Sommaire du numéro
N° 83 (3-2006)

L’occupation de l’Europe par les chasseurs du Paléolithique supérieur: une question de climat

Pierre-Yves Demarsa

IPGQ-PACEA, UMR 5199, Université Bordeaux

Résumés  
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Entre 35 000 ans environ et 10 000 ans BP (before present: avant le présent), c’est-à-dire pendant le Paléolithique supérieur, la péninsule occidentale de l’Eurasie qui forme aujourd’hui l’Europe a été occupée par une population humaine homogène, porteuse d’une même culture, traversée d’est en ouest et du nord au sud, d’idées, d’innovations. Ces hommes étaient de type moderne; leur plus célèbre représentant est l’homme de Cro-Magnon. Leur mode de subsistance était essentiellement fondé sur la chasse de grands mammifères terrestres.

L’environnement au Paléolithique supérieur

Nous étions alors dans la seconde partie de la dernière des glaciations (celle du Würm), qui ont régné par intermittence pendant tout le Quaternaire. Ces épisodes, liés aux modifications de l’orbite de la terre autour du soleil, étaient caractérisés par des températures plus froides qu’actuellement et des précipitations plus rares.

On fait débuter la glaciation du Würm selon les auteurs entre 110 000 et 70 000 ans BP. Elle s’est achevée vers 10 000 ans BP. Pendant ce long intervalle de temps, température et humidité ont fluctué entre des stades plus froids et secs et des interstades plus tempérés. Pendant les 25 000 ans du Paléolithique supérieur, de façon schématique, le climat s’est dégradé jusqu’à un «maximum glaciaire» aux alentours de 20 000 ans BP, puis s’est lentement amélioré durant le Tardiglaciaire jusqu’au climat actuel, l’Holocène.

Ce climat plus froid a permis la formation de calottes glaciaires sur les pôles et de glaciers sur les massifs montagneux, bien plus amples que ceux actuels. Cette mobilisation de l’eau dans ces énormes masses de glace a entraîné un abaissement du niveau marin que l’on évalue entre 40 et 70 m pendant la plus grande partie du Paléolithique supérieur et jusqu’à plus de 100 m au maximum glaciaire. On comprend donc que les littoraux de l’époque étaient différents de ceux de l’Europe actuelle, et qu’ils ont constamment fluctué en fonction des évolutions climatiques.

Dans cette ambiance plus froide et plus sèche, s’est développé un paysage plus ouvert de steppe (chénopodiacées, éricacées…), avec des forêts (pin sylvestre, bouleau…) dans les endroits plus protégés comme les vallées.

On peut distinguer deux zones climatiques bien contrastées dans cette Europe de l’ère glaciaire. La première est, en gros, située au nord des Pyrénées et des Alpes. Elle est caractérisée par la présence d’une faune froide avec surtout le Renne, moins fréquemment le Mammouth, le Bison, le Cheval, d’autres espèces plus sporadiques comme l’Antilope saïga, le Rhinocéros laineux. La seconde est l’Europe méditerranéenne plus tempérée comme le montrent l’abondance du Cerf et du Bouquetin, la présence du Chamois, du Bœuf, du Sanglier, ou encore du Cheval et d’un asinien, l’Hydruntin.

Aperçu sur les populations du Paléolithique supérieur

Ces sociétés humaines ne connaissaient pas l’agriculture ni l’élevage. Elles vivaient essentiellement de la chasse de grands mammifères terrestres. Elles ne chassaient pas les animaux marins dont nous ne connaissons que quelques dizaines de restes, même dans les sites proches des côtes marines de l’époque comme dans la péninsule Ibérique. Elles n’ont commencé à exploiter véritablement une petite faune (oiseaux, petits mammifères, poissons) qu’à la fin du Tardiglaciaire. Il est très probable que les végétaux ne jouaient qu’un rôle très marginal dans le régime alimentaire (comme pour les sociétés sub-actuelles de chasseurs des latitudes hautes); les premières traces (noisette, gland) n’apparaissent qu’après cette période, à l’Holocène. Dans les sites côtiers d’Espagne, on observe cependant une collecte d’appoint de mollusques marins.

