N°107

Villégiatures de Nouvelle-Zélande

Le mode de vie néo-zélandais est lié à la résidence secondaire que l’on appelle bach, mais aussi crib dans la partie la plus australe de l’île du Sud. D’après le New Zealand Oxford Dictionnary (Oxford University Press, 2008) le terme bach signifie «simply-furnished house, week-end cottage, especially at the beach» et vient de l’étatsunien bach, qui veut dire «live as a bachelor» (c’est-à-dire vivre avec pas grand-chose). Il s’agit de petites maisons de plain-pied, sans eau ni électricité, construites par une famille avec des matériaux de récupération. De multiples chansons, films, nouvelles ou romans s’en inspirent. La plus célèbre femme de lettres néo-zélandaise, Katherine Mansfield (1888-1923), qui profita elle-même d’une bach familiale à Days Bay (Wellington), en fit le sujet de sa nouvelle, At the Bay. Entre les années 1890 et 1950, ce genre de construction se multiplie le long des littoraux pas trop éloignés des villes principales. Rien d’étonnant à ce que, sur un territoire très peu occupé avec des lois laxistes et une mentalité de pionniers, de telles villégiatures soient apparues (Keen, Hall, 2004). À la même époque, des dynamiques similaires émergent également en Australie-Occidentale avec les shacks, des cahutes en tôle ondulée (Selwood, Tonts, 2004). On retrouve cette même rusticité dans les chalets ou cottages canadiens, les cabanons méditerranéens, les datchas russes ou les modestes cabanes scandinaves, devenues de confortables summer houses. Cette appropriation progressive et libre à des fins vacancières de certains espaces ruraux, spécialement les littoraux lacustres ou maritimes, est donc fréquente. Elle donne naissance à ce que nous avons appelé des «communautés vacancières» (Équipe MIT, 2011), un type de lieu touristique à forte saisonnalité, dominé par la résidence secondaire et où l’hébergement marchand est rare voire nul.

1. Cribs à Colac Bay (Southland)
À une cinquantaine de kilomètres à l’ouest d’Invercargill, cette localité très excentrée, à l’extrême sud de la Nouvelle-Zélande, a conservé des cribs rudimentaires occupées en fin de semaine et pendant les vacances (cliché: J.-Ch. Gay, janvier 2010).
2. Deux générations de baches à Opito Bay (Waikato)
Opito Bay, au nord de la péninsule de Coromandel, à trois heures de route d’Auckland et de Hamilton, est touchée par la gentrification (cliché: J.-Ch. Gay, février 2011).

En Nouvelle-Zélande, à partir de 1914, des regroupements plus ou moins organisés de baches et de tentes se forment. Leurs occupants louent la terre à des agriculteurs ou la squattent purement et simplement. Dans l’ouvrage très illustré de Stephen Barnett et Richard Wolfe (1993), on est frappé par la densité et le nombre de tentes sur Front Beach, à Whitianga (péninsule de Coromandel) en 1913, de même qu’est impressionnante la taille de l’holiday camp de Paraparaumu Beach, près de Wellington, en 1914 (ibid.). Au milieu du XXe siècle, ces communautés vacancières se transforment. Le confort des baches s’améliore et les constructions deviennent moins rudimentaires. Pour autant, l’absence d’hébergement marchand et la fréquentation à caractère familial n’en font pas encore des stations balnéaires. La motorisation des ménages dans un pays où les transports publics sont médiocres, et la législation de 1944 qui permet aux travailleurs de bénéficier de deux semaines de congés payés par an provoquent un boom des baches le long des plages situées à moins de trois heures de route des principales villes (Daley, 2003). On parle à l’époque d’«holiday rush» pour nommer cette ruée vers les plages durant l’été 1944-1945 et qui se reproduit par la suite, en s’accentuant (Joyce, 2006). Au nombre de 11 000 en 1945, on compte près de 32 000 baches en 1971. Dans les années 1970-1980, 4% des foyers néo-zélandais possèdent une bach, mais ce chiffre sous-estime leur usage, car une même bach est utilisée par la famille élargie et les amis, sur le principe du «if you need somewhere to stay, the key’s under the big round stone to the left of the door» (Peart, 2009). La péninsule de Coromandel (Waikato) est l’espace le plus concerné par ce phénomène en raison de sa relative proximité à Auckland.

