N°99

Aide à la conception de légendes personnalisées et originales

Dans le contexte de la conception de cartes sur mesure, l’objectif de la thèse était de proposer une méthodologie d’aide à la conception de légendes cartographiques personnalisées et originales, intégrant l’expertise cartographique faisant éventuellement défaut à l’utilisateur et favorisant sa créativité. Je m’intéresse, en particulier, aux choix de couleurs réalisés lors de la conception de légende. Une légende personnalisée est une légende que l’utilisateur construit lui-même et qui lui plaît; une légende originale est une légende dont les choix de couleurs sortent des choix de couleurs traditionnels. Je suis partie du principe que l’élaboration d’une légende au travers des choix de couleurs est un processus complexe: l’utilisateur-cartographe doit sélectionner des couleurs, en adéquation avec ses préférences et ses besoins, et il doit les associer aux thèmes dans la légende, aux objets cartographiques et entre elles. Ce travail est une première étape pour mieux comprendre la construction et la compréhension du message cartographique.

Dans un premier temps, j’ai identifié un grand nombre de connaissances issues de domaines variés, mises en jeu dans la conception d’une légende cartographique et, en particulier, dans le processus de choix des couleurs: théorie cartographique (Robinson, 1952; Zanin, 2003; Monmonnier, 1991; MacEachren, 1995; Krygier, Wood, 2005; Cauvin et al., 2007; etc.), sémiologie graphique (Bertin, 1967) et réflexion sémiologique en cartographie (Bord, 2000, 2008), perception visuelle et sciences cognitives appliquées à la cartographie (Skupin et al., 2003; Fabrikant et al., 2005). Des travaux de recherche sur la couleur en cartographie sont à noter, en particulier sur la proposition de gammes de couleurs adaptées à la représentation des relations sémantiques (ordre, association, différence) (Brewer, 2005) ou sur l’amélioration a posteriori des choix de couleurs dans une carte, en analysant les contrastes (Chesneau, 2006; Buard, Ruas, 2009). Cette identification m’a menée vers les travaux des peintres et théoriciens de la couleur en matière d’organisation, de contrastes et d’harmonie des couleurs (Chevreul, 1839; Itten, 1967; Roque, 2009). J’ai ainsi commencé à explorer la caractérisation de l’harmonie des couleurs en cartographie.

Dans un deuxième temps, mon objectif a été de proposer une méthode de conception coopérative pour le choix des couleurs. La démarche globale que je souhaite appliquer est, d’abord, de faire exprimer à l’utilisateur ses préférences en termes de couleurs; ensuite, à partir de ses préférences, il s’agit de lui montrer des solutions de légendes sur ses données, dont je note l’originalité et la qualité cartographique, qu’il pourra ensuite sélectionner et retoucher. Un constat est qu’il peut être difficile pour un utilisateur de partir d’une page blanche, non seulement pour amorcer la conception, mais aussi pour passer des étapes conceptuelles lui permettant d’atteindre un résultat satisfaisant.

À partir des connaissances précédemment identifiées, j’ai extrait des règles basiques sur des usages cartographiques des couleurs: des règles conventionnelles («la mer est représentée en bleu», «la forêt est représentée en vert»), des règles sur le fond cartographique («le fond cartographique doit être plus clair que les autres objets représentés»), des règles sémantiques («les relations dans la légende (association, différence, ordre) doivent être mises en évidence par des choix spécifiques de couleurs et de relations entre ces couleurs»).

Ensuite, il m’a paru intéressant de faire raisonner l’utilisateur par analogie en lui présentant des sources d’inspiration, afin de lui donner des idées de couleurs et d’associations-types de ces couleurs. Ces sources sont également des supports de connaissances sur des usages spécifiques de couleurs:

À partir des préférences de couleurs exprimées par l’utilisateur sur ces sources, j’ai proposé un modèle qui construit des légendes possibles, en testant toutes les associations possibles thèmes-couleurs, selon les usages cartographiques décrits par les règles cartographiques. Le fait de choisir une toile de maître comme source d’inspiration permet d’obtenir des légendes très différentes, en faisant varier les usages des couleurs choisies, d’artistiques à cartographiques. L’image ci-dessous présente des résultats de choix de couleurs sur un jeu de données topographiques, dans un scénario où l’utilisateur a choisi une peinture de Derain.

