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Du Géoportail à Édugéo: les prémices d’un SIG pédagogique

Le 1er octobre 2008, Xavier Darcos, ministre de l’Éducation nationale, inaugurait le site Édugéo destiné aux enseignants et élèves de l’enseignement primaire et secondaire. Conçu en partenariat avec l’IGN, cet outil donne accès aux ressources numériques disponibles sur le Géoportail et offre des possibilités nouvelles de visualisation de l’espace dans le cadre scolaire. Ce nouveau site permet ainsi la réalisation de croquis élémentaires, l’ajout d’objets nouveaux sur une couche d’informations spécifiques, le téléchargement de données pédagogiques sur des espaces sélectionnés dans chaque académie. Il vise aussi à favoriser les échanges entre enseignants en mutualisant des séquences réalisées dans les classes à partir d’un espace de partage des données. Les objectifs sont ambitieux et tendraient à amorcer une mutation importante de l’enseignement de la géographie «à une époque où le numérique bouleverse l’accès aux cartes» (1). Si la campagne médiatique autour du lancement de cet outil pédagogique a été importante à l’automne 2008, il semble aujourd’hui que les objectifs annoncés n’aient pas tous été atteints et qu’un certain nombre de problèmes subsistent quant à l’utilisation véritable de cette ressource.

Édugéo: un fond documentaire sur la France enrichi

Ouvrir la base de données du Géoportail à un usage pédagogique en la couplant avec un outil permettant la réalisation de croquis représente une démarche publique extrêmement pertinente: des documents de grande qualité en format raster sur le territoire français sont ainsi disponibles. Avec Édugéo, le fond documentaire du Géoportail est enrichi de 31 zones particulières, d’une surface moyenne de 1 500 km2. Celles-ci ont été choisies par l’inspection générale d’Histoire-Géographie en relation avec les notions fondamentales inscrites dans les programmes de géographie du cours préparatoire à la terminale. Sont abordés les thèmes (2) de l’urbanisation et la périurbanisation (21 zones), l’aménagement industriel et touristique des littoraux (8 zones), les espaces ruraux (3 zones), de montagne (1 zone), insulaires (3 zones), les transports (4 zones) ou encore les mutations industrielles (4 zones). Chacune des 30 académies (26 en métropole et 4 en Outre-Mer) est représentée par 1 site, sauf pour l’académie de Grenoble qui en compte 2 (fig. 1).

1. Localisation des 27 zones d’intérêt pédagogique de métropole (non visibles: les 4 zones correspondant à chaque D.O.M.)

Ces zones ont été dotées de documents spécifiques comme des images SPOT 5, mais ce sont surtout les séries d’images anciennes puisées dans le fond de l’IGN qui ont été mises à contribution. À partir d’orthophotos, dont certaines remontent à 1950 (comme pour les zones Berry-sud et La Rochelle-Rochefort), et de cartes (1956 pour les plus anciennes comme celle de la zone de Béthune-Lens), une analyse approfondie des mutations spatiales que connaissent les territoires peut être conduite. Pour gagner en pertinence, des cahiers pédagogiques réalisés par des groupes d’enseignants sont proposés et développent une démarche d’analyse géographique en relation avec des documents annexes (non présents dans Édugéo) comme des paysages ou des séries statistiques. L’ensemble de la base de données accessibles représente ainsi 119 couches d’informations différentes (information visible dans l’onglet en haut à gauche de la version carte, fig. 1), comprenant les 31 couches accessibles par le Géoportail auxquelles s’ajoutent un ensemble de 3 à 4 images pour chacune des 31 zones présentant un intérêt pédagogique.

D’un outil de visualisation à une démarche de croquis

La démarche d’analyse de cartes et d’images aériennes qui peut être conduite est liée à l’interrogation de la base de données en mode cartographique. Nous retrouvons ici des fonctionnalités de visualisation classiques de SIG pour sélectionner les informations à afficher, modifier l’ordre des couches ainsi que leur opacité. La figure 2 présente une démarche d’analyse sur une partie de l’agglomération grenobloise pour mettre en évidence le processus de périurbanisation sur une période de 40 années. Trois couches d’informations ont été sélectionnées: l’orthophotographie de 1966, la carte topographique de 1965 et les espaces bâtis actuels. En modifiant l’opacité et en effectuant des zooms sur des espaces précis, des zones révèlent des modifications spatiales visibles et peuvent être identifiées par des épingles.

