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Durabilité et développements

Deux ouvrages clairs, synthétiques, illustrés et bien renseignés concernent ces problématiques actuelles qui partagent le plus souvent l'imprécision et le flou.

Depuis déjà longtemps, l'Afrique est présentée comme l'archétype du non-développement, évidemment aussi de l'éphémère, d'une mise en valeur qui ne serait que mise à sac. On ne se relève pas facilement de tels diagnostics. Courageusement, Sylvie Brunel (1) refuse de suivre un discours trop habituel: il y a bien crise grave en Afrique, mais pas faillite généralisée et, faisant l'inventaire des problèmes, l'auteur n'en écarte aucun, de la douloureuse traite aux conséquences des colonisations puis des indépendances aux choix souvent «désastreux». La géographie dans tout cela? C'est par exemple le bouleversement de l'organisation de l'espace lors de la colonisation, avec la suprématie des littoraux sur les espaces continentaux, qui vient encore s'ajouter aux dynamiques antérieurement déclenchées par la traite. Et ces bouleversements continuent. Les ethnies s'affirment de plus en plus et entrent en conflits, avec ou non des influences extérieures: les années 1990 sont celles de la décennie du chaos, comparable à ce que l'on notait pour une bonne partie de l'Amérique andine pour les années 198O (décennie «perdue», «chaos borné», cf. O. Dollfus et al.): les ONG de tout poil interviennent mais échouent aussi bien dans la résolution des conflits que dans l'établissement d'un développement pour tous. Et l'auteur de marteler qu'«un vrai développement, c'est-à-dire un processus de croissance de la richesse et de la diversification croissante des activités économiques engendrant… une capacité de l'ensemble des individus à vivre mieux»… (p.91) ne peut qu'émaner de pouvoirs publics intègres et donc d'un État qui effectue sa mission.

Dans cet ouvrage, des tableaux diachroniques éclairants qui font la part de l'ensemble des causes de la crise africaine (p. 98-99), politiques, spatiales, économiques et humaines, et qui constituent une précieuse clef pour comprendre ce que l'on voit. Démographie et mutation des territoires sont en évolution constante, mais plus encore la croissance des villes est «rapide et vigoureuse», avec des déséquilibres qui s'exacerbent (surpeuplement relatif) à tous les points de vue, y compris évidemment en ce qui concerne l'accès à l'eau, ressource de plus en plus limitée. C'est alors le continent de tous les risques (3e partie du volume), où la comparaison des zones climato-écologiques et des mises en valeur socio-économiques aboutit à un tableau audacieux et intéressant (p. 166), avec toutefois des évolutions uniquement négatives: sahel-désertification, zone soudanienne-dégradation, zone guinéenne-déforestation. Les risques alimentaires (p.188) donnent lieu à une carte dense et angoissante où les Afriques du nord et du sud encadrent un ensemble continental à malnutrition chronique. Et, p. 190, une série de graphiques cruels qui comparent les subventions des pays riches à leur agriculture (Europe, Japon, USA) à l'aide au développement en Afrique.

Continent «en réserve de développement, Afrique pionnière», c'est la conclusion de l'auteur qui remarque la stabilité des frontières malgré les conflits, la recomposition des espaces dans ce cadre contraint, un «chaos apparent mais organisé» où les espaces transfrontaliers sont particulièrement dynamiques. Au total un petit ouvrage complet et revigorant, bien illustré, qui concerne essentiellement l'Afrique «sub-saharienne» comme on dit actuellement.

L'Amazonie, quant à elle, appellerait le développement durable, l'expression ayant intégré le langage commun - et perdu ainsi toute une partie de son sens- lors du Sommet de la terre de Rio en 1992. Ce n'est hélas pas le cas, et le livre de Martine Droulers (2) le laisse entendre clairement (p. 56 et suivantes), aussi bien pour l'Amazonie brésilienne qui constitue l'essentiel du volume, que pour les Amazonies hispano-américaines réduites à la portion congrue d'un seul chapitre (p. 159 - 178). Les milieux, les diverses étapes de la conquête de l'Amazonie brésilienne et de sa consolidation récente (p. 49) sont décrites et abondamment illustrées, préparant la colonisation organisée des fronts pionniers et de l'ensemble des réseaux de maillages, routes, bourgs, villes.