Ces populations ont laissé un grand nombre de vestiges qui prouvent qu’elles possédaient une culture complexe et qu’elles dominaient amplement le milieu dans lequel elles vivaient. Pour fabriquer leurs outils, elles utilisaient comme matières premières la pierre (surtout le silex) et l’os, couramment aussi le bois et les fibres végétales, même si quasiment aucun vestige n’a été conservé. Elles se confectionnaient des habits en peau et ont même pratiqué la couture; nous avons retrouvé les aiguilles à chas en os dans la seconde moitié de cette époque. On sait aussi qu’elles structuraient leurs habitations avec des zones d’activités autour des foyers, des zones de couchage ou de vidange. Surtout de nombreux vestiges montrent des préoccupations d’ordre esthétique comme les pendeloques en coquillage ou en dents animales, voire spirituelles comme les sépultures, les objets d’art mobiliers et naturellement les célèbres peintures pariétales dont celles de Lascaux ou Altamira.

Ces populations, du fait de leur mode de subsistance — la chasse de grands mammifères —, pratiquaient un nomadisme semblable à celui des chasseurs-cueilleurs sub-actuels. La raison en était l’épuisement rapide du gibier autour de l’habitat, les migrations saisonnières animales, l’apparition de nourriture dans certains lieux ou régions de leur territoire. Nous commençons à déchiffrer ces cycles spatio-temporels qui structuraient l’année et l’espace parcouru; ils s’effectuaient dans le cadre de stratégies économiques, dont nous percevons la logique. Ainsi, dans le cas le mieux étudié, l’approvisionnement en silex, des choix s’opéraient en fonction de l’éloignement de la matière première, de son accessibilité, de ses qualités mécaniques; le transport pouvait se faire sous forme de matière brute ou de produits finis ou semi-finis.

Ce nomadisme entraînait l’occupation d’habitats plus ou moins temporaires suivant les saisons. Pour ceux-ci, ces populations ont recouru abondamment aux entrées de cavités ou aux abris-sous-roche lorsque ceux-ci étaient présents, quoiqu’elles fussent tout à fait capables de dresser des tentes, voire de construire des cabanes.

Leur densité démographique était extrêmement faible, sans commune mesure avec ce que nous connaissons aujourd’hui. La raison en est simple: ce sont essentiellement des chasseurs, faisant peu appel à la cueillette de végétaux. À l’image de carnivores stricts, comme la Belette ou le Lynx, l’exploitation dans le réseau trophique des seules strates supérieures ne permet pas une densité forte (Ramade, 1994). C’est d’ailleurs ce que l’on observe chez les populations de chasseurs de caribous du subarctique canadien: des densités qui dépassent rarement 1 homme/100 km2 et qui sont souvent bien plus faibles (Kroeber, 1963). En conséquence, c’est en milliers de personnes qu’il faut estimer la population de l’Europe au Paléolithique supérieur (Bocquet-Appel et al., 2005).

Ceci dit, répétons-le, l’emprise de ces sociétés sur leur environnement était tout à fait conséquente, semblable à celle des chasseurs-cueilleurs actuels, bien loin de l’image de «l’homme des cavernes» accablé par une nature hostile et glacée, telle qu’on la subodorait au XIXe siècle.

La méthodologie

La base de données

Depuis une dizaine d’années, nous avons développé un outil: «Le répertoire des sites du Paléolithique supérieur en Europe centrale et de l’Ouest et du Mésolithique en France». Il est fondé sur un dépouillement systématique des publications. Son but est d’esquisser une paléogéographie des populations de chasseurs-cueilleurs de la Préhistoire. Dans cette base sont enregistrées aussi bien des informations concernant le site (implantation, type, périodes d’occupation…), que les vestiges qui y ont été recueillis (outillages lithiques ou osseux, faune, objets d’art, radiocarbone…). Seule une petite partie de ces données est utilisée ici.

Cette base est limitée, pour des raisons pratiques, à deux périodes: le Paléolithique supérieur en Europe jusqu’aux frontières de l’ex-URSS et le Mésolithique de la France. Seule la première période nous intéresse ici.

Les localisations des sites

L’espace européen est divisé en entités géographiques, sur quatre niveaux, utilisant en partie le découpage administratif actuel. Les sites sont localisés pour ce travail sur deux niveaux géographiques.

