Sommaire du numéro
N°73 (1-2004)

Londrina, de la ville pionnière à la maturité

Mirian Vizintim F. Barros
Omar Neto Fernandes Barros
Neli Aparecida de Mello
Hervé Théry

M. et O. Barros: Universidade Estadual de Londrina, Departamento de Geociências
N. A de Mello et H. Théry: Universidade de Brasília, Centro de Desenvolvimento Sustentável (CDS)

Résumés  
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Introduction

La ville de Londrina, aujourd'hui l'une des villes principales de l'État du Paraná, dans le Sud du Brésil, a été fondée à la fin des années 1920 par la Companhia de Terras do Norte do Paraná, qui promouvait alors la colonisation de la région, à la pointe avancée du front pionnier du café. Comme elle était britannique, ce nom (littéralement «la Londonienne») fut donné à la ville par João Domingues Sampaio, l'un de ses directeurs. Les premiers occupants défrichèrent des clairières dans la forêt primaire pour construire des cabanes, à proximité de la voie ferrée (photo 1); vingt ans plus tard, elles avaient fait place à des constructions en dur, mais la ville gardait nettement un aspect pionnier (photo 2) avec ses rues non asphaltées que les pluies transformaient en bourbiers, les riches sols rouges étant plus propres à la culture du café qu'à la circulation urbaine.

Photo 1. Londrina en 1934 (© IPPUL-Instituto de Pesquisa e Planejamento Urbano de Londrina)

Photo 2. Londrina en 1940 (© IPPUL-Instituto de Pesquisa e Planejamento Urbano de Londrina)

Photo 3. Londrina en 2003 (© H. Théry)

Aujourd'hui, après bien des vicissitudes et de spectaculaires reconversions de l'économie régionale allant jusqu'au quasi-abandon du café, c'est une ville de près de 500 000 habitants et la capitale régionale du Nord du Paraná. Ses paysages urbains, dominés par les tours du centre-ville, ont changé du tout au tout (photo 3), et elle connaît une série de problèmes (problèmes de croissance, de circulation et de ségrégation sociale, dégradation de l'environnement), rançon de son succès. Londrina a parcouru en moins d'un siècle le cycle complet de la croissance urbaine, de la fondation aux difficultés de la maturité. Cette croissance extrêmement rapide et les problèmes qui en découlent sont l'objet d'un travail mené d'abord par les géographes de l'Université de Londrina, puis en collaboration par une équipe francobrésilienne1, qui cherche à reconstituer les phases de la croissance et les différenciations actuelles de l'espace urbain par l'utilisation des images satellitaires et de la cartographie thématique à base statistique.


Le processus d'occupation urbaine à Londrina

1. Image satellitaire de Londrina (2001)

2. L'expansion de Londrina

L'image satellitaire de 2001 (fig. 1) montre bien la ville et son proche environnement rural, où les plantations de café gagnées sur la forêt ont été remplacées par des exploitations de polyculture et de maraîchage.

Le centre-ville des années 1920 et 1930 apparaît bien (quadrillage bleu des rues centrales), ainsi que les lacs aménagés sur le cours du ruisseau Cambé et les grands axes routiers qui structurent désormais la ville, le chemin de fer ayant perdu tout intérêt.

Le périmètre urbain a été étendu par une décision municipale du 20 juillet 1998, facilitant la croissance vers le nord et surtout vers le sud, ou une grande superficie agricole a été incluse dans le périmètre constructible. La ville peut ainsi poursuivre une impressionnante expansion, qui l'a fait passer des quelques rues du noyau central à un ensemble de 125 km2, soit plus que la ville de Paris, surtout à partir des années 1970, quand la crise du café a provoqué un exode rural accéléré et le lotissement de vastes parcelles, pas forcément contiguës ni bien reliées au centre.

Londrina a non seulement grandi (fig. 2), mais s'est aussi fortement diversifiée, accueillant des populations bien différentes des colons qui l'avaient fondée, et sortant de son site initial pour s'étendre sur les plateaux qui l'entourent et dans les vallées qui les entaillent. De ce fait elle s'est également fragmentée en unités bien distinctes et quelque peu hétérogènes (Lobato, 1993).

Chacune de ses facettes est la base d'existence et de reproduction sociale d'un groupe, et la source de flux d'échanges qui assurent à la fois l'unité de la ville et la reproduction des différences entre les citoyens, le maintien de l'inégalité comme partie intégrante de la société structurée en classes.

