N°104

Utilité de la modélisation graphique en prospective spatiale

Contexte

Les changements d’orientation de la politique d’aménagement du territoire en France, depuis les années 1990, se sont accompagnés de l’essor de la prospective territoriale. Un décalage existe cependant aujourd’hui entre l’intérêt suscité par ce domaine (Eckert, 1996) et les difficultés de sa mise en œuvre par les structures publiques et privées (Loinger, 2006).

L’objet de mes recherches a été de proposer une démarche prospective qui replace l’espace et ses principes de différenciation, sa logique de changement et ses contraintes au cœur de l’analyse de l’évolution des territoires. Cette «prospective dite spatiale» doit permettre de préparer les changements (Berger, 1957) territoriaux à venir – à défaut de pouvoir les connaître. Elle correspond aux attendus récemment actés dans le domaine de l’aménagement du territoire (LOADDT de 1999) en termes de développement durable (Theys, 2000) et d’expertise territoriale à meso-échelle (liée à la décentralisation et à la multiplication des acteurs). La finalité de la prospective spatiale est ainsi d’apporter des connaissances pour la mise en œuvre d’un aménagement anticipateur et différencié selon les territoires.

Objectifs de la recherche

Ces recherches ont conduit à la proposition de trois notions de prospective: la potentialité des territoires, la sensibilité des territoires au changement et le degré de liberté de leur devenir, dont l’analyse est destinée à apporter des éclairages pour l’aménagement des territoires.

En effet, l’évaluation de la potentialité des territoires souligne la nécessité d’initier des actions d’aménagement spatialement différenciées. L’identification des sensibilités des territoires au changement (résilience, vulnérabilité…) met en évidence l’intérêt d’adapter le moment et la temporalité de l’action d’aménagement pour optimiser son efficience. Enfin, la mesure des degrés de dépendance des territoires vis-à-vis de l’évolution des structures locales auxquelles ils se rattachent est déterminante pour saisir les marges de manœuvre de l’aménagement.

1. Les grands principes d’organisation de la Provence intérieure, littorale et préalpine

Les dynamiques foncières constituent l’information de référence pour ces analyses car elles sont révélatrices des changements à venir des territoires. Précisément, ce sont les transactions de terrains à bâtir (habitat individuel, marché des particuliers) réalisées entre 1999 et 2006 dans les communes de la Provence intérieure, littorale et préalpine (fig. 1) qui sont étudiées.

Résultat

L’étude des dynamiques foncières au regard du niveau d’occupation humaine des espaces offre des indications sur la potentialité des territoires.

Le moyen-pays, espace-tampon entre la saturation urbaine littorale et rhodanienne et l’arrière-pays à dominante rurale, apparaît comme un espace à enjeux. Ses potentialités sont fortes. Il s’agit d’un territoire doté de nombreuses ressources: fortes réserves foncières, développement économique relancé par le projet Iter, connexion du territoire à la première agglomération de la région (Marseille/Aix-en-Provence), essor du tourisme vert… Parallèlement, les pressions humaines (dynamiques résidentielles, flux touristiques…) s’intensifient sur ce territoire, révélant ainsi son attractivité croissante.

Deux espaces se différencient de la logique d’ensemble par une forte valorisation: le val de Durance ancré à la région de Manosque et le centre varois entre Brignoles et Draguignan.

L’étude des effets des transactions foncières sur le niveau d’attractivité des territoires permet d’évaluer leur sensibilité au changement.

Le comportement inertiel et résilient de l’avant-pays s’oppose à celui plus «instable» de l’arrière-pays. Sur la période de temps étudiée, les transactions foncières recensées dans le moyen et arrière-pays présentent des caractéristiques variables (du point de vue du flux, des prix et de la taille des biens) sans être spécifiques à un type d’espace. Cela témoigne de la mutation de la logique de développement rural, en particulier pour le val de Durance et le centre varois, qui émergent comme nouveaux espaces résidentiels.

L’étude de la dépendance des territoires, à travers le temps, à des structures foncières locales, permet enfin de définir le degré de liberté de leur devenir.