Secouée par l’entrée du Royaume-Uni dans la Communauté européenne en 1973, ce qui lui fait perdre son principal client pour ses produits agricoles, la Nouvelle-Zélande s’enfonce dans une crise profonde. Il faut attendre les réformes économiques structurelles néolibérales des années 1980 avant de voir la situation s’améliorer. Qualifiées de «Rogernomics» et «Ruthanasia» parce que menées par les ministres de l’Économie Roger Douglas (1984-1988) et Ruth Richardson (1990-1993), elles bouleversent l’économie et la société. Les privatisations sont nombreuses. Les subventions diminuent, tout comme les barrières commerciales pour l’agriculture. En s’ouvrant sur le commerce international, le libre-échange et les marchés financiers, une partie de la population s’enrichit, brisant l’égalitarisme qui prévalait. L’investissement dans l’immobilier balnéaire devient une spéculation intéressante. Les baches sont remplacées par des habitations à l’architecture travaillée, tandis que nombre de campings ferment (Collins, Kearns, 2010). Les communautés vacancières se gentrifient (fig. 1 et 2). Quelques-unes évoluent vers le modèle de la station balnéaire. L’apparition d’agences immobilières et la transformation des modestes boutiques d’alimentation en «cafés» sont symptomatiques du changement de nature de ces lieux touristiques (Peart, 2009). De 1986 à 2008, le nombre de logements de vacances (holiday homes) passe de 40 000 à 110 000. La crise économique actuelle se traduit par une baisse des prix, car beaucoup de ménages surendettés vendent leur bien. Les communautés vacancières, naguère fermées par la très faible commercialisation des biens, deviennent ainsi plus accessibles à ceux qui ont de l’argent. Les Néo-Zélandais restent toutefois très attachés à un tourisme de plein-air routinier, puisque 37% de la population déclarent en 2006 être des campeurs réguliers (Collins, Kearns, 2010), et parmi eux les deux tiers retournent au même endroit chaque année. L’ère du «freedom camping» est néanmoins réellement finie.

3a et 3b. Les deux campings de Matauri Bay (Northland)
À l’embouchure d’un petit cours d’eau, le premier camping révèle nettement le caractère auto-construit de ces baches, avec toilettes extérieures. Généralement, le noyau de ces baches est une caravane, placée à demeure sur le terrain et autour de laquelle s’organise et se développe toute la structure. Moins spontané, le second terrain de camping est doté d’éléments préfabriqués accolés aux caravanes, voire les englobant. À côté de cette population vacancière villégiaturant et dotée de puissants 4x4 pouvant tracter de gros bateaux à moteur, on voit en arrière-plan des campervans, utilisés par des touristes faisant un circuit à travers l’île du Nord (cliché: J.-Ch. Gay, février 2010).

À quatre heures de route d’Auckland, Matauri Bay, dans la région du Northland, est un exemple intéressant des dynamiques en cours. La baie de Matauri appartient aux Maoris. À la fin des années 1960, ils créent une société qui va louer des terrains à des campeurs aux deux bouts de la plage (fig. 3a et 3b). Ils accueillent des camping-cars (campervans) et sont dotés de véritables baches, occupées par leurs constructeurs, mais que l’on peut aussi louer. En ayant hypothéqué leurs terres pour investir dans une entreprise d’eau minérale qui fait faillite, les Maoris sont obligés, en 2001, de faire alliance avec un promoteur (joint venture) afin de créer un lotissement respectant l’éthique des baches (fig. 4): architecture simple, absence de clôture des vastes lots… Pour le moment, le contexte économique ne favorise pas l’immobilier, mais sans nul doute que ce lieu se métamorphosera avec la construction de résidences secondaires, voire de résidences principales bis.

4. Le lotissement de Matauri Bay (Northland)
Pour les plongeurs, l’attraction principale de Matauri Bay est aujourd’hui le Rainbow Warrior, dynamité dans le port d’Auckland, en 1985, par les services secrets français. L’épave a été sabordée à quelques kilomètres du rivage et gît par une vingtaine de mètres de fond (cliché: J.-Ch. Gay, février 2010).