Le premier niveau concerne les «régions». Celles-ci correspondent à des entités administratives relativement larges de l’ordre de quelques milliers de km2 (département, province, voïvodie, etc.). On peut considérer que pour ce travail, un maillage de l’Europe occidentale (soit environ 3,5 millions de km2sans les pays scandinaves) avec des régions d’environ 10 000 km2 est suffisant. Cependant, ces entités administratives possèdent des superficies variables à l’intérieur d’un pays et surtout d’un pays à l’autre. En France, par exemple les départements (entité administrative choisie) ont une surface qui varie en général entre 5 000 km2 et 9 000 km2; en Espagne, les provinces sont plus grandes, avec en moyenne une superficie un peu supérieure à 10 000 km2; en Italie, celles-ci sont nettement inférieures (moyenne: 3 300 km2). Cet inconvénient est secondaire et n’amène pas de biais dans la lecture des cartes. Celles-ci représentent le nombre de sites pour chaque « région ».

Le second niveau concerne les «aires». Celles-ci regroupent un certain nombre de régions. Elles ont été établies de manière à circonscrire des entités géographiques suffisamment vastes et relativement homogènes. Elles sont le résultat de compromis entre des critères très variés, soit topographiques comme l’absence de grande barrière à l’intérieur de l’aire, soit archéologiques comme l’homogénéité du cortège faunique ou la densité et l’évolution dans la répartition des sites. Ce sont donc:

  • la Corne aquitano-cantabrique autour du golfe de Gascogne (Côte cantabrique, Nord-Pyrénées, Nord-Aquitaine);
  • l’Europe atlantique, regroupant des régions s’ouvrant sur l’Europe septentrionale, jusqu’à la latitude 51° et la longitude 13° environ (reste de la France sauf le Midi, Allemagne sans le Nord, Wallonie, Luxembourg, Suisse);
  • l’Europe centrale, centrée principalement sur le bassin moyen et inférieur du Danube (Basse-Autriche, Tchéquie, Slovaquie, Sud de la Pologne, Hongrie, Roumanie sans le Sud);
  • l’Europe du Nord, au-delà de la latitude 51° environ (Grande-Bretagne, Flandre, Pays-Bas, Nord de l’Allemagne, Danemark, Sud de la Suède, Nord de la Pologne);
  • l’Europe méditerranéenne, caractérisée surtout par une faune tempérée (péninsule Ibérique sans la côte cantabrique, Midi de la France, Italie, ex-Yougoslavie, Grèce, Bulgarie, Sud de la Roumanie).

Chacune de ces aires est délimitée sur la carte.

Le découpage chronologique

Comme nous l’avons vu, les populations du Paléolithique supérieur pratiquaient la taille de la pierre pour fabriquer leurs outils. Ils utilisaient aussi l’os et les bois animaux. Toutefois, ces techniques ont évolué pendant toute cette période suivant des traditions, appelées aussi «cultures», qui produisent des objets caractéristiques d’une époque ou d’une région. Ainsi va-t-on parler de Magdalénien ou d’Aurignacien. Chacune de ces traditions est relativement bien délimitée dans le temps et l’espace, à une échelle suffisante, ici de l’ordre de plusieurs millénaires. C’est donc elles qui sont utilisées pour replacer chaque site dans la chronologie.

Ce choix est dicté par une raison très simple: les datations radiocarbone, en théorie plus précises, sont inapplicables à une très grande majorité de sites, fouillés avant l’introduction et le développement de la méthode radiocarbone ou qui ne permettent pas son utilisation de cette méthode. En conséquence, il aurait fallu écarter de nombreux sites, notamment, presque tous les habitats de plein air dans lesquels la matière organique nécessaire aux datations n’est pas conservée, et donc introduire un biais dans la répartition des sites.

Nous distinguerons donc cinq périodes:

  • l’Aurignacien (35 000 à 29 000 ans BP environ), d’après une tradition technique qui a recouvert la totalité de l’Europe et jusqu’au Moyen-Orient;
  • le «Gravettien» (29 000 à 22 000 ans BP environ), autre tradition technique générale à toute l’Europe qui présente une variante en Europe centrale et de l’Est que l’on distingue parfois sous le nom de Pavlovien;
  • le Maximum glaciaire (22 000 à 16 500 ans BP environ), qui correspond à la période la plus froide de la fin du dernier glaciaire, pendant lequel se sont développées plusieurs traditions techniques: le Solutréen puis le Badegoulien sur la façade atlantique, l’Épigravettien ancien dans l’aire méditerranéenne;
  • le Tardiglaciaire (16 500 à 12 000 ans BP environ), autre période climatique correspondant à la fin de la glaciation, pendant laquelle les traditions techniques se poursuivent avec le Magdalénien et l’Épigravettien évolué;
  • l’Épipaléolithique (12 000 à 10 000 ans BP environ) qui, en toute rigueur, appartient aussi au Tardiglaciaire, mais à son extrême fin quand le climat bascule vers l’actuel et où apparaît un foisonnement des techniques de taille: Hambourgien, Azilien, Creswellien, Swidérien, etc.