2. Exemple d’analyse spatiale avec Édugéo

Pour approfondir cette démarche de visualisation, il est possible de réaliser des croquis à partir des données mises à disposition. Des outils classiques de logiciel de dessin sont proposés afin de créer et modifier des objets vectoriels ponctuels (polygone simple, cercle), surfaciques (polygone complexe), linéaires (ligne, flèche) et textuels. Présents dans le bandeau supérieur (fig. 3), ils sont aisément accessibles et manipulables. Dès qu’un objet est créé, il peut subir un certain nombre de modifications liées à sa couleur (bordure et trame), sa morphologie (sans toutefois pouvoir repositionner un point qui serait mal positionné), sa position dans l’espace, sa place dans l’ordre des couches superposées. D’autres outils, à notre avis, graphiquement moins pertinents, sont aussi proposés pour enrichir les croquis: 5 types d’imagettes existent sous la forme de pictogrammes comme ceux utilisés dans la signalisation routière (hôpital, école, ..) et un figuré ponctuel de type étoile.

Un atout important d’Édugéo en mode croquis apparaît avec le dynamisme des échelles: les objets créés sont automatiquement modifiés dès que l’échelle de visualisation change. La possibilité de jouer sur l’affichage graphique (épaisseur des traits, couleurs) peut aussi constituer une démarche pédagogique pertinente car elle est susceptible d’engager une réflexion autour de la sémiologie et des variables bertiniennes. La figure 3 présente un croquis réalisé par un élève en classe de quatrième de la commune de La Voulte sur Rhône.

À partir du fond d’images raster disponible, les possibilités pour construire des croquis semblent très larges. Cependant, les outils proposés ici manquent de souplesse comparés avec ce que permettent des logiciels de DAO L’ergonomie reste assez rigide, ce qui fait apparaître un certain nombre de limites dans l’utilisation de l’outil de croquis.

  • La première d’entre elles porte sur l’espace de travail disponible. Outre la nécessité de se placer en mode plein écran pour disposer d’une vision assez large, la présence de deux fenêtres fixes, l’une à gauche pour la légende, l’autre à droite pour les propriétés de l’objet sélectionné, limitent de façon importante la zone de travail. S’il est possible de masquer la légende pendant la création des objets, des fenêtres flottantes offriraient des opportunités plus intéressantes.
  • Une seconde limite apparaît avec la séparation nette entre les modes «croquis» et «cartographique». Avant de se lancer dans la réalisation d’un croquis, il est nécessaire non seulement d’avoir bien sélectionné les couches d’informations sur lesquelles le travail porte, mais surtout de s’être positionné à la bonne échelle pour que l’espace d’étude soit entièrement visible dans la fenêtre en mode «croquis». Sinon, il est nécessaire de repasser en mode «cartographique» pour modifier les paramètres de visibilité puis de revenir en mode «croquis». Cela devient vite fastidieux dès que l’on souhaite réaliser un travail demandant de passer de la grande échelle pour positionner précisément des points à une échelle plus petite pour disposer d’une vision plus large.
  • La troisième limite porte, en mode «croquis», sur la construction de la légende. Les modules propriétés des objets et légende n’étant pas dynamiques, il est obligatoire de les construire séparément, ce qui impose la répétition fastidieuse et à l’identique du choix des objets et de leurs caractéristiques, notamment pour les couleurs. La mise en page de la légende permet de donner un nom aux figurés choisis et de modifier l’ordre de leur agencement. Cependant, le nombre d’items visibles sur une page est limité à 7: au-delà, il est nécessaire de créer une nouvelle page de légende. Un autre point qui apparaît très gênant concerne l’impossibilité de hiérarchiser les figurés en plusieurs thématiques clairement nommées alors que les programmes officiels du lycée le demandent.
  • La dernière limite que nous avons relevée a trait à la sauvegarde et l’impression des croquis réalisés. Le système proposé par l’IGN est entièrement fermé: le format d’enregistrement des travaux se fait avec une extension en «.edugeo» lisible seulement par le portail Édugéo. Si ce choix semble lié à la protection des données, il se révèle très contraignant pour un usage pédagogique et impose de travailler en ligne en permanence. De même, l’impossibilité de procéder à une mise en page du croquis et de sa légende avant toute impression nécessite l’utilisation de deux feuilles différentes pour obtenir la version papier du travail réalisé. Cela entre en contradiction avec la politique du ministère de l’Éducation nationale visant à développer la maîtrise de l’outil informatique pour valider le Brevet d’Initiation à l’Informatique (B2I).
3. Édugéo en mode croquis

Édugéo peut-il devenir un SIG pédagogique?

