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L’aporie corse

Sachons gré aux auteurs de s’être frottés à un sujet aussi complexe et sensible que cette géopolitique de la Corse. Avec cet ouvrage courageux Joseph Martinetti et Marianne Lefèvre ne se feront pas que des amis sur l’«île de Beauté», dont la société et l’économie en crise ne sont pas sans rappeler l’outre-mer français, la violence en plus. Leur analyse décapante pourfend la notion molle et parfois dangereuse d’«identité», décortique la tourismophobie, se gausse de la corsophilie affichée de certaines vedettes du show biz et de certains hommes politiques, qui ménagent ainsi la pérennité de leur résidence secondaire et la tranquillité de leur séjour.

La première partie de ce livre riche est une lecture géopolitique de la «crise identitaire corse». De la fabrication d’une authenticité corse à la dérive mafieuse de certains mouvements indépendantistes, en passant par la lâcheté et les multiples compromissions des gouvernants depuis une trentaine d’années, sans omettre l’incohérence des politiques de développement, les tares socio-économiques sont dénoncées. À l’instar des régions ultrapériphériques de l’Union européenne (RUP), on peut apprécier l’instrumentalisation de l’insularité qui a permis de naturaliser les handicaps de développement et de légitimer un traitement spécifique de ce territoire.

La deuxième partie s’inscrit dans la longue durée, abordant le maintien des structures claniques ou évoquant le basculement de la Corse de l’Italie à la France à la fin du XVIIIe siècle ainsi que le rôle des Corses dans l’empire colonial. On notera les intéressants regards furtifs italiens sur la Corse qui renseignent sur les relations actuelles et paradoxales qu’entretient l’île de Beauté avec sa voisine sarde et la Péninsule.

La dernière partie, de loin la plus fournie, est consacrée aux anciens et nouveaux acteurs de cette géopolitique depuis les années 1960. L’émergence du nationalisme est longuement analysée, notamment ses relations au tourisme, bouc émissaire idéal pour la lutte armée face aux menaces de «baléarisation» ou de bétonnage, alors que le trésor de guerre amassé grâce au racket est aujourd’hui largement réinvesti dans le tourisme. La relation des médias parisiens avec le régionalisme et l’indépendantisme corses donne lieu à des développements intéressants, notamment sur la couverture par Le Monde de la question corse, largement marquée à partir de la fin des années 1980, selon les auteurs,  par une idéologie reposant sur la défense des minorités opprimées.

On le voit, Joseph Martinetti et Marianne Lefèvre font feu de tout bois avec panache. Dommage que l’illustration ne soit pas à la hauteur: pas de photographie, aucun graphique, trop peu de cartes, certaines de surcroît étant incomplètes comme celle de la page 78 sur laquelle les limites communales n’apparaissent pas alors qu’elles sont indiquées en légende.

Jean-Christophe Gay

MARTINETTI J., LEFÈVRE M. (2007). Géopolitique de la Corse. Paris: Armand Colin, coll. «Perspectives géopolitiques», 262 p. ISBN: 978-2-2003-5098-7