André Derain (artist)
French, 1880 - 1954
Mountains at Collioure, 1905
oil on canvas
Overall: 81.3 x 100.3 cm (32 x 39 1/2 in.)
framed: 108 x 127 x 8.6 cm (42 1/2 x 50 x 3 3/8 in.)
National Gallery of Art, Washington
John Hay Whitney Collection
André Derain (artiste)
Français, 1880-1954
Montagnes à Collioure, 1905
Huile sur toile
Dimensions: 81,3 x 100,3 cm (32 x 39 1/2 in.)
Cadre: 108 x 127 x 8,6 cm (42 1/2 x 50 x 3 3/8 in.)
National Gallery of Art, Washington
Collection John Hay Whitney
© Avec l'aimable autorisation de la National Gallery of Art, tous droits réservés

Tout d’abord la peinture est caractérisée par les couleurs qui forment sa palette et par des usages caractéristiques de ces couleurs (les règles de composition du peintre): type de répartition (taches ou aplats), surfaces moyenne et totale, couleurs adjacentes (dans le tableau de Derain, l’orange est utilisé sur de larges zones, le jaune par petites taches). En parallèle, les objets cartographiques à représenter sont caractérisés de la même façon (le bâti a une répartition en taches et de petite taille). Si je choisis d’appliquer les règles de composition du peintre, je dois associer les couleurs aux objets dont les caractéristiques de répartition sont similaires (dans le tableau de Derain, l’orange peut être associé à la mer ou au fond cartographique, les jaune, mauve, vert foncé au bâti ou aux routes, etc.). En respectant ces usages de couleurs, les cartes obtenues sont dans le style du peintre et peuvent être considérées comme artistiques ou farfelues. À l’opposé, si je choisis d’appliquer les règles cartographiques, je dois associer les couleurs en respectant la règle sur le fond cartographique (prendre une couleur claire dans la palette), les règles conventionnelles (les bleus servent pour la mer, les verts pour la végétation) et les règles sémantiques (les couleurs restantes servent pour les thèmes restants en respectant les relations entre thèmes). Entre ces deux extrêmes, il est possible de mixer les usages artistiques et cartographiques des couleurs d’une peinture, afin d’obtenir des cartes très variées: chaque carte est annotée selon son niveau de respect des règles cartographiques et artistiques. Cette méthode a été implémentée dans le prototype COLorLEGend (COLLEG) et testée par des utilisateurs variés.

Ce travail est une première étape dans l’aide à la conception de légende et permet à tout utilisateur de comprendre que le choix des couleurs de la légende est un processus complexe et que la sélection initiale de couleurs peut donner une grande variété de cartes, différant par des caractéristiques quantifiables (respect des conventions, qualité des contrastes, distance à la source d’inspiration initiale, etc.) et des caractéristiques qualitatives encore à étudier (adéquation des couleurs au phénomène géographique à représenter, qualité du message, ressentis, etc.). Tout utilisateur peut choisir tel ou tel résultat de carte, selon sa propre satisfaction et de l’adéquation de la carte à ses goûts et à ses besoins (créer une carte topographique conventionnelle mais pas traditionnelle, faire ressortir un thème, etc.). Enfin, selon le type de phénomène à cartographier, telle ou telle peinture sera plus adaptée, en fonction de sa palette et/ou de ses usages. Il est maintenant important de travailler sur les interactions couleurs-formes-tailles, ainsi que sur les contours des objets dans la carte et la nature des traits dans la peinture.