Édugeo, construit en partenariat entre l’IGN et l’Éducation nationale est un outil spécifique destiné à un usage pédagogique avec les élèves des premier et second degrés. Le site présente déjà des possibilités très riches de visualisation cartographique. À partir de la base de données, au format raster uniquement, il est possible d’afficher une nouvelle information spatiale en superposant des couches de données et en jouant sur leur opacité (comme dans la figure 2). Ensuite, en mode croquis, cette nouvelle information peut être visualisée à l’aide d’objets vectoriels. Cependant, nous sommes encore loin des capacités offertes par un SIG: la base de données ne peut être enrichie par les travaux réalisés dans les différentes salles de classe ; les requêtes sont limitées à un seul critère spatial (par commune ou par lieu-dit) alors qu’une entrée thématique serait pertinente pour rechercher des espaces spécifiques (zones d’activités industrielles, stations touristiques, parcs naturels, …) en relation avec les programmes d’enseignement; il n’existe ni données, ni outil de traitement de données spatialisées pour conduire une démarche plus approfondie d’analyse des espaces étudiés.

Pour qu’Édugéo rencontre un véritable écho auprès des personnels de l’enseignement primaire et secondaire, certains aspects liés à son usage pédagogique ne doivent pas être négligés. Les géographes de formation sont très minoritaires parmi les enseignants, peu d’entre eux maîtrisent les cartes et les outils de visualisation cartographique. Pour que le site rencontre un certain succès, des formations devront être dispensées en interne auprès des personnes déjà en poste, mais aussi auprès des étudiants qui se destinent à l’enseignement. Or, les établissements d’enseignement supérieur, et notamment les IUFM qui forment les futurs enseignants, ne sont pas englobés dans l’offre proposée par le ministère et n’ont donc pas accès à ce site.

D’un point de vue technique, les moyens informatiques disponibles dans les établissements ne répondent pas encore tous aux contraintes techniques nécessaires pour naviguer aisément sur cet outil. Si cela ne pose pas de difficultés pour un particulier, l’application de type «client-serveur» étant accessible depuis un navigateur Web standard (3), le parc informatique des établissements reste encore trop souvent disparate et les réseaux Intranet parfois peu performants, ce qui entraîne des temps de chargement longs et des bugs lors d’une utilisation collective. Si Édugéo est voué à être manipulé par les élèves, la présence d’au moins une salle multimédia, équipée avec des ordinateurs récents, est obligatoire; si l’usage d’Édugéo reste entre les mains de l’enseignant, il est nécessaire que les salles affectées à l’histoire-géographie soient desservies par un réseau intranet et équipées d’un système de visioconférence.

La politique tarifaire mise en œuvre pose aussi question. Visiblement, elle n’a pas été adaptée aux capacités des établissements à assumer cette dépense: si l’abonnement gratuit jusqu’à la fin du mois de décembre 2008 a été prolongé jusqu’en octobre 2009, cela a révélé que les 500€ requis pour l’accès à ce service ne sont pas à la portée des crédits alloués à l’enseignement de la géographie, aussi bien dans le primaire que dans le secondaire. Les collectivités territoriales (communes, conseil généraux et régionaux) qui financent les dépenses de fonctionnement des établissements scolaires doivent prévoir un financement nouveau pour faire face au coût de cet abonnement annuel.

Conclusion

Édugéo est un outil pédagogique qui pourrait représenter un atout pour l’enseignement de la géographie. La richesse et la qualité des données disponibles offrent des opportunités très intéressantes pour l’étude de l’espace français et permettent l’élaboration de parcours de formation pour initier les élèves à la visualisation de cartes et à la construction de croquis. Ce site mériterait cependant à être optimisé pour devenir pleinement exploitable dans des situations d’enseignement, non seulement par les professeurs mais surtout par les élèves, futurs citoyens et acteurs d’un territoire dont ils doivent comprendre les enjeux spatiaux.

Jean-Yves Piot
UMR ESPACE, Université de Provence

Notes

1. Cité dans «Inauguration du site ' édugéo'  pour enseigner la géographie à l’ère du numérique», communiqué de presse, 28 septembre 2008.

2. Certaines zones permettent d’aborder plusieurs thématiques. Par exemple celle de Nantes apporte des données sur l’urbanisation et la périurbanisation, l’aménagement littoral et les transports.

3. Les configurations minimales requises sont un système d'exploitation type Windows 2000/XP/VISTA/MacOS, un processeur type Pentium 3 (1Ghz ou plus), une RAM de 512Mo (1Go ou plus pour Vista), une résolution écran de 1024x768, une carte Graphique de 64Mo de mémoire, un nombre de couleur de 32 bits, une version de Direct X 9.0 (v10.0 pour Vista), une connection Internet ADSL 512Kb et un navigateur Internet type IE 6.0 ou supérieur, Firefox 2.