Sommaire du numéro
N°74 (2-2004)

LA PROVENANCE DES PARTICIPANTS
AU GRAND RAID DE LA RÉUNION.

Olivier BESSY Olivier NARIA

Université de La Réunion
Centre Universitaire de la Recherche en Activité Physique
et Sportive (CURAPS)
Centre de Recherches et d'Études en Géographie de l'Université
de la Réunion (CREGUR) et (CURAPS)

Résumés  
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Introduction

Comme tout événement sportif d'envergure, le Grand Raid de la Réunion se caractérise par un recrutement géographique qui dépasse les frontières locales. L'analyse de l'origine des participants met en évidence une diversité des pays et des régions d'origine, liée au succès national et international de cet événement. Notre étude s'inscrit dans la perspective théorique ouverte par les travaux de D. Mathieu et J. Praicheux (1989) et de J.-P. Augustin (1995, 2002), sur les dynamiques socio-spatiales du sport. Son originalité vient de ce que cet événement a un caractère plus participatif que compétitif, alors que les précédentes recherches ont plutôt porté sur «l'espace mondial des grandes manifestations sportives internationales» (Mathieu et Praicheux, 1989). Les lieux de résidence des participants de l'édition de 2001 ont été obtenus à partir des bulletins d'inscriptions fournis par l'association organisatrice.

Le Grand Raid de la Réunion

1. Le trajet et les altitudes du Grand Raid de la Réunion

Le Grand Raid de la Réunion, parfois surnommé «Diagonale des Fous», est une randonnée sportive balisée de 125 km de long et 8 000 m de dénivelée ascendante, qui se déroule en milieu montagnard, en une seule étape et en passant par 21 postes de ravitaillement et de contrôle. Le parcours traverse l'île du sud-est au nord-ouest en faisant découvrir aux participants la forêt tropicale, le volcan, les hautes plaines, les cirques, les pitons, les cascades et l'océan. Le temps limite pour l'effectuer en étant classé est fixé à 60 heures. Le Raid est reconnu par la FFME (Fédération Française de Montagne et d'Escalade) et organisé par une association.

L'originalité du parcours

Dans sa catégorie, et à l'échelle mondiale, le Grand Raid totalise la plus grande distance à parcourir et la plus forte dénivelée cumulée à effectuer de jour et de nuit. Il emprunte cinq cols ou passages à plus de 2 000 m d'altitude, des montées à 30%, des sentiers escarpés et abrupts. Aucun autre raid pédestre ne propose un tel défi physique. Le parcours présente une diversité et une beauté de paysages rarement égalées. Le tracé traverse les plus beaux sites de La Réunion, offrant aux participants la scène la plus spectaculaire qui soit. Le sentiment de participer à une épreuve unique au monde fait incontestablement rêver et explique pour une grande part son succès.

Une épreuve accessible et ouverte

Le Grand Raid symbolise la nouvelle génération d'événements sportifs participatifs. Les organisateurs privilégient une logique d'intégration au détriment d'une logique de sélection. Accessibilité sportive, humaine et sociale se conjuguent. Il n'est nul besoin d'être licencié ou d'avoir fait des minimas pour s'inscrire. Le temps limite (60 heures) est suffisamment large pour terminer en étant classé. Enfin, cette épreuve laisse ainsi aux participants une ample marge de manœuvre dans les stratégies et options choisies comme dans le degré d'engagement. Elle peut être accomplie à différentes allures, de la course à la marche, et les temps de repos sont gérés librement. Un grand soin est apporté à la sécurisation active et passive (dispositif médical, suivi informatique, balisage…) et au confort logistique (ravitaillements fréquents et soins du corps) proposés. Le ticket d'entrée est peu onéreux (600 F) par rapport aux autres épreuves du même type, ce qui permet d'ouvrir l'éventail social des participants. Toutes ces caractéristiques font du Grand Raid un événement sportif ouvert au plus grand nombre, à toutes les catégories de coureurs et de marcheurs.

Un positionnement hybride

Une autre originalité du Grand Raid est d'associer à la fois la possibilité de s'investir aussi bien sur le pôle de l' « extrême d'élite » que sur celui de l' «extrême de masse» (Yonnet, 1998). Il permet à une minorité de participer à une compétition athlétique faisant partie du challenge FFME. Il cultive alors la dimension d' «extrême sportif» dans la mesure où c'est une épreuve chronométrée avec classement. Le Grand Raid offre en même temps un espace de défi personnel particulièrement intense et un théâtre exceptionnel d'exploration de soi-même à ceux qui n'ont pas d'ambition sportive affichée, et apparaît également comme un moyen idéal de découverte d'une région sous la forme d'un tourisme d'aventure; il privilégie ainsi l'«extrême de masse», dans la mesure où il permet à chaque participant de tester ses propres limites, en fonction des ses ressources personnelles. Le rattachement du Grand Raid à la FFME et non à la FFA (Fédération Française d'Athlétisme) témoigne de ce positionnement. Cette épreuve est d'ailleurs définie par les organisateurs comme une randonnée sportive et non comme une course.

