N°99

Carto, une nouvelle revue

Que voici donc une étrange revue!

Sous la direction de Frank Tétart, nous avons eu la surprise de découvrir cet été une nouvelle revue, de très belle facture, axée essentiellement sur l’analyse géopolitique du monde actuel à partir de représentations cartographiques. Nous sommes là très proches de la démarche de l’équipe de Jean-Christophe Victor avec «Le Dessous des Cartes» (d’ailleurs cité p. 79 dans la rubrique «À lire, à voir»!), et très, très proches des différents atlas des Éditions Autrement (qui trouvent dans cette revue un tremplin publicitaire naturel: pages 20, 60, 79, 80…).

Sur 80 pages, Carto tente un savant mélange entre des actualités géopolitiques, des focus (en l’occurrence ici sur la Russie, [1]) des analyses ponctuelles, au travers d’un grand nombre de rubriques. Et c’est bien là que le lecteur géographe/cartographe est un peu perdu. Sommes-nous dans l’univers du Monde Diplomatique ou de Courrier International? Sommes-nous en présence d’une nouvelle compilation d’atlas? Ou plus simplement face à un catalogue publicitaire pour des ouvrages?

On cherche un peu la cohérence.

Un exemple: de la page 11 à la page 22, nous trouvons un grand dossier sur la géopolitique de l’énergie en Russie. Un travail remarquable réalisé par Pascal Marchand, avec, pêle-mêle: 4 grandes cartes, claires, qui s’adressent a priori à un très large public, suivies par 2 cartes sur la mer Noire et la Baltique, pratiquement illisibles pour des non-spécialistes. Puis, 40 pages plus loin, dans une rubrique «Environnement», 4 pages sur les territoires maritimes de la Russie, dont l’article est réalisé «en partenariat avec Technip», comme le précise un encart et page suivante: un bon de commande pour l’Atlas géopolitique des espaces maritimes aux mêmes Éditions Technip!

Page 52, une rubrique «l'Œil du cartographe» est innovante et intéressante: on cherche à y démonter les présupposés de certaines cartes, et les motivations cachées de leurs auteurs, conscientes ou non. Mais ce décryptage original pourrait s’adresser à un lectorat plus large si un effort était fait pour s’y adapter.

Plus loin, page 67 dans la rubrique historique, la reproduction de cartes anciennes dans un objectif de «décryptage» et de mise en contexte est une bonne idée, et la mise en page est plus originale. Mais alors pourquoi ne pas parler aussi des techniques «modernes» de la cartographie?

La mise en page est excellente, les cartes de très bonne facture, les articles clairs et concis… mais une question nous tracasse: à qui s’adresse cette revue? Les géographes et professionnels n’en apprennent guère plus que dans les excellents atlas des Éditions Autrement ou dans les compilations du Monde ou du Monde Diplomatique. Quant au grand public (on pense plutôt à un public averti), outre le prix relativement élevé de la revue — près de 11 euros — qui peut dissuader, on le voit mal se passionner pour ces cartes de «professionnels» souvent austères (la double page centrale sur la prolifération nucléaire en 2010 est révélatrice à ce titre).

De plus, on s’étonne devant l’hétérogénéité des styles cartographiques présentés, sûrement une conséquence de la diversité des sources utilisées (voire reproduites telles quelles). Les choix sémiologiques sont souvent différents d’une carte à l'autre pour une même thématique. C’est le même constat pour les projections, parfois au sein du même article: inutile rajout de complexité.

Là où la revue La Géographie cherchait, et de très belle manière (dans la mise en page, dans la diversité des sujets…), à s’ouvrir au grand public, Carto, bien qu’intéressante nous paraît — pour le numéro 1 en tout cas — être encore en gestation.

Souhaitons-lui bonne chance en tout cas, et souhaitons que la prolifération actuelle des publications autour des cartes et atlas ne soit pas une mode passagère…

Référence de l'ouvrage

Carto. Le Monde en cartes. Revue trimestrielle – n° 1 – juillet août 2010 – 10,95 € - 82 p.

Au moment où sortent l’Atlas de Moscou et l’Atlas géopolitique du Caucase des éditions Autrement!