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Déchire tout et recommence

«Déchire tout et recommence», tel aurait pu être le slogan de ceux qui ont animé la scène musicale à la fin des années 1970 et au début des années 1980. L’étude extrêmement documentée du journaliste Simon Reynolds, servie par un très bon travail de traduction et d’édition, permet de comprendre la logique spatiale de la révolution musicale qui s’est produite à ce moment-là. L’intelligence de l’auteur est d’avoir compris que l’explosion punk des années 1976-1977, à Londres et à New York, n’est que le prélude d’un mouvement, moins spectaculaire que les provocations des Sex Pistols, mais qui remet en question la culture pop de la fin des années 1960. Avec pour toile de fond la politique de rigueur de Margaret Thatcher dans un Royaume-Uni en crise, on assiste à l’émergence de scènes musicales singulièrement créatives en Angleterre, car le foyer d’innovation est bien là. Manchester, une ville loin des utopies hippies, polluée, grise et frappée par le chômage, voit apparaître des groupes comme Joy Division (cf. le film Control d’Anton Corbijn, sorti en 2007) ou A Certain Ratio. À Sheffield, naissent des formations tentées par l’électronique, le minimalisme et un beat disco, Heaven 17 ou Cabaret Voltaire par exemple. Londres, et son label Rough Trade, est un autre foyer post-punk. De l’autre côté de l’Atlantique, dans des États-Unis imprégnés de rock viril ou psychédélique, quelques lieux se démarquent: bien évidemment San Francisco, ville des avant-gardes, avec Tuxedo Moon, The Residents, Dead Kennedys, ou New York (Talkings Heads et Brian Eno, etc.), mais également Akron avec Devo.

Outre ceux qui avaient une vingtaine d’années au début des années 1980 et qui considèrent que des groupes comme PIL, Gang of Four ou Talking Heads sont des éléments incontournables de la musique de la fin du XXe siècle, cette histoire non chronologique d’une musique, dite parfois industrielle, doit intéresser les géographes pour analyser comment se diffusent des innovations dans l’espace. Ce livre nous offrirait l’ensemble des matériaux, n’eussent été la quasi-absence de groupes comme Cure ou Eyeless in Gaza et surtout l’oubli de la scène du Benelux, extrêmement féconde. Mais sachons gré à Simon Reynolds d’avoir placé au cœur de sa réflexion un certain nombre de lieux, dont la portée de ce qui s’y passe va dépasser largement les cercles post-punks en étant partiellement à l’origine de la techno ou de l’introduction d’éléments «ethniques» dans la musique pop, preuve que ces «moments de lieu» (Knafou R., Tourismes 2, 2005) ont servi ailleurs de référence pour construire une musique qui s’est répandue à travers le monde.

Jean-Christophe Gay

REYNOLDS S. (2007). Rip it up and Start Again. Paris: Allia, 686 p. ISBN: 978-2-84485-232-8