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Atlas des mégapoles. Shanghai

À côté des «atlas thématiques» qu’elles produisent depuis quelques temps, les éditions «Autrement» entament la publication d’une nouvelle série d’ouvrages consacrés aux mégapoles, sous la direction de Thierry Sanjuan. New York et Shanghai viennent inaugurer cet ensemble. La seconde de ces métropoles est traitée par le directeur de la collection, dont on sait qu’il est un excellent spécialiste de la géographie de la Chine.

L’ouvrage comporte 88 pages et contient, si l’on a bien compté, 31 cartes, 26 photographies, une dizaine de graphiques et schémas. Les textes, assez serrés, occupent à peu près la moitié de l’espace. Une grande partie de l’ouvrage est organisée en séquences de deux pages, l’une avec un texte assez général, l’autre, en vis-à-vis, avec des images, surtout des cartes, et encore des textes, mais plus courts, généralement commentaires précis des images. Cette organisation n’est cependant pas rigide, et une certaine variété est introduite selon les besoins, en fonction des sujets.

Les photographies sont de deux types: quelques grandes planches en introduction ou en tête des parties, et des vignettes, petites mais bien lisibles, liées au texte qu’elles illustrent et aux cartes qu’elles complètent. La bonne intégration de ces photographies à l’ensemble est assurée par le fait que, comme le précise l’éditeur, elles ont été prises au cours d’une mission spéciale du photographe Julien Daniel, selon les indications de l’auteur principal. Les cartes sont claires et bien documentées. Elles font parcourir toute la gamme des ordres de grandeur, depuis les deux ou trois planisphères, jusqu’aux plans de quartier, voire de rue ou de maisons, avec des choix judicieux.

Au total, nous avons affaire à un ensemble organisé et cohérent. La cohérence est notamment très forte entre les documents iconographiques et le texte. Celui-ci, on l’a vu, occupe une large place et joue un rôle essentiel. Il mérite largement les deux ou trois heures de lecture nécessaires pour en prendre connaissance. L’ouvrage apparaît en fait plutôt comme un petit livre à lire plutôt que comme une collection de documents à regarder, voire à feuilleter. On peut se demander s’il n’y a pas quelques raisons de discuter le fait de ranger un tel ouvrage parmi les «atlas». Mais c’est là un débat qui ne concerne pas uniquement la présente publication, et ce n’est pas ici le lieu de l’instaurer.

La trame des chapitres est organisée en fonction des niveaux scalaires, dont l‘importance dans la construction de l’ouvrage est soulignée par l’adoption d’icônes qui identifient respectivement les niveaux «mondial», «régional» et «urbain».

On commence par le temps long et les grands espaces, avec l’étude des origines de Shanghai et de l’épisode critique de l’implantation des concessions étrangères après les guerres de l’opium. Les traces de l’architecture des concessions jusque dans la ville actuelle sont décrites avec précision, notamment grâce à une représentation schématisée des édifices du Bund.

L’insertion dans l’espace mondial de la Shanghai moderne est ensuite traitée, comme une renaissance après une période où la ville fut la mal aimée du régime. On aurait souhaité peut-être une étude plus systématique des facteurs de la résilience remarquable de la grande ville, qui lui a permis de résister tout de même aux effets de la politique anti-urbaine, puis de connaître un essor particulièrement remarquable après son abandon. On peut aussi souligner l’importance de la date de 1949, où fut adoptée une organisation de l’espace qui instaure une municipalité de Shanghai étendue sur 6 300 km2, qui sera le cadre ou la référence de la plupart des études ultérieures.

On passe ensuite à la grande, voire la très grande échelle, «Au cœur de la ville», avec de très intéressantes mises en rapport entre d’une part les évolutions politiques et économiques, traduites notamment dans le droit foncier, et d’autre part les aspects concrets de l’architecture et de la vie quotidienne. C’est à cette occasion qu’apparaissent les plans détaillés et les exemples d’itinéraires individuels.

Il reste à passer au niveau intermédiaire, avec le chapitre sur la métropole et sa région, «La capitale du Yangzi». On traite d’un ensemble spatial (le Jiangnan) que l’on peut évaluer à un peu plus de 100 000 km2 (l’auteur laisse au lecteur le soin de calculer cette dimension, d’après la carte des p. 58-59, ce qui est dommage). Le chapitre comporte une description des rapports de Shanghai avec cet espace, notamment avec les principales villes qui l’émaillent, comme surtout Hangzhou et Suzhou. Nankin est mentionné et présente sur la carte de la région considérée, mais retient moins l’attention. Description qui est suivie par une discussion des rapports entre Shanghai et l’axe du Yangzi, et de la conception que l’on peut se faire de cet axe, dont le statut est assez ambigu. Il est  considéré comme essentiel, mais il ne manque pas d’arguments pour relativiser son importance: p. 72 «[Le long de l’axe du Yangzi] les solidarités subrégionales l’emportent manifestement sur une linéarité intégratrice et sont renforcées par des liens verticaux avec l’Etat Central qui priment sur les relations horizontales entre les provinces».

L’atlas se conclut sur un retour vers la perspective générale: «Vers une ville mondiale», où l’accent est mis sur les réalisations symboliques d’une image de modernité, et sur la préparation de l’exposition universelle de 2010.

La description des sources et la bibliographie sont accompagnées dans les dernières pages par un choix de textes courts, témoignages d’auteurs étrangers ou chinois, du XIXe siècle ou contemporains.

L’ensemble de l’ouvrage documente de façon pleinement satisfaisante l’ensemble des interactions et des facteurs qui permettent de répondre à la question: «pourquoi Shanghai, pourquoi cette puissance et cette résilience?». Il développe avec une grande efficacité les thèmes résumés par l’auteur en ces termes (p. 80): «[Shanghai] s’inscrit à la croisée du réseau des pôles économiques du Jiangnan et du Yangzi, de celui des grandes villes littorales chinoises, de celui des grandes mégapoles d’Asie Orientale, de celui de métropoles mondiales. Cette multiple appartenance en fait justement une métropole d’avenir et lui offre probablement plus de potentialités que Hong Kong, Taipeh ou Singapour, sur le long terme.»

L’aisance dans le passage d’une échelle à une autre, de l’association des questions générales et des aspects concrets du quotidien en font, entre autres qualités, l’utilité et l’agrément.

Un seul regret cependant: la portion relativement congrue qui est réservée au port et à l’activité portuaire. Elle est mentionnée dans la partie consacrée à «la réémergence d’une métropole internationale», mais on ne lui accorde qu’une page, une seule carte, pas de photographie malgré le caractère spectaculaire de réalisations comme le port de Yangshan et le pont Donghai qui le relie au continent.  Le port vient après les universités, les implantations de firmes commerciales européennes, les réalisations architecturales. Il ne s’agit pas de nier ou sous-estimer ces aspects; mais tout de même, Shanghai est parmi les tous premiers ports du monde, le premier depuis peu, selon certains critères. Les installations, les fonctions, les travaux d’aménagements considérables n’auraient-ils pas mérité des documents un peu plus nombreux et plus pertinents? On comprend mal ce choix, dans un ouvrage si bien construit et hiérarchisé. Faut-il y voir une manifestation, heureusement discrète ici, d’une tendance contemporaine à privilégier l’immatériel et le symbolique par rapport aux inscriptions dans l’espace matériel?

François Durand-Dastès

SANJUAN T. (2009). Atlas de Shanghai. Paris: Autrement, coll. «Atlas Mégapoles », 88 p. ISBN: 978-2-7467-1324-6