L'utilisation du sol est ainsi l'une des variables du paysage urbain qui révèle le plus nettement la dynamique des relations socio-économiques et de leurs problèmes, en permettant de reconstituer les modes d'appropriation et de transformation de cet espace2. L'agglomération a gagné 28,46 km2 entre 1987 et 2001, surtout vers le nord, tandis que plusieurs lotissements occupaient les vides urbains. Elle se divise à présent en:

3. L'usage du sol à Londrina

  • deux secteurs centraux:
    1. le centre historique, fortement verticalisé, affecté aux fonctions résidentielles, aux activités commerciales et de prestation de services;
    2. un espace péricentral, en hauteur, mais moins que dans le centre; les logements y sont de qualité moyenne à supérieure; les axes routiers y concentrent le commerce de gros et de détail.
  • les périphéries, qui comprennent:
      1. un secteur nord, dont les grands ensembles de logements, construits à partir des années 1970, sont destinés aux classes populaires; ils étaient alors bien éloignés du centre, produisant un énorme vide, qui n'a été que récemment occupé;
      2. un secteur sud-est, en expansion, accueillant de nouveaux ensembles de logements pour les pauvres, où la qualité de vie laisse beaucoup à désirer, principalement dans les parties externes;
      3. un secteur sud, entre le Shopping Catuaí et l'Université de Londrina, le mieux coté de tous, où se développent des quartiers résidentiels fermés, comme le Royal Golf, Royal Park, Alphaville, Les Terres de Santana, etc.;
      4. les secteurs est et ouest de la ville, où se situent les parcs industriels et les surfaces d'entrepôts et de commerce de gros, dans l'axe de la route BR 369. (tableau 1)

    Tableau n° 1 – Types d'usage du sol à Londrina en 2000
    Classe d'usage
    km2
    %
    Total
    245,54
    100,00
    Agropastoral
    120,07
    48,90
    Résidentiel
     36,17
    14,73
    Rues
    15,70
     6,39
    Vide urbain
    15,14
     6,17
    Fond de vallée sans végétation
    14,98
     6,10
    Usage mixte
      9,80
     3,99
    Fond de vallée avec végétation
      9,37
     3,82
    Usages spéciaux
      7,17
     2,92
    Industrie ou commerce de gros
      4,48
     1,82
    Parc ou réserve
      3,03
     1,23
    Usage public
      2,36
      0,96
    Végétation associée à la voirie
      1,63
      0,66
    Voies ferrées
      1,41
    0,57
    Lac
      1,10
      0,45
    Place non urbanisée
      1,01
      0,41
    Place urbanisée
      0,70
      0,29
    Parc de quartier
      0,69
      0,28
    Favela
      0,57
      0,23
    Jardin public
      0,11
      0,04

    Un diagnostic de la dégradation de l'environnement

    L'occupation illégale de zones en principe protégées a provoqué des conflits environnementaux, surtout dans les fonds de vallées (Barros et al., 2000). Ces zones de conservation permanente ont été définies en se fondant sur la législation existante3. Un système d'information géographique a été monté pour analyser de façon précise les processus en cours, et pour permettre la planification et la gestion de ces phénomènes, de façon à améliorer les conditions de vie de la population. La ville possède 21,36 km2 de secteurs de conservation permanente dans les fonds de vallée, dont 25,4 % sont occupés illégalement, car ils ne sont consacrés à aucune utilisation conforme au Code forestier. D'autres effets environnementaux sont liés à la construction même de la ville: imperméabilisation du sol, modification des conditions de vie de la flore et de la faune, si intense qu'elle rend impossible sa récupération (Mello, 1997).

    4. La dégradation de l'environnement à Londrina

    Principal facteur de transformation, l'imperméabilisation des sols modifie fortement les caractéristiques des écosystèmes. Pour analyser la dégradation de l'environnement liée à la croissance urbaine, on a donc adopté une typologie à 5 niveaux fondée principalement sur le degré d'imperméabilisation des sols (très basse, basse, moyenne, haute et maximale). Les lieux où la capacité d'infiltration est très basse correspondent aux secteurs urbains: résidentiel, industriel, utilisation mixte, utilisation publique, commerces et rues). Les lieux d'infiltration un peu plus grande sont le secteur d'expansion urbaine et les bidonvilles. Les lieux d'infiltration moyenne sont les vides urbains et les lotissements. Les régions d'utilisation agricole, de végétation basse, de fond de vallée sans végétation, de places non urbanisées ou urbanisées, de jardins publics et d'espaces verts liés au réseau routier ont une haute capacité d'infiltration. Sont considérés comme lieux de plus grande capacité d'infiltration les unité de conservation, parcs de quartier, fonds de vallée avec végétation et végétation arbustive. Les classes de pourcentages variant de 0 à 100% par paliers de 20%. Le calcul fait sur les quartiers nettement urbains (160,5 km2) montre une augmentation sensible des secteurs atteints entre 1987 et 2000:

    1. en 1987, les secteurs où la dégradation de l'environnement était très faible (moins de 20%) couvraient 87 km2; en 2000 ils s'étaient réduits à 38 km2;
    2. les niveaux à dégradation forte et très forte (60 à 100%) ont plus que doublé, passant de 19,3 km2 à 41,5 km2;
    3. la très forte dégradation (10 % de la surface) se situe dans le centre et ses abords;
    4. les secteurs nord, nord-ouest et sud-est de la ville ont subi les plus fortes dégradations, le nord-est et le sud-ouest les plus faibles.
    Tableau n° 2 – Qualité de l'environnement en 1987 et 2000
    Taux de dégradation de l'environnement
    1987
    2000
    0-20%
    87,60
    38,12
    20-40%
    32,58
    44,83
    40-60%
    20,90
    35,99
    60-80%
    11,52
    16,62
    80-100%
      7,90
    24,92

    Si les institutions responsables des politiques publiques municipales décident de donner la priorité au maintien de la qualité de l'environnement, une des conditions essentielles de la qualité de vie urbaine, elles devront avant tout réduire les secteurs imperméabilisés et valoriser les espaces d'apprentissage et de loisir, ce qui serait de l'intérêt de l'ensemble de la population (fig. 4).