Un accueil chaleureux et une fête spontanée

Une des caractéristiques du Grand Raid est d'offrir un accueil particulièrement chaleureux, lié à la logique associative et au bénévolat qui en découle, comme à la participation spontanée de la population locale. Du départ à l'arrivée en passant par les multiples points de ravitaillement, c'est toute la Réunion qui se mobilise pour faire vivre l'événement. Bénévoles attitrés et spontanés façonnent la course à travers leur gentillesse, leur sens de l'hospitalité, leur don de soi. Le Raid renoue ainsi avec une confraternité ancestrale tout en symbolisant une forme contemporaine de la fête qui se démarque de la fête rituelle, rythmée par un cérémonial bien précis, et de la fête spectacle, synonyme de consommation de masse. Il privilégie une fête construite de manière spontanée et vécue intensément par chacun des participants et des bénévoles dans un espace-temps libre et ouvert. Il donne un nouveau sens à la fête qui devient une occasion privilégiée de créer du lien social et de la solidarité. (Di Méo, 2001).

L'originalité du concept permet de comprendre la place singulière que le Raid occupe aujourd'hui dans le champ mondial des épreuves pédestres de montagne et d'aventure et dans le paysage réunionnais…

Une modification de l'origine des participants

Tout d'abord réservé presque exclusivement aux Réunionnais, le recrutement des participants au Grand Raid change à partir du milieu des années 1990. Des concurrents extérieurs toujours plus nombreux affluent, à la faveur de la reconnaissance internationale de l'événement. Faire le Grand Raid devient une référence dans le microcosme sportif. De 165 en 1995, le nombre des participants venus d'ailleurs passe à 900 en 2002.

Leur pourcentage passe de 19 en 1995 à 40 en 1996, 43 en 1998, puis se stabilise autour de 36% dans les années 2000. Ce léger tassement est lié à une forte pression locale qui a obligé les organisateurs à mettre en place des quotas (deux tiers de locaux et un tiers extérieur) afin de satisfaire la population de l'île. Il est aussi à mettre en rapport avec le souci des organisateurs de limiter le nombre d'inscrits en raison de considérations sécuritaires et écologiques.

Une origine internationale diversifiée mais limitée

2. La répartition géographique des participants

L'Europe est très présente parmi les inscrits (75% des étrangers) : Allemagne (19), Italie (15), Luxembourg (12), Suisse (10), Belgique (4), Angleterre et Espagne (3). Les pays de l'Océan Indien (Maurice, Mayotte, Madagascar, Afrique du Sud), aux ressources plus limitées, profitent de leur proximité géographique. Quelques nations riches plus éloignées (Japon, Australie, Canada, États-Unis) ont des représentants. Toutefois les participants étrangers ne représentent que 5% de l'effectif global et la participation des pays non européens est très faible (un à trois concurrents), à l'exception de l'île sœur voisine (11 venant de Maurice).

C'est la métropole qui assure l'essentiel de la croissance et de la participation extérieure; celle-ci passe de 395 à 875 dans la période considérée, la métropole passant alors de 135 à 758. Les DOM-TOM et plus particulièrement la Martinique (14) sont bien représentés, en raison d'échanges institutionnels entre le Tchimbé Raid et le Grand Raid qui font partie tous les deux du challenge national de la FFME.

La médiatisation de l'événement dans de nombreuses revues étrangères laissait espérer plus d'impact planétaire, mais la position géographique excentrée de l'île, le coût du voyage et la concurrence avec d'autres épreuves de nature similaire sont des variables explicatives de cette internationalisation limitée. La Réunion se situe dans une zone plutôt pauvre et donc peu propice à la venue d'étrangers. À l'image du tourisme en général (1), ce sont les métropolitains (87%) qui alimentent en grande majorité les rangs des concurrents extérieurs. Si on rajoute la Martinique en tant que DOM, l'Allemagne, l'Italie, la Suisse et le Luxembourg pour l'Europe occidentale, et Maurice et Mayotte pour l'Océan Indien, on atteint 95% des participants. On peut donc parler davantage de confidentialité spatiale que de diffusion spatiale dans le recrutement envisagé à l'échelle mondiale.

Des origines urbaines et montagnardes

3. La localisation des concurents métropolitains

La surreprésentation des grands centres urbains (Paris, Lyon, Marseille, Toulouse, Lille, Bordeaux) est la donnée majeure, même en tenant compte des valeurs relatives. Selon notre enquête, 60% des participants au Grand-Raid habitent dans une ville de 50 000 habitants au moins dont 43% dans une agglomération de plus de 100 000 habitants. Seulement 10% des coureurs proviennent de communes de moins de 10 000 habitants. Cette origine urbaine s'explique, comme la fréquentation des stations de sports d'hiver, par un besoin d'évasion et d'hédonisme en «quête de lieux où se forger une identité […] à la recherche des paradis perdus» (Augustin, 1995). Pour P. Bourdeau (1994), les citadins réagissent «par une recherche assidue de compensation qui irrigue le tourisme et les loisirs sportifs au moyen d'une intense mobilité dans l'espace et le temps»; la part élevée de diplômés, de personnes seules et de groupes sociaux fortunés y facilite les déplacements lointains (Mignon et Truchot, 2002).

