionné comme un observatoire de la recherche en analyse et modélisation spatiale en SHS en privilégiant les approches conceptuelles et méthodologiques.

L’interface disciplinaire où se place MoDyS, entre géographie et histoire, est également au centre des travaux de l’Atelier chrono-chorématique du Centre national d’archéologie urbaine réunissant archéologues et géographes qui s’attachent à modéliser les trajectoires des villes en dégageant leurs structures élémentaires dans la longue durée. La mise en relation des connaissances archéologiques avec la modélisation graphique qu’offre la chorématique produit un travail interdisciplinaire permettant la lecture monographique des villes dans la longue durée par des schématisations simplifiées, destinées à favoriser la comparaison avec d’autres villes. L’approche retenue est résolument fonctionnelle selon quatre catégories: la densité de la trame banale urbaine (fonction résidentielle); le religieux et/ou funéraire; l’économique (production et commerce); le pouvoir civil (politique et militaire). La mesure de ces critères au cas par cas permet d’inscrire les villes dans un classement à quatre rangs: local, micro-régional, macro-régional et supra-régional (national).

Le travail en réseau conduit autour de l’instrumentation de la recherche et des processus spatio-temporels a démontré l’intérêt d’une approche transversale et pluridisciplinaire des dynamiques spatiales. Le rôle moteur et structurant de ces réseaux a contribué à fédérer une communauté travaillant, au-delà des seules questions techniques, à la définition de nouveaux objets de recherche sur les relations société/espace, société/milieu. L’objectif du GDR est de capitaliser ces avancées afin de définir les nouveaux paradigmes qui émergent à l’interface temps/espace.

Depuis 10 ans en effet, l'identification des changements de paradigmes impliqués par l’utilisation en archéologie des outils de la géomatique et des concepts de l’analyse spatiale empruntés à la géographie, est affichée comme objectifs. Le GDR est l'instrument qui va permettre d’y travailler et de les écrire. Cette ambition s’appuie sur les travaux effectués ces dix dernières années à l’interface disciplinaire entre sciences historiques et géographie. Les thèses soutenues, les programmes de recherches achevés ou en cours, les publications françaises et internationales sont la preuve des avancées de la recherche en la matière. Ces travaux pluridisciplinaires sont passés d’une juxatoposition des disciplines où elles se côtoient sans veritablement échanger leurs outils, leurs méthodes, ou leurs concepts, à une interdisciplinarité où s'effectue un transfert de méthodes, d’outils, de techniques, de concepts empruntés essentiellement aux géographes.  La création du GDR traduit la reconnaissance de la mobilisation d’une communauté interdisciplinaire qui cherche aujourd’hui à atteindre un nouveau palier dans la continuité de ces recherches : construire des objets, méthodes et concepts communs entre ces disciplines des SHS avec comme dénominateurs communs le temps et l’espace.

Les rencontres de doctorants du GDR MoDyS

L’implication et la formation des doctorants dans un tel groupe sont indispensables à la diffusion de ces points de vue; elles permettent aux doctorants de confronter leurs sources et leurs analyses à celles d’autres disciplines et d’approfondir leurs questionnements autour d’outils et de méthodes scientifiques communs. L'importance accordée aux jeunes chercheurs s'est traduite par une 3e rencontre de doctorants [1] en décembre 2010, révélatrice des recherches menées dans les laboratoires. Force est de constater que les travaux présentés, quelqu’en soient les degrés d’avancement, sont d’un bien meilleur niveau général que lors des éditions précédentes. les points faibles relevés lors des éditions antérieures (cf https://mappemonde.mgm.fr/actualites/modys.html), problèmes de transfert de modèles, de vocabulaire, de modélisation, ont en particulier largement été corrigés par les doctorants. Les échanges au sein du RTP puis du GDR MoDyS entre chercheurs de disciplines connexes, encadrant en partie les recherches des doctorants, semblent porter leur fruit à travers les travaux présentés lors de ces rencontres (une très large partie des doctorants présents sont issus de laboratoires membres du GDR). On a ainsi pu noter une meilleure appréhension-intégration du temps et de l’espace dans les diverses études des dynamiques spatiales présentées qu’elles soient géographique, archéologique ou en architecture, et dans une moindre mesure en histoire ou en préhistoire.

Souhaitons que la prochaine édition de ces rencontres prévues en 2012 et les travaux de recherche du GDR suivent la même progression.

Les deux premières rencontres de doctorants ont eu lieu à Lyon en 2005 et à Avignon en 2007 dans le cadre du RTP MODYS.