N°105

Commuting Scales. Cartographie dynamique d’accessibilité temporelle

Représenter l’espace sans en réduire la complexité est une préoccupation centrale du travail du cartographe. Commuting Scale tente de relever ce défi en proposant plusieurs manières de répondre cartographiquement à la même question: quel est l’espace des pendulaires du campus universitaire de Lausanne?

La question abordée est celle de l’espace des «navetteurs» autour du campus de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) et de l’Université de Lausanne (UNIL). Les données utilisées correspondent aux distances séparant le campus d’un échantillon de lieux de la région lémanique (Suisse et France). Ce sont les lieux représentatifs de l’origine des quelque 25000 pendulaires quotidiens (Jarne et al., 2011), situés à, au maximum, 1h30 de trajet du campus aux heures de pointe. Les distances ont été mesurées toutes les 5 minutes au cours d’un lundi d’octobre selon différentes métriques: les temps de trajets en transports publics, les temps de trajet en voiture (embouteillages pris en compte et temps de parking modifiable) et la distance kilométrique.

Ces images donnent à voir une information brute: le temps du déplacement entre deux lieux. Elles peuvent être le support d’un déplacement du débat sur des dimensions plus complexes de la mobilité (temps perçu, confort, coût, etc.). L’aspect dynamique des cartographies permet également de nuancer le propos et de montrer la variation de l’espace pratiqué par les individus au cours d’une journée ordinaire. En jouant sur le contenu de l’analogie cartographique, ces visualisations offrent différentes perspectives sur ce même phénomène spatial, tout en utilisant les mêmes données, preuve s’il en faut qu’une carte est bien la construction d’un espace.

Description de l’application

Les lieux représentés ont été sélectionnés afin de correspondre à différents géotypes allant du central (gare de Lausanne par exemple) à l’infra-urbain (zones faiblement résidentielles dépendant totalement de l’automobile).

1. Les trois espaces de l’interface
Cliquez sur l'image pour accéder à la vidéo.

Trois espaces de visualisation coexistent (fig. 1):

Qu’est-ce que ça donne à voir?

Distances selon le mode de transport

La visualisation propose trois modalités de mesure de la distance: le temps de trajet avec les transports publics, le temps de trajet en voiture, et le temps de trajet minimum. Pour cette dernière option, la couleur du point permet de déterminer le moyen de transport qui prend l’avantage: en bleu les transports publics, en orange la voiture. Ces différents «tableaux» de l’espace considéré peuvent être visualisés à toute heure de la journée (fig. 2). D’une manière générale, il apparaît que la voiture est presque toujours plus rapide que les transports publics, en particulier dans les zones peu reliées aux transports publics.

Distances selon l’heure de la journée

Cet effet de réseau est également sensible en jouant l’animation sur toute la journée (fig. 3). Thonon-Les-Bains et les autres villes situées sur la rive sud du lac Léman sont des exemples particulièrement parlants tant leur relation au campus lausannois est dépendante de la fréquence des bateaux traversant le lac. La longue attente des transports publics du matin est également rendue sensible par le lent rapprochement des cercles vers le centre de l’espace topologique en début de journée.

3. Distances au campus à 3:00, 7:00, 18:00 et 22:00 par les transports publics
Les cercles concentriques correspondent à 30 minutes, 1h00 et 1h30 de trajet.

Distances pour un lieu

La visualisation des temps de trajet d’un lieu spécifique par tranche de 5 minutes permet de montrer graphiquement la fréquence des transports (fig. 4). Le cadencement régulier des transports publics contraste avec la linéarité des temps de transport en voiture. Cette vue diachronique d’un lieu au cours d’une journée permet également de souligner l’absence de transports publics pendant la nuit, ce qui a pour effet de donner largement l’avantage à la voiture pour des lieux pourtant plus proches par les transports publics pendant la journée.

4. Exemple de visualisation du cadencement des transports publics
Ce lieu est caractérisé par une plus forte fréquence aux heures de pointe.

Vues globales

5. Temps de trajet moyen pour l'ensemble des lieux sur une journée

Trois images statiques (fig. 5, 6 et 7) rendent compte des distances pour l’ensemble des lieux pris en compte. Ces vues holistes permettent de dégager des grandes tendances et de soupçonner l’existence de types de lieux spécifiques.

6. Image synthétique des temps de trajets avec les transports publics sur une journée

Les cercles concentriques indiquent le temps d’éloignement au point de référence. Les lieux sont ordonnés selon le temps moyen de trajet pour une journée. Les lignes vont du temps minimum au temps maximum de trajet entre 6h00 et 22h00, les points représentent la moyenne des durées journalières. L’opacité correspond à l’éloignement kilométrique de ces lieux au campus: plus ils sont foncés, plus ils sont proches. On peut deviner un effet de réseau qui fait que les distances topographiques et les distances réticulaires ne coïncident pas toujours.

7.Graphique des temps de trajet selon le mode de tranport

Développements possibles

Les différences de cadencement des lieux en matière de transports publics peuvent permettre d’établir une typologie des lieux selon leur degré d’accessibilité. En outre, l’importance des lieux pourrait être relativisée par la prise en compte du nombre d’usagers par lieu.

Quel est le potentiel de cette cartographie?

Les résultats de l’enquête qualitative précédemment citée montrent que la majorité des pendulaires utilisent les transports publics. Pondérer l’importance accordée à un lieu en fonction du nombre d’usagers par mode de transport permettrait de mettre l’accent sur l’importance de combler le décalage qui existe entre le temps de trajet en voiture et le temps de trajet en transports publics. Cette animation peut servir d’outil de diagnostic pour l’aménagement de toute la région, notamment pour l’amélioration des transports publics avec lesquels la voiture entre souvent en concurrence. L’intérêt de la complexification de la cartographie est qu’elle permet de ne pas s’arrêter à de fausses évidences liées par exemple au calcul de moyennes journalières qui réduisent drastiquement la complexité des phénomènes spatiaux.

Bibliographie

JARNE A., SCHULER M., LEYVRAZ J.-P. (2011). Mobilité des pendulaires EPFL-UNIL. Analyse spatialisée des résultats de l’enquête Rumba. Lausanne: CEAT, 80 p. (consulter)

Ce projet a été financé par l’ANR Corpus et outils de la recherche en sciences humaines et sociales (2008-2010, UMR Géographie-Cités). Outre les auteurs de l’article, l’équipe impliquée dans la réalisation de l’interface comprend Timothée Giraud (CIST/RIATE), Marianne Guérois (Université Paris 7, UMR Géographie-cités), Liliane Lizzi (UMR Géographie-cités), Fabien Paulus (Université Louis Pasteur, Laboratoire Images et Villes, Strasbourg), Denise Pumain (Université Paris 1, UMR Géographie-cités) et Céline Vacchiani-Marcuzzo (Université de Reims Champagne-Ardenne, UMR Géographie-cités). Pour plus de détail, on pourra consulter le site