L’évolution dans la répartition des sites au Paléolithique supérieur

Rappelons que le niveau marin était plus bas qu’aujourd’hui et qu’en conséquence, les côtes pouvaient être parfois très éloignées du rivage actuel. Un certain nombre de sites sont donc aujourd’hui submergés et inaccessibles. Cependant, comme nous l’avons vu, ces populations n’exploitaient pas les produits de la mer pour leur subsistance, sauf accessoirement. Il ne faut alors pas envisager, le long des côtes, de concentrations de sites associés à ces activités. De plus, à cette époque, sauf dans sa période tardive, les occupations étaient plutôt situées dans des reliefs collinaires ou montagneux, rarement en plaine. C’est ce que montrera la répartition des sites dans les cartes suivantes. Celles-ci donnent donc une image certes tronquée, mais relativement fidèle de l’occupation.

Aurignacien: 452 sites (fig. 1)

1. Répartition des sites à l’Aurignacien (35 000 - 29 000 BP)

Le phénomène fondamental que l’on constate dès l’abord est la très inégale répartition des sites dans l’espace. La Corne aquitano-cantabrique avec 191 sites apparaît comme une zone de concentration face à une Europe relativement vide, et cela pendant tout le Paléolithique supérieur. Dans cette zone, le Nord de l’Aquitaine, Périgord et départements voisins, centré sur la basse vallée de la Vézère, regroupe une majorité de sites; le titre de «capitale de la Préhistoire» donné au bourg des Eyzies-de-Tayac n’est pas usurpé, du moins pour cette époque.

Deux autres régions seulement présentent de petites concentrations: la Wallonie avec un ensemble de sites bien groupés le long de la vallée de la Meuse; et la Moravie-Basse-Autriche, équivalent pour l’Europe centrale de ce qui s’observe dans le Nord de l’Aquitaine. Les zones vides sont nombreuses et immenses: les plaines du Nord de l’Europe, le Plateau central de la péninsule Ibérique, la région des Balkans. Les sites les plus septentrionaux sont ceux de Paviland dans le Sud du Pays de Galles et de Hermannhöle en Saxe, c’est-à-dire à une latitude de 52° environ. Il faut se rappeler aussi la grande extension de la calotte glaciaire polaire, pour laquelle nous n’avons pas de cartographie, mais qui devait recouvrir au moins en partie la région scandinave et probablement le Nord des Îles britanniques.

Ainsi, dès cette époque, se met en place un schéma d’occupation de l’Europe très inégal, avec des zones de concentrations élevées, moyennes ou faibles, et des régions où les sites sont absents ou très rares. Ce mode de répartition irrégulier pourrait se retrouver à d’autres échelles, celle d’une région ou d’une vallée.

Gravettien: 381 sites (fig. 2)

2. Répartition des sites au Gravettien (29 000 - 22 000 BP)

La structure d’occupation de l’espace reconnue à l’Aurignacien se répète avec quelques nuances au Gravettien. Un grand nombre des sites recensés se regroupent à nouveau dans la Corne aquitano-cantabrique (154, soit 40%). On observe de même une prédominance de la région Nord-Aquitaine et dans celle-ci, l’importance de la basse vallée de la Vézère. Le Nord du bassin pannonien (Moravie, Basse-Autriche, Ouest de la Slovaquie) présente une concentration plus importante de sites qu’à l’époque précédente avec quelques-uns des sites majeurs du Gravettien. Les zones vides sont les mêmes qu’à l’Aurignacien, avec notamment une totale absence d’occupation de l’Europe du Nord, liée en partie, comme à la période précédente, à une grande extension de la calotte glaciaire polaire.

En résumé, la répartition des sites à cette époque est proche de celle que l’on trouve pour l’Aurignacien. La Corne aquitano-cantabrique reste de loin la région la plus peuplée, ceci dans les mêmes proportions qu’à l’époque précédente. Tout au plus voit-on l’émergence d’un autre pôle secondaire en Europe centrale.

