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Parcs naturels et manne pétrolière au Gabon

À l’heure où se rencontrent à Beijing les dirigeants de la Chine et de 48 États africains, dans un sommet (1) concernant pas moins d’un tiers de la population mondiale, les médias semblent découvrir les liens qui unissent la Chine et l’Afrique. Si, depuis un demi-siècle, des relations économiques et politiques existent, elles sont aujourd’hui, certes, intenses et de plus en plus visibles. La Chine de Hu Jintao voit dans les aides qu’elle apporte à l’Afrique (qui vont être doublées entre 2006 et 2009) la possibilité de disposer en retour de formidables perspectives d’ouverture économique. Déjà, les échanges commerciaux sino-africains ont été multipliés par cinq entre 2000 et 2006, pour un montant supérieur à 50 milliards de dollars, et faisant de la Chine le troisième partenaire économique de l’Afrique. La Chine, dont les besoins en matières premières s’accroissent sans cesse, devient à l’échelle mondiale un véritable prédateur pétrolier, cherchant à diminuer sa dépendance énergétique en diversifiant ses sources d’approvisionnement. L’Afrique, fournissant 30% des importations pétrolières chinoises, devient un champ de bataille économique et politique privilégié pour la prospection de l’or noir.

L’un des cas les plus significatifs de cette recherche du pétrole à tout prix est celui du Gabon. Depuis 2002, le Gabon, peu peuplé (1,4 million d’habitants en 2005), a consacré 10% de son territoire à des parcs nationaux, cherchant ainsi à développer l’écotourisme de l’or vert. Parmi treize parcs, celui de Loango faisait figure de modèle avec ses 1 550 km2. Cependant, suite à la visite au Gabon du président chinois Hu Jintao, en février 2004, un permis d’exploitation au sein du parc a été accordé à la SINOPEC, deuxième compagnie pétrolière et pétrochimique chinoise (2). Cette autorisation a été immédiatement suivie de l’arrivée de 150 ressortissants chinois qui ont procédé à environ 16 000 explosions à la dynamite pour sonder le sous-sol. Face à cette menace écologique, des ONG telles que WCS (The Wildlife Conservation Society) puis, de façon plus hypocrite, le ministère de l’Environnement gabonais, ont fait pression pour que soit menée une étude sur les agissements supposés illégaux de la société SINOPEC et leurs conséquences. Cette étude d’impact environnemental, réalisée en septembre 2006, aux conclusions prudentes, n’a pas empêché le conseil des ministres d’autoriser la prospection chinoise en rappelant l’importance de l’exploitation de toutes les ressources du pays pour le développement.

Avec de grandes et lucratives ressources naturelles mais un PIB par habitant faible (6 159,4 dollars en 2005 selon OCDE) et le 123e rang (sur 177) pour l’IDH (indice de développement humain, PNUD, 2005), le Gabon connaît un paradoxe socio-économique malheureusement commun en Afrique. La Chine, actuellement troisième client du Gabon (7,4%), loin derrière les États-Unis (51,2%) a un poids presque égal à celui de la France (8,7%) dans le commerce extérieur du pays. Tout laisse penser que la situation pourrait radicalement changer en faveur de la Chine dans les années à venir. Le contexte économique difficile explique la décision de l’État gabonais: la rente pétrolière du pays (en dépit de l’augmentation du prix du baril) décline depuis dix ans (13 millions de tonnes en 2005 contre 18,7 millions en 1997). D’où la nécessité de découvrir et d’exploiter de nouveaux gisements.

Le cas du parc de Loango n’est pas unique. En effet, d’autres projets existent, comme celui concernant la construction de deux oléoducs qui risquent de sillonner les parcs de Mayumba et de Pangara. Une concession minière est en attente d’autorisation dans le parc des monts de Cristal et une gigantesque mine de fer pourrait être exploitée à proximité du parc de Minkebe. La course aux matières premières ne met pas seulement en cause l’entreprise chinoise SINOPEC, mais aussi des entreprises sud-africaines, américaines et européennes. Le Gabon, dirigé d’une main de fer par Omar Bongo depuis 1967, est le troisième producteur pétrolier de l’Afrique sub-saharienne (et le 38e mondial), ce qui en fait un objet de convoitise. Entièrement ouvert aux investisseurs étrangers, le secteur est déjà exploité par une quarantaine d’entreprises, principalement nord-américaines et européennes. On peut citer en exemple la société pétrolière américaine Transworld Exploration Gabon Ltd qui a, elle aussi, lancé des démarches pour exploiter des gisements dans le Sud-Est du pays et à la périphérie directe du parc national de Loango.

Le choix entre une politique de conservation de la biodiversité par le maintien des parcs nationaux et la nécessité économique d’exploiter les ressources du sous-sol dans une stratégie globale de développement est épineux. Entre or vert et or noir, le Gabon, comme la Chine, choisit le noir.

Nathan Grison, 12 novembre 2006

Références

KEMPF H. (2006). «Un parc naturel gabonais menacé par la prospection pétrolière chinoise». Le Monde, 26 octobre 2006.

Site du Forum sur la Coopération sino-africaine (en français)

Données sur le Gabon du Ministère des affaires étrangères français

Site de la Sinopec (en anglais):

Sites d’ONG évoquant la prospection pétrolière au Gabon:

Notes

1. La troisième Conférence ministérielle du Forum sur la Coopération sino-africaine s’est réunie à Beijing du 3 au 5 novembre 2006. Le premier Forum s’était tenu en octobre 2000. La Déclaration de Beijing, adoptée le 5 novembre 2006, stipule que le partenariat stratégique entre la Chine et l'Afrique est caractérisé par «l'égalité et la confiance réciproque sur le plan politique, la coopération gagnant-gagnant sur le plan économique et les échanges bénéfiques sur le plan culturel».

2. Cette entreprise aux multiples ramifications, dont la société-mère est la China Petrochemical Corp, procède à des investissements lourds partout dans le monde et pas seulement en Chine. Elle s’intéresse notamment aux sables bitumeux du Nord-Est de la province de l’Alberta au Canada par le biais de sa filière SinoCanada.