Le cas de Rangitoto Island (Kearns, Collins, 2006) permet de comprendre un autre aspect de la question. L’île se trouve à un quart d’heure de bateau du centre d’Auckland. C’est une des principales excursions proposées à partir de la plus grande ville de Nouvelle-Zélande (1,3 million d’habitants sur les 4,4 millions d’habitants que compte le pays). Il faut dire que le lieu est intéressant: un volcan sorti de l’eau il y a seulement six siècles pour former un magnifique cône colonisé partiellement par la végétation. Bien que l’île soit déclarée réserve naturelle en 1890 par le Rangitoto Island Domain Board, celui-ci y autorise la construction de baches à partir des années 1910. À la fin des années 1930, on compte 140 baches sur cette île occupée par les Aucklanders les fins de semaine et l’été. En 1937, le gouvernement, estimant que les baches sont illégales et que leurs résidents sont des squatteurs, interdit de nouvelles constructions, mais permet la jouissance des baches pour vingt ans. Les «propriétaires», grâce à une intense mobilisation, réussissent à prolonger leur bail. Durant les années 1970-1980, la possession des baches est toutefois transférée à l’État, qui, progressivement, les détruit. Néanmoins, en 1991, le Department of Conservation décrète un moratoire sur leur démolition, en vertu de leur caractère patrimonial. Finalement, 18 baches sont sauvegardées et restaurées (fig. 5, 6 et 7). Ainsi, une communauté vacancière, l’île de Rangitoto, est devenue un site touristique. Visitée pour sa nature volcanique exceptionnelle, elle est également fréquentée pour ces baches, dont une a été transformée en musée de la culture bach (fig. 8 et 9).

5, 6 et 7. Baches sur l’île de Rangitoto (Auckland)
Les baches disposent généralement d’un barbecue et d’une rampe de mise à l’eau pour les bateaux. L’entretien des baches est désormais assuré par le mouvement associatif et par le Rangitoto Island Historic Conservation Trust, créé en 1997 (cliché: J.-Ch. Gay, février 2010).

En devenant un élément patrimonialisé, les baches révèlent leur place dans la culture et dans l’imaginaire néo-zélandais. Elles symbolisent la liberté des vacances et sont une soupape de sécurité face à un conformisme et un puritanisme pesants. La survie du mot bach pour évoquer ces maisons de vacances, alors même que leur aspect et leur logique ont radicalement changé, est une façon d’entretenir le mythe égalitaire de la société néo-zélandaise à travers la manière de prendre ses vacances, en dépit des évolutions socioéconomiques récentes. Il y a probablement aujourd’hui une nostalgie de cette Nouvelle-Zélande considérée par André Siegfried comme un «laboratoire social» (1904). Ne s’agit-il pas du premier territoire qui a accordé, en 1893, le droit de vote aux femmes! Idéalisation d’une vie simple et rustique, les baches matérialisent aujourd’hui une expérience touristique considérée comme «authentique».

8 et 9. La bach 38 sur l’île de Rangitoto (Auckland)
La restauration de la bach 38, devenue musée, a valu une distinction de l’UNESCO (cliché: J.-Ch. Gay, février 2010).

Bibliographie

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DALEY C. (2003). Leisure and Pleasure: Reshaping and Revealing the New Zealand Body 1900-1960. Auckland: Auckland University Press, 308 p. ISBN: 978-1-86940-291-4

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PEART R. (2009). Castles in the Sand. What’s happening to the New Zealand Coast?. Nelson: Craig Potton Publishing, 276 p. ISBN: 978-1-877517-00-6

SELWOOD J., TONTS M. (2004). «Recreational second homes in the south west of Western Australia». HALL C.M., MÜLLER D.K., dir. (2004). Tourism, Mobility and Second Homes. Between Elite Landscapes and Common Ground. Clevedon (R.-U.): Channel View Publications, 304 p. ISBN: 978-1-873150-80-1.

SIEGFRIED A. (1904). La Démocratie en Nouvelle-Zélande. Paris: A. Colin.