Sommaire du numéro
N°75 (3-2004)

Les enjeux du Grand Dublin

 

Laurent Grison  

Lycée Jean Monnet - UMR ESPACE

Résumés  
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Tête du «tigre celtique», l’agglomération dublinoise (1,1 million d’habitants en 2000) profite fortement, depuis dix ans, de la croissance économique irlandaise. Métropole européenne, interface entre l’Irlande et le monde, elle concentre population et richesse. L’emploi y a augmenté de 41% en 10 ans. Le taux de chômage y est le plus faible du pays. Deux tiers des 800 entreprises étrangères du pays y produisent. L’écart entre Dublin et le reste du pays se creuse.

L’indice de valeur ajoutée brute par personne de Dublin est de 135 (1998). En comparaison, ceux des régions Midland (67,7) et South East (78,9) sont faibles et en baisse. Seul le South West (avec Cork) a aussi un indice supérieur à 100. Dublin et le Mid East ont drainé, entre 1995 et 1999, 70% des créations d’emploi par IDE. En comparaison, la région Border (Nord et Nord-Ouest du pays) a perdu 12% de son stock d’emplois. Les dépenses cumulées de recherche et développement à Dublin représentent, à elles seules, 30% du total national (2000). Les universités dublinoises attirent plus de 50% des étudiants de tout le pays.

1. L’Irlande: des inégalités de développement

L’expression «Dublin et la lande irlandaise» serait commode mais exagérée. Cork, deuxième agglomération du pays (300 000 habitants environ), tient son rang. Sans véritable système urbain constitué, Cork-Dublin n’est cependant pas un axe structurant. En se plaçant, comme le National Development Plan (2000-2006), à l’échelle d’un ensemble interrégional Sud et Est (13 comtés dont Dublin et Cork), on constate que ceui-ci comprend 73% de la population du pays et 75% du poids économique. L’autre grand ensemble du pays (régions Border, Midland et West) est pauvre, voire en déclin relatif.

Une agglomération en crise

Dublin attire beaucoup d’Irlandais et de plus en plus d’immigrants du Royaume-Uni (40% du total), d’Asie et d’Afrique. Son accroissement démographique est très rapide et on prévoit 2,4 millions d’habitants en 2020. Résoudre les dysfonctionnements de l’agglomération dublinoise est aujourd’hui impératif. Les transports en commun et les réseaux routiers y sont particulièrement déficients. Ils souffrent d’un manque ancien d’investissement public. La crise du logement est aussi grave. L’offre immobilière est insuffisante et les prix sont en hausse (+ 15% en 2000). Entre 1961 et 1991, la population du centre ville a baissé de 53% mais, depuis dix ans, on observe un flux inverse: plus de 50 000 personnes s’y sont installées, principalement des populations à hauts revenus qui travaillent à Dublin même ou à sa périphérie.

Les problèmes n’ont pas été résolus par la création, en 1999, d’un schéma directeur ayant pour but de maîtriser l’urbanisation. La rapide croissance de Dublin a profondément modifié la morphologie de l’agglomération. Son dualisme interne s’aggrave avec le rejet des populations les plus pauvres vers la périphérie.

Plusieurs quartiers de Dublin sont très défavorisés, avec une population frappée par le chômage de longue durée, des problèmes de violence et de drogue. Ces phénomènes existent dans d’autres métropoles européennes et ne sont pas plus marqués à Dublin. La différence est que les autorités irlandaises ne semblent pas avoir pris la mesure des problèmes humains liés au développement urbain.


2. Le grand Dublin

Métropolisation et conflits

Le projet d’une autorité de gouvernance métropolitaine à l’échelle régionale (2003) marque l’émergence d’une centralité dublinoise structurante à l’échelle d’un nouveau territoire métropolisé. Le Grand Dublin intègre les comtés de Meath, Kildare et Wicklow, sorte d’hinterland économique. Au nouveau découpage spatial correspond une population de 1,534 million d’habitants (40% de la population du pays).

Si un consensus existe sur la nécessité de maîtriser le processus de métropolisation, il cache des réticences et des doutes. Dans une Irlande encore rurale (58,8% d’urbains seulement), les élus des zones peu urbanisées s’inquiètent d’une mise à l’écart des régions les plus fragiles. D’aucuns prédisent même la fin de l’Irlande paysanne traditionnelle (il n’y a plus que 4% d’agriculteurs) écrasée par Dublin, Babylone moderne. Nombre d’Irlandais ne bénéficient pas de la prospérité et l’écart entre hauts et bas revenus s’accroît. Les gouvernements néo-libéraux successifs ont peu lutté contre l’aggravation des inégalités sociospatiales. À la récente récession économique vont s’ajouter les effets d’une baisse à venir des subventions européennes.

En concédant la gouvernance de la seule métropole du pays, plus tournée vers l’Europe et le monde que vers l’Irlande, l’État pourrait devoir limiter sa politique de rééquilibrage du territoire. Les enjeux du Grand Dublin et de ses dynamiques dépassent ceux d’une capitale en mutation. Ils concernent l’avenir de toute l’Irlande dans le cadre de l’intégration européenne et de la mondialisation. Aux forces progressistes d’agir, dans un débat démocratique, pour que la refonte de la métropole dublinoise ne s’oppose pas à un développement équitable du territoire irlandais.