    La situation sociale, du rêve à la réalité

    5. Alphabétisés et analphabètes à Londrina

    Parallèlement à la dégradation de l'environnement, la croissance urbaine a produit une très nette différenciation sociale, et l'on est bien loin de la ville égalitaire des pionniers, tous établis sur les lots petits mais égaux attribués par la Companhia de Terras — une colonisation bien différente de celle des grandes fazendas de São Paulo et magnifiquement décrite par Pierre Monbeig. Certes, la différenciation sociale était déjà présente à l'origine et chacun savait qui habitait du «bon» et du «mauvais» côté de la voie de chemin de fer. Il est toutefois évident que la différenciation s'est accentuée.

    Photo 4. Condominios à Londrina (© Agnes Serre)

    Photo 5. «La cité cinématographique» de Londrina (© H. Théry)

    Pour analyser en détail ces transformations, on dispose désormais de nouveaux outils, qui permettent des analyses fines des disparités sociales lors du recensement démographique de 2000. L'IBGE (Institut brésilien de géographie et statistique) a en effet publié les résultats de ce recensement à l'échelle la plus fine, celle des secteurs censitaires (setores censitários), soit le groupe d'environ 300 domiciles attribué à chaque agent recenseur. Ces données, ainsi que la maille graphique qui permet de les cartographier, sont librement accessibles, et vendues à bas prix4.

    De leur analyse, on peut conclure que, même dans ce Sud, globalement plus développé que le Nord et surtout que le Nord-Est du pays, et jusque dans ces villes, pourtant plus riches que les campagnes, il existe des poches de pauvreté. Parmi les variables disponibles, on a ici choisi le degré d'alphabétisation des populations: il est très élevé (plus de 95 %) au centre, mais se situe entre 70 et 90% à la périphérie. Élevés par comparaison avec ceux du Nordeste ou de l'Amazonie, ces taux sont surprenants dans le Sud, région la mieux placée de tout le Brésil. Les analphabètes ne sont donc pas absents de cette ville, et la carte montre qu'ils vivent dans les quartiers périphériques du Nord, faits de lotissements populaires et d'«invasions», et même dans le Sud, où l'imbrication de secteurs sociaux différenciés est plus forte. Deux favelas, signalées ici par le nombre des analphabètes (fig. 5), encadrent l'axe du sud-ouest, où se développent pourtant des lotissements fermés (photo 4), le golf, des tennis et un parc, à proximité du centre commercial Catuaí, qui porte le nom d'une variété de café.

    6. Modèle de l'organisation urbaine de Londrina

    En quatre-vingts ans, Londrina a donc vécu tout le cycle de vie d'une ville, de la naissance à la maturité et à ses problèmes (fig. 6). Sa deuxième gare, construite dans les années 1950 pour remplacer le bâtiment d'origine, est déjà un musée. Et pour observer de visu les changements que la ville a connus, il suffit de faire quelques kilomètres et d'aller visiter la «cité cinématographique», le lieu de tournage du film Gaijin 2, situé dans la Londrina des années 1930 et 1940 (photo 5). On peut s'y promener parmi les maisons de bois des premiers immigrants, visiter le siège de la Companhia de Terras do Norte do Paraná, tout en voyant, à l'horizon, la ville actuelle, et mesurer ainsi le chemin parcouru.


    Bibliographie

    BARROS Miriam Vizintin Fernandes (1998). Análise Ambiental Urbana: estudo aplicado à cidade de Londrina-Pr. São Paulo: Universidade de São Paulo, tese (Doutorado).

    BARROS Miriam Vizintin Fernandes, BARROS Omar Neto Fernandes, STIPP Nilza Aparecida Freres (2000). «Reflexões sobre as condicionantes geo-ambientais sob a ótica da análise ambiental urbana». Ciência geográfica, Bauru - VI, Vol. III - (17) Setembro/Dezembro, p. 4-9.

    LOBATO Roberto (1993). «Meio Ambiente e a Metrópole» in Geografia e Questão Ambiental, Rio de Janeiro: Fundação IBGE.

    LONDRINA, Secretaria Municipal de Agricultura e Abastecimento (2000). Atlas do Município de Londrina. Londrina: A Secretaria.

    MELLO N. Ap. de (1997). A urbanização brasileira e o comprometimento ambiental: a sub-bacia do ribeirão Riacho Fundo-DF. Brasília: Universidade de Brasília, Dissertação de mestrado.

    Perfil de Londrina 2003 – www.londrina.pr.gov.br