En conclusion, une première contribution de la thèse est la proposition d’une méthode de conception coopérative permettant d’acquérir et d’interpréter les préférences de l’utilisateur, ainsi que d'approfondir les usages différentiels d'un ensemble de couleurs sur un jeu de données géographiques (usages cartographiques à usages artistiques). Une deuxième contribution est l’amélioration de la description de la variable visuelle «couleur» en sémiologie graphique par la formalisation des usages de couleurs (contrastes, harmonies). Ces travaux doivent être poursuivis pour améliorer notre propre connaissance des processus cognitifs de construction et de compréhension du message cartographique.

Références

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ISBN: 2-7132-2027-0

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BORD J.-P. (2008). «De la cartographie à la géomatique: une amnésie récurrente». Le Monde des cartes, n° 197, p. 59-62.

BREWER C. A. (2005). Designing better maps: a guide for GIS Users. Redlands (USA): Esri Press, 203 p. ISBN: 1-589-48089-9

BUARD E., RUAS A. (2009). «Processes for improving the colours of topographic maps in the the context of maps on demand». Submitted to 24th ICA Conference, Santiago de Chile.

CAUVIN C., ESCOBAR F., SERRADJ A. (2007). Cartographie Thématique. Une nouvelle démarche. Paris: Éditions Lavoisier, Hermes science, coll. «Information géographique et aménagement du territoire, aspects fondamentaux de l’analyse spatiale», 284 p.
ISBN: 978-2-7462-1252-7

CHESNEAU É. (2006). Modèle d'amélioration automatique des contrastes de couleurs en cartographie – application aux cartes de risques. Paris: Université Paris-Est Marne-la-Vallée; Institut Géographique National, thèse de doctorat, 372 p. (Télécharger ici).

CHEVREUL E. (1839). De la loi du contraste simultané des couleurs et de l’assortiment des objets colorés, considéré d'après cette loi. Paris: Pitois-Levrault et ce, 735 p.

FABRIKANT S. I., GOLDSBERRY K. (2005). «Thematic relevance and perceptual salience of dynamic geovisualization displays». Proceedings, 22th ICA/ACI International Cartographic Conference, La Corogne, Espagne 10 p.

ITTEN J. (1967). Art de la couleur. Paris : Dessain et Tolra, 155 p.

KRYGIER J., WOOD D. (2005). Making maps: a visual guide to map design for GIS. New York, Londres: Guilford Press, 303 p

ISBN: 1-593-85200-2

MACEACHREN A. M. (1995). How maps work: representation, visualization, and design. New York, Londres: Guilford Publications, 513 p. ISBN: 0-89862-589-0

MONMONIER M. (1993). Comment faire mentir les cartes ou Du mauvais usage de la géographie. Paris: Flammarion

ISBN: 2-08-211557-7

MONMONIER M. (1996). How to lie with maps. Chicago: University of Chicago Press, 207 p. ISBN: 0-226-53420-0

ROBINSON A. H. (1952). The Looks of Maps. Madison: University of Wisconsin Press. 118 p. ISBN: 978-1-5894-8262-3

ROQUE G. (2009). Art et science de la couleur. Paris: Gallimard, coll. «Tel», 657 p. ISBN: 978-2-07-012488-6

SKUPIN A., FABRIKANT S. (2003). «Spatialization methods: a cartographic research agenda for non-geographic information visualization». CaGIS, vol. 30 n° 2

ZANIN C., TRÉMÉLO M.-L. (2003). Savoir faire une carte. Paris: Belin, coll. «Belin sup. Géographie», 199 p. ISBN: 2-7011-3671-7

Référence de la thèse

CHRISTOPHE S. (2009). Aide à la conception de légendes personnalisées et originales. Proposition d’une méthode coopérative pour le choix des couleurs. Paris: Université Paris Est, thèse de doctorat de géographie, 323 p. (Télécharger ici).

Il s’agit d’une analyse secondaire des données qui n’ont pas été conçues initialement pour ce type d’exploitation (données sur les déplacements).
Pour «l’enquête ménages déplacements» 2002 de Grenoble, les données recensées concernent près de 7 000 ménages, 16 000 personnes, dont 14 500 mobiles et 70 000 déplacements.