Maximum glaciaire: 446 sites (fig. 3)

3. Répartition des sites au Maximum glaciaire (22 000 - 16 500 BP)

Lors de cette période, le climat devient extrêmement froid. Des travaux en palynologie estiment pour la date de 18 000 ans BP des températures annuelles moyennes inférieures à l’actuel d’environ 11° à 13° pour la zone atlantique, et 7° à 11° pour la zone méditerranéenne (Peyron et al., 1998). De même, les précipitations annuelles moyennes étaient inférieures de 400 à 900 mm par rapport à l’actuel. La calotte glaciaire recouvrant le Nord de l’Europe et de l’Amérique du Nord atteint alors son maximum d’extension. Des tentatives de cartographie montrent qu’elle recouvrait la moitié nord des Îles britanniques, l’ensemble de la Scandinavie et les régions autour de l’actuelle mer Baltique (French, 1996). Cette mobilisation de l’eau a entraîné une baisse maximale du niveau marin provoquant notamment la disparition totale de la Manche. Les travaux menés sur ce sujet estiment ce retrait, suivant les auteurs, entre 100 et 120 m environ (Pirazzoli, 1996).

Face à cet environnement devenu très rigoureux, les populations paléolithiques se sont repliées vers l’ouest et dans l’aire méditerranéenne. Dans ce scénario, la moitié nord et le centre de l’Europe sont abandonnés. La Corne aquitano-cantabrique joue un rôle de zone refuge, particulièrement pendant la première moitié de cette période (53% des sites). En réalité, cette fréquence serait beaucoup plus élevée si nous avions la capacité de subdiviser cette période en deux; en effet, le second épisode voit une amélioration climatique vers 17 000 ans BP, une remontée des sites en latitude (comme en altitude dans les massifs montagneux) dans le Bassin pannonien et le Bassin parisien, comme le montrent les datations radiocarbone dont nous disposons pour ces sites (Demars, 2002a et b).

On peut constater que cette détérioration climatique a entraîné un très net retrait des occupations de l’Europe septentrionale et centrale et une réduction forte de l’œkoumène.

Tardiglaciaire: 735 sites (fig. 4)

4. Répartition des sites au Tardiglaciaire (16 500-12 000 BP)

Cette période débute par un épisode froid et sec autour de 16 000 ans BP, le Dryas ancien, lié à «l’événement de Heinrich 1», une énorme débâcle d’icebergs dans l’Atlantique Nord, jusqu’à la latitude de Gibraltar, causée par une déstabilisation de la calotte glaciaire (Bradley, 1999). À partir de cette date, on voit une lente remontée, assez régulière, des températures et des précipitations.

Cette amélioration climatique entraîne deux phénomènes: d’une part, une reconquête des latitudes hautes et des massifs montagneux associée au retrait de la calotte glaciaire et des glaciers; d’autre part, un accroissement démographique mis en valeur par l’augmentation du nombre des sites (Bocquet-Appel et al., 2005). Cet accroissement de la population ne se produit pas tant dans la Corne aquitano-cantabrique, ni dans l’Europe méditerranéenne dont les densités d’occupation semblent assez constantes, que dans la zone atlantique et centrale de l’Europe. En revanche, l’Europe du Nord reste vide.

Épipaléolithique: 1 211 sites (fig. 5)

5. Répartition des sites à l’Épipaléolithique (12 000-10 000 BP)

C’est la continuation de la période précédente: une amélioration climatique qui se résout par un climat proche de l’actuel. En réponse à cet événement, les populations paléolithiques adaptent leurs comportements, notamment cynégétiques. Ce phénomène a débuté dès l’époque précédente. Ces chasseurs élargissent le spectre de la faune chassée, non plus exclusivement aux grands mammifères terrestres, mais vers les poissons (d’abord le Saumon), les oiseaux, les petits mammifères (léporidés, marmottes).

Une autre conséquence, qui nous intéresse plus, est une occupation de l’Europe qui se poursuit vers les hautes latitudes. Pour la première fois, l’Europe du Nord possède un nombre conséquent de sites (318), essentiellement des petites stations de plein air. La remontée du niveau de la mer est insuffisante pour submerger la bande de terre entre le continent et l’Angleterre. En revanche, dans le Sud de l’Europe, la densité des sites progresse beaucoup moins vite (fig. 6, tabl. 1); la Corne aquitano-cantabrique perd définitivement sa primauté. À une échelle plus grande, on pourrait voir une meilleure répartition de l’occupation, notamment dans les massifs montagneux.