Moins attendue peut-être est la proportion d'inscrits venant de régions montagnardes. Rhône-Alpes (31%), Midi-Pyrénées (21%) et Vosges (15%) se distinguent. Sans doute ont-ils intégré le relief dans leur sportivité et cherchent-ils à dépasser leurs barrières habituelles. Venir explorer leurs limites au Grand Raid de la Réunion leur apparaît comme un aboutissement.

Cependant, des départements comme le Morbihan, la Mayenne ou la Côte d'Or, ni particulièrement urbains, ni particulièrement montagneux, sont bien représentés aussi dans cette liste. La recherche d'un «ailleurs» au sens de Xavier Piolle (1994) est sans doute une hypothèse explicative à laquelle il faut associer la diffusion sociale du modèle de l'extrême, qui a tendance à gommer les particularismes géographiques. Et, s'agissant de petits nombres, il faut compter avec le hasard des découvertes individuelles et de l'entraînement de groupes d'amis et de voisins.

Déséquilibre dans la provenance des Réunionnais

4. La distribution géographique des participants
à l'île de la Réunion

La localisation des participants réunionnais obéit à une trame géographique qui date des premières éditions. Elle met en évidence trois déséquilibres.

Le premier concerne la surreprésentation des concurrents habitant les communes les plus peuplées (Saint-Denis, Saint-Pierre, Saint-Paul, Le Tampon), qui totalisent systématiquement plus de 40% des participants. Il obéit à la même logique culturelle qu'en métropole dans le sens où le mode de vie urbain favorise ce type d'engagement. (Chateaureynaud Y. et Lapierre A., 1996).

Le second déséquilibre tient à la faible participation des «Hauts» (Cilaos, Salazie, Plaine des Palmistes, L'Entre-Deux). On aurait pu s'attendre à une forte participation des habitants des communes montagnardes habitués à l'effort, profitant d'un terrain d'entraînement adapté et désireux de se mettre en valeur à travers cette épreuve. Il contredit d'ailleurs les travaux d'André Lapierre (1999) qui mettent en évidence l'enracinement des épreuves énergétiques à caractère extrême dans la culture créole. Apparemment, les habitants des cirques et des Hautes Plaines de la Réunion ne voient pas l'intérêt d'aller défier des montagnes qui structurent leur quotidien. Leur faible engagement est sans doute à l'image du retard de développement et d'aménagements de cette partie de l'île (Jauze, 1998). La participation des Cilaosiens (au nombre de 5) par exemple est révélatrice de l'enclavement à la fois géographique et culturel de ce cirque.

Enfin le troisième déséquilibre s'observe dans la sous-représentation (22%) de ceux qui résident sur la côte au vent (de Saint-Joseph à Sainte-Suzanne) par rapport à ceux (65%) de la côte sous le vent (de Saint-Denis à Saint-Pierre). Cette dernière est réputée pour être davantage développée et habitée par des nouveaux venus («z'oreil»), plus nombreux à participer en proportion à cette manifestation : en fait, 62% des participants sont originaires de la métropole et seulement 28% de la Réunion.

Conclusion

La grande diversité des participants ne va donc pas sans inégalités. Le succès international du Raid reste limité à la métropole et à l'Europe occidentale, tandis que la participation des Réunionnais est calquée sur les déséquilibres du territoire, favorisant les espaces des «Bas» de la côte sous le vent et urbanisée.

Olivier Bessy et Olivier Naria

Références

AUGUSTIN J.-P., (1995). Sport, géographie et aménagement. Paris : Nathan.

AUGUSTIN J.-P., (2002). «Les dynamiques sociospatiales des pratiques sportives» in Le Règne des loisirs. HUET A. et SAEZ G. dir., DATAR-Ed. de l'Aube, p.135-165.

BESSY O., (2002). Le Grand-Raid de la Réunion : à chacun son extrême et un emblème pour tous, Océan Editions, 351 p.

BESSY O., (2002). Un évènement sportif original et emblématique d'une région : le Grand-Raid de la Réunion, in Cahiers Espaces, n°74, p. 71-93.

BOURDEAU P., (1994). Tourisme d'aventure : la traversée des apparences, in Téoros, vol. 13, n°3, Montréal, pp. 6-10.

CHATEAUREYNAUD Y. et LAPIERRE A., (1996). Aspects du sport à la Réunion, MSHA.

DI-MEO G., (2001). Le sens géographique des fêtes, Annales de géographie, n°622, p. 624- 646.

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LAPIERRE A., Culture créole, culture française et pratiques sportives à La Réunion, Thèse de l'Université de Paris Sud Orsay, sous la dir de C. LOUVEAU.

MATHIEU D. et PRAICHEUX. J., (1989). L'espace des grandes manifestations sportives internationales, Mappemonde, n°2, pp.7-13.

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PIOLLE X. (1994). «Mobilités et territoire, le sens de l'espace en question», in Figures architecturales et formes urbaines, Pellegrino P. (dir.), Paris, Anthropos, pp. 135-145.

YONNET P. (1998). Système des Sports, Paris, Gallimard.