Les espaces marqués par une identité territoriale forte, de type urbaine ou rurale, présentent ainsi les plus faibles degrés de liberté. Dépendants d’un système de fonctionnement ancré dans le territoire, ces espaces ont une évolution déterminée par leur contexte territorial et pour lesquels il est difficile d’inverser la tendance. À l’inverse, les espaces dont l’identité est la moins affirmée, car soumise aux influences contradictoires des territoires avoisinants, présentent des degrés de liberté plus forts. C’est le cas par exemple des périphéries métropolitaines.

Place de la modélisation graphique dans la démarche de recherche

Cette démarche prospective intégrée (fig. 2) articule des recherches d’analyse spatiale mobilisant les outils SIG, statistiques, cartographiques… et aboutit à des propositions pour les décideurs, sur les modalités d’action adaptées aux enjeux des territoires. La modélisation graphique y a été nécessaire au sein de trois phases différentes de l’analyse:

2. Enseignements de la prospective spatiale sur les modalités des actions d'aménagement sur le territoire

Conclusion

Dans la démarche de prospective spatiale présentée, la modélisation graphique est mobilisée pour diffuser des résultats d’analyse. Cela correspond à la phase actuelle de communication des connaissances prospectives sur le territoire de Provence auprès de plusieurs décideurs. Elle amène à réfléchir aux possibilités d’une plus forte intégration des acteurs tout au long de la démarche prospective pour garantir une meilleure gouvernance des territoires (Dubus et al.,2010). La modélisation graphique vient également éclairer l’analyse à deux reprises: d’un côté, par la décomposition/recomposition des grands principes d’organisation du territoire et de ses enjeux; d’un autre côté, par l’analyse comparative des trois analyses de prospective. Cela facilite la mise en regard des résultats sur les possibilités de développement des territoires, avec les modalités des actions d’aménagement souhaitables.

Ainsi, nos recherches aboutissent à la proposition d’une trame générale de démarche de prospective spatiale c’est-à-dire, prenant en compte les dynamiques territoriales, temporelles et spatio-temporelles dans l’analyse (Casanova, 2010) et faisant le lien avec des préconisations pour l’aménagement régional. Au terme de ces travaux, l’enjeu est de reproduire cette démarche sur d’autres territoires et à d’autres échelles afin de vérifier sa possible généralisation.

Bibliographie

BERGER G. (1957). «Sciences humaines et prévisions». La Revue des Deux Mondes, n° 3, p. 417-426

DUBUS N., HELLE C., MASSON M. (2010). « De la gouvernance à la géogouvernance: De nouveaux outils pour une démocratie locale renouvelée ». L’Espace politique, n° 10.

ECKERT D. (1996). Évaluation et prospective des territoires. Montpellier: GIP Reclus ; Paris: La Documentation
Française, coll. «Dynamiques du territoire», 255 p. ISBN: 2-11-003636-2

LOINGER G. (2006). Développement des territoires et prospective stratégique. Enjeux, méthodes et pratiques. Paris: L’Harmattan, coll. «Administration, aménagement du territoire», 225 p. ISBN: 2-296-00631-0

THEYS J. (2000). «Développement durable, Villes et Territoires. Innover et décloisonner pour anticiper les ruptures». Notes du Centres de prospective et de veille scientifique, n° 13, 135 p. (consulter)

Référence de la thèse

CASANOVA L. (2010). Les dynamiques du foncier à bâtir comme marqueurs du devenir des territoires de Provence intérieure, littorale et préalpine: Éléments de prospective spatiale pour l’action territoriale. Avignon: Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse, thèse de géographie, 441 p. (consulter)

La thèse répertorie l'ensemble des données mobilisées pour constituer cette synthèse cartographique.
Le terme «durable» est mis en avant par la plupart des plans municipaux de gestion des déchets. Il ne s'agit en réalité que de la prise en compte de la dimension environnementale du développement durable, puisque celle-ci se fait au détriment de sa dimension sociale. On observe à la fois une complémentarité et une opposition entre les notions de durabilité et de vulnérabilité.