Un autre point important est la multiplication des sites, fait d’autant plus remarquable que cette période est relativement courte (deux millénaires environ). Cette explosion démographique est le prélude de ce qui va se passer dans la période suivante, le Mésolithique, celle des derniers chasseurs-cueilleurs d’Europe vivant dans un environnement tempéré et plus boisé. À cette époque, le début de l’Holocène, dans l’ensemble de l’Europe, la densité des populations augmente, grâce notamment à un mode de subsistance qui donne une grande part à l’exploitation des végétaux.

6. Nombre de sites suivant l’aire géographique et l’époque Animation sur toutes les périodes

Conclusion

La Préhistoire possède cet avantage, par rapport à l’Histoire ou l’Ethnologie: celui de mettre en lumière l’évolution des cultures humaines sur d’énormes perspectives de temps. Son gros défaut est de n’avoir accès qu’à une très petite partie de ces mêmes cultures, presque essentiellement la culture matérielle, à cause de la disparition d’une grande partie des traits culturels. Cependant, les progrès de l’archéologie préhistorique ont permis d’élargir cette étroite fenêtre par laquelle nous observons ces sociétés.

Dans le domaine étudié ici, les rapports de l’homme et du climat, nous aurions pu tout aussi bien observer ce phénomène à une autre échelle, celle du Périgord ou des Pyrénées, ou à l’aide d’une autre grille de lecture comme les choix cynégétiques de ces chasseurs. Nous aurions pu constater que, à ces niveaux aussi, les modifications climatiques ont retenti sur les comportements humains. Cependant, nous avons porté notre regard sur un point particulier: l’occupation de l’Europe centrale et de l’Ouest et son évolution couplée aux fluctuations climatiques. Nous avons pu montrer qu’à cette échelle existaient des constantes et que les modifications de l’environnement ont entraîné de grands bouleversements:

  • comme pour l’époque moderne, de très fortes disparités dans l’occupation de l’espace, avec une concentration autour du golfe de Gascogne, la Corne aquitano-cantabrique, des concentrations secondaires au nord du bassin pannonien et en Wallonie, de vastes régions quasiment inoccupées surtout dans les plaines septentrionales et les régions d’altitude;
  • une phase de régression de l’œkoumène vers l’ouest et le sud, lors du maximum glaciaire, associée à l’extension de la calotte glaciaire, avec un rôle de zone refuge de la Corne aquitano-cantabrique, qui possède alors plus de la moitié des sites connus;
  • avec l’amélioration climatique du Tardiglaciaire, une phase d’extension vers les latitudes hautes (et dans les massifs montagneux) jusque dans le Nord de l’Europe, manifestement liée au retrait des glaces, corrélée à une croissance de la population que montre la multiplication des sites (et qui d’ailleurs se poursuit avec l’explosion démographique néolithique au moment de l’introduction de l’agriculture et l’élevage).

Si l’on comprend bien les raisons de cette «pulsation» de l’œkoumène au cours du Paléolithique supérieur, il est plus difficile de connaître les causes de la prédominance des régions entourant le golfe de Gascogne. On peut supposer que des conditions climatiques, (température, précipitations), probablement géographiques aussi, y ont permis l’existence d’une faune relativement nombreuse (surtout le Renne en Aquitaine et le Cerf en Cantabrie), et en conséquence d’une population de chasseurs plus dense que dans le reste de l’Europe. Ce qu’il est possible de dire, c’est que le rôle majeur de cette région s’est accentué pendant les périodes froides et a disparu lorsque s’est installé le climat tempéré actuel.

En fait, si l’économie de subsistance de ces sociétés, fondée sur la chasse de grands mammifères terrestres, les amène à être fortement dépendantes des conditions climatiques et des évolutions de l’environnement, nous constatons aussi qu’elles sont capables de s’adapter et de se développer dès que les conditions le permettent. Ces fluctuations se sont accompagnées de multiples innovations, notamment dans la panoplie d’outils et d’armes.

Nous entrons là dans un domaine où les comportements humains ont eu une grande importance. Les techniques d’acquisition, les stratégies économiques d’exploitation de l’environnement, les cycles annuels spatio-temporels d’occupation du territoire, se dévoilent aujourd’hui grâce à de nouvelles approches archéologiques. Elles montrent une grande maîtrise et une grande connaissance du milieu naturel qui rendent ces hommes bien proches de nous. Mais ceci serait un autre sujet.

Bibliographie

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