Les populations et leur augmentation y sont présentées (p.56) avec un développement urbain «peu durable» qui regroupe, contrairement à ce que l'on pourrait penser, l'essentiel de cette population (68% en 2000) donnant, ici comme en Afrique, des surpeuplements relatifs à l'intérieur d'espaces presque vides. Dans ce processus d'occupation et de colonisation, le rôle des militaires est souligné, aussi bien par la présence le long des frontières que pour le traitement de la question agraire: la durabilité du développement s'en ressent. A ce régime, les peuples de la forêt sont soumis à rude épreuve et les groupes ethniques disparaissent par dizaines.

L'orpaillage et l'exploitation du bois produisent des pollutions et des dégâts caractéristiques d'un système presque exclusivement prédateur. Se mettent toutefois en place des systèmes agricoles diversifiés à la suite de l'épuisement du système itinérant des débuts de la colonisation, avec un rôle réactivé de l'Institut National de la Colonisation et de la Réforme Agraire durant les années 1990, qui s'efforce d'installer des familles sur des lots ruraux, de régulariser les tîtres de propriétés et de réviser les cadastres.

L'élevage bovin est un exemple de modernisation profonde. En même temps les enclaves de colonisation, privées et publiques, minières ou autres, évoluent en réseaux qui couvrent peu à peu des surfaces toujours plus étendues, avec de grands équipements routiers, urbains et énergétiques. C'est à partir de là que Martine Droulers distingue une dizaine de régions en Amazonie brésilienne, distribuées en 3 grands ensembles, du sud vers le nord: l'arc de déforestation actuel, l'Amazonie centrale et le pourtour guyanais.

L'Amazonie «andine», de la Bolivie, du Pérou, de l'Équateur, de la Colombie et du Venezuela est très rapidement survolée avec ses lotissements pétroliers, ses cultures illicites et ses secteurs de non - droit (groupes armés en Colombie), mais également ses foyers urbains, ses réseaux routiers et fluviaux qui se rattachent progressivement au maillage de l'Amazonie brésilienne. En conclusion, comment caractériser le développement de cet immense bassin?: si la progression d'une conscience écologique n'entraîne pas nécessairement la durabilité d'un processus de mise en valeur qualifié de développement, les préoccupations officielles montrent qu'on y pense dans les organismes nationaux et régionaux (PPG7, Programme Pilote de Protection des Forêts Tropicales, Traité de Coopération Amazonien), notamment pour la conservation de la biodiversité : une zonification générale de l'espace amazonien est proposée (p. 185), tout comme existent plusieurs dizaines de parcs nationaux et de réserves, sur la gestion desquels demeurent pourtant bien des interrogations. Alors vers un développement durable?

C'est la question posée in fine par l'auteur, en 5 pages sur l'ensemble de l'ouvrage, ce qui reste bien illustratif. On ne saurait enfin conclure sans signaler le tout nouvel Atlas du Brésil qui vient de paraître (3).

Pierre Usselmann


(1) S. BRUNEL, (2003). L'Afrique, 235 p. Éd. Bréal, Paris. ISBN: 2-8429-1866-5.

(2) M. DROULERS, (2004). L'Amazonie. Vers un développement durable, 207 p., Collect. U, Armand Colin, Paris. ISBN: 2-200-26537-9.

(3) H. THÉRY, N. APARECIDA DE MELLO (2004). Atlas du Brésil, 304 p., La Documentation française, collect. la dynamique des territoires. ISBN: 2-11-005563-4.