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Le salar d'Uyuni (Bolivie)

1. Le salar d’Uyuni. Une immense réserve de lithium pour le marché en pleine expansion des batteries des voitures électriques (Source: Wikipédia, 2005) (cliquer pour agrandir)

2. Situé dans l’altiplano bolivien, le salar peu accessible d’Uyuni offre cependant d’excellentes conditions d’exploitation par son étendue et sa haute concentration en lithium. (Source: GoogleMaps, 2009). (cliquer pour agrandir)

Quel lien y a-t-il entre les technologies de la «mobilité zéro émission» en pleine croissance et les vastes zones arides salées d’Amérique du Sud, de Chine ou d’Australie, le plus souvent semi-désertiques? Les batteries au lithium.

Les salars, de grands lacs fossiles salés, peuvent en effet fournir du lithium, un métal mou entrant dans la fabrication des batteries les plus performantes d’aujourd’hui. Ils sont ainsi très convoités par les industriels des outils de la mobilité: téléphones et ordinateurs portables et surtout par les constructeurs automobiles.

La campagne présidentielle de l’automne 2009 a été l’occasion pour le président bolivien Evo Morales, alors candidat à sa réélection, d’évoquer les formidables opportunités d’exploitation économique de ces salars. La Bolivie possède en effet un salar dans l’altiplano près d’Uyuni (à 3 600 m) qui est une des plus grandes réserves mondiales de lithium (fig. 1). Sa forte teneur en chlorure de sodium, permettant de produire du carbonate de calcium pour les batteries à des coûts de revient avantageux, et sa superficie considérable (12 500 km2, soit 2 départements français) en font un site d’exploitation de choix, malgré une mauvaise accessibilité (fig. 2).

Le site a déjà attiré l’attention des grandes entreprises de fabrication de batteries (Mitsubishi, Bolloré), mais le président bolivien entend bien garder la production du lithium sous contrôle étatique et s’appuyer sur cette ressource pour permettre le développement du pays. Le marché mondial est immense : il  représente la moitié du revenu annuel de la Bolivie, le pays le plus pauvre d’Amérique du Sud. Les espoirs sont tels qu’avec le déclin prévisible de l’extraction pétrolière dans le monde, la Bolivie est parfois qualifiée de future Arabie Saoudite.

Cette perspective est en partie trompeuse car la mise en exploitation de cette ressource soulève des questions multiples et contradictoires. Il y a tout d’abord la question des réserves et des besoins en lithium. Selon plusieurs experts, la disponibilité du lithium ne poserait aucun problème à l’échelle mondiale, même sur le long terme. Sa relative abondance – quand bien même la teneur serait moindre qu’à Uyuni— et la découverte d’autres grands gisements, par exemple à la frontière des États de San Luis Potosi et Zacatecas au Mexique ou encore en Méditerranée, poserait plutôt un problème de concurrence et pousserait à la mise en exploitation rapide d’autres réserves plus intéressantes. Ce contexte n’est donc pas celui de la rareté et pourrait peser sur les conditions d’exploitation des gisements. Les espoirs boliviens pourraient ainsi être considérablement réduits. Cela s’ajouterait à des déconvenues antérieures : l’extraction de nombreux minerais depuis des décennies n’a pas permis au pays d’augmenter particulièrement son niveau de développement.

La question des besoins pourrait également être révisée à la baisse, malgré la montée en puissance du nombre de véhicules électriques. Tout d’abord, les possibilités de recyclage du lithium des batteries sont élevées (90%). Ensuite, le poids de lithium pur nécessaire pour un véhicule de gamme moyenne est passé en quelques années de 5 à 3 kg environ et diminuera encore. Enfin, le nombre de véhicules électriques et hybrides représentera une part très minoritaire du parc total de véhicules pendant au moins une dizaine d’années.

La question environnementale se pose plus particulièrement pour l’extraction et le traitement des déchets. Car la production de lithium nécessite de grandes quantités de mercure, un métal hautement polluant. Cette question reste entière rappelant ainsi les problèmes récurrents de pollution grave à proximité de nombreux autres sites miniers de Bolivie.

Enfin, dans un autre registre, l’exploitation du salar d’Uyuni condamnera sans doute le tourisme vert (80 000 touristes en 2008) qui s’est développé ces dernières années autour de cette curiosité naturelle. Une sanctuarisation par le biais d’une appellation mondiale ou nationale (réserve mondiale, patrimoine de l’humanité, parc national…) ralentirait certes considérablement le projet d’exploitation, mais on peut douter d’une volonté politique nationale d’aller dans ce sens.

Les intérêts ne convergent donc pas. D’un côté, le recours massif aux outils de la mobilité et la généralisation des véhicules électriques ou hybrides ne sont plus des vues de l’esprit. D’un autre, l’exploitation des salars restera économiquement profitable aux pays dans lesquels ils sont situés, même s’il s’agit de ressources fossiles et même si leur exploitation aura un certain coût environnemental. Le salar d’Uyuni en est l’archétype.

Loïc Grasland
UMR ESPACE, Université d'Avignon