Vu au festival de Saint-Dié

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«La mer revient dans les polders»: une géographie contrastée de la dépoldérisation en Europe

Le poster présenté ci-dessous porte sur la «dépoldérisation» (1) ou le retour volontaire de la mer dans des polders autrefois construits et exploités par l’homme à des fins agricoles — un passage que nous avons cherché à rendre, dans le fond du poster, par une gradation de couleurs allant du vert au bleu. Ce processus est continu en Europe du nord-ouest depuis les années 1980, mais il ne faut en rien exagérer son ampleur: la surface dépoldérisée demeure inférieure à 1% de la surface poldérisée dans cette région du monde depuis l’époque romaine et surtout le Moyen-Âge.

FIG 2009, concours du poster scientifique, salon de géomatique, 1er prix: Lydie Goeldner-Gianella, Geneviève Decroix, Thierry Husberg. Université Paris 1, UMR 8586 PRODIG. Télécharger la version pdf

Le poster est centré sur une carte qui montre dans quels secteurs du littoral européen ce processus se localise et sous quelles formes (types et surfaces) et pour quelles raisons il s’est développé depuis trente ans. La carte, établie à partir de missions de terrain effectuées de 1997 à 2008, n’est pas complètement exhaustive du fait de l’existence de dépoldérisations accidentelles non répertoriées et de l’amplification récente du processus. Mais elle livre un bon aperçu de la situation au début du XXIe siècle, faisant prendre conscience d’un complet renversement de situation. Des photos exposent les types de dépoldérisation qu’on a classés selon les modalités techniques du retour de la mer: celui-ci se fait soit partiellement et avec un certain contrôle anthropique à travers des tuyaux, des clapets ou des écluses, soit plus directement par la création de brèches dans les digues (2) ou, plus rarement, par des démantèlements des digues. La forme des photos (cercle, rectangle) correspond aux symboles de la légende (dépoldérisation totale ou patielle).

La carte renseigne également sur la variété des objectifs assignés aux dépoldérisations. Ceux-ci ont été classés en six catégories, combinant parfois des critères environnementaux, juridiques, défensifs et/ou touristiques. Les couleurs associées à ces critères se retrouvent à la fois sur la carte et dans le texte explicatif et encadrent les photos devant les illustrer.

Ces objectifs sont liés à divers enjeux actuels, abordés par le FIG 2009:

  1. l’essor des politiques de restauration de l’environnement — dépoldériser pour faire renaître les zones humides littorales autrefois détruites par la poldérisation,
  2. le changement climatique — dépoldériser en réponse à l’élévation du niveau de la mer (Angleterre) ou, au contraire, comme forme de compensation environnementale à la construction de nouvelles digues (Allemagne),
  3. le développement touristique — dépoldériser pour favoriser l’essor du tourisme de nature (France, Pays-Bas),
  4. la mondialisation — dépoldériser comme forme de compensation environnementale au remblaiement de marais du fait du développement portuaire (Elbe, Escaut).

Les contrastes visibles sur la carte s’expliquent par la diversité intra-européenne des facteurs moteurs de ou des entraves à la dépoldérisation. Ceux-ci peuvent s’analyser sur les plans topographique, social, foncier, législatif, politique, culturel, défensif ou économique (3). Les facteurs moteurs l’emportent en Angleterre, pour des raisons culturelles et politiques (la défense contre la mer et l’adaptation au changement climatique sont des enjeux majeurs sur la côte anglaise), ce qui explique l’ampleur du processus dans ce pays et ses nombreux projets (cf. diagramme). Dans les pays voisins, les obstacles au processus prédominent; ils sont de nature culturelle et physique en Allemagne et aux Pays-Bas, de nature sociale et juridique en France. Cela permet de comprendre le choix de dépoldérisations partielles (Allemagne) ou le simple maintien de dépoldérisations accidentelles (France), de même que la prédominance d’objectifs strictement environnementaux (France, Allemagne, Pays-Bas), imposés par la loi (Allemagne) ou simplement touristiques (France, Pays-Bas). Mais au XXIe siècle, l’élévation du niveau de la mer et l’augmentation des tempêtes se traduiront sans doute par un accroissement des dépoldérisations accidentelles et par une extension des dépoldérisations défensives dans l’ensemble des pays européens. Ceux-ci s’inspireront certainement plus largement du modèle britannique du managed realignment (4).

Lydie Goeldner-Gianella

Notes

1. Sur l’emploi de ce néologisme: GOELDNER-GIANELLA L., VERGER F., (2009). «Du polder à la dépoldérisation?». L’Espace géographique, n° 4, p. 376-377.

2. En Allemagne et aux Pays-Bas, où la résistance à la dépoldérisation est forte, on se contente parfois de rendre à la mer des polders situés au devant des digues de mer principales, pourvus de digues très basses et simplement voués à un élevage ovin extensif.

3. GOELDNER-GIANELLA L., «Dépoldériser en Europe occidentale. Les apports d’une géographie sociale de l’environnement à l’étude du milieu littoral», Université de Nantes, 6 décembre 2008.

4. Ibid.