N°110

Chacun sa carte? Le nouveau Google Maps

Google prépare une nouvelle version de Google Maps qu’il est possible de tester en avant-première (fig. 1). L’interface utilisateur est réaménagée pour une plus grande fluidité et une meilleure interactivité entre la carte et les photographies, avec une intégration optimisée des recherches d’itinéraires à la consultation. Mais la principale innovation mise en avant par la firme est plus radicale. Dans cette nouvelle version, la carte va s’adapter à l’utilisateur: «plus vous utilisez la carte plus elle devient utile», annonce Google. Le principe est simple. En fonction de vos recherches, des endroits que vous visitez, des lieux conseillés par vos amis sur les réseaux et des remarques que vous ajoutez, Google Maps apprendra à mieux cerner vos intérêts et vous proposera un contenu plus adapté. La carte est personnalisée et intègre les habitudes et les besoins de l’utilisateur.

1. Quand Google fait la promotion de son nouvel outil cartographique

L’idée n’est pas nouvelle. Google l’avait déjà mise en œuvre pour son moteur de recherche qui personnalise les résultats en fonction des informations dont il dispose sur l’internaute effectuant la requête. Si l’internaute n’a pas de compte Google, le moteur va utiliser l’historique de recherche, la position géographique, tout ce que le cookie déposé par Google a repéré comme activité sur l’ordinateur au cours des six derniers mois. Avec un compte Google, il utilisera aussi le contenu des mails et ce que disent ses «amis» sur Google+, le réseau social de Google. La nouveauté n’est donc que l’extension à la visualisation cartographique du principe général du moteur de recherche. Une des motivations de Google est vraisemblablement de renforcer l’impact de la publicité locale (Sterling, 2013) en rendant les liens sponsorisés plus visibles. Mais l’objectif est aussi plus ambitieux et l’innovation vise à maintenir la position hégémonique de Google dans sa mission «d’organiser l’information à l’échelle mondiale et de la rendre universellement accessible et utile».

Cette évolution n’est pas anodine du point de vue cartographique. La personnalisation ne semble pas concerner simplement l’affichage des marqueurs répondant à la recherche mais aussi le fond de carte lui-même. La hiérarchie des voies, par exemple, semble évoluer au fur et à mesure que la zone de recherche se précise. Quand Daniel Graf, directeur du programme de Google Map, affirme que la carte n’a pas à être la même pour tous, puisque nous sommes tous différents, il va à rebours d’une conception bien ancrée qui prête à la carte un statut de représentation raisonnée, stable et partageable d’une réalité commune (Lardinois, 2013). Avec sa carte individualisée, Google adopte de manière inattendue un autre paradigme, où la carte n’est plus la représentation de la réalité mais l’expression d’une vue personnelle et idiosyncrasique sur cette réalité, assez proche de celle d’un cartographe radical comme Denis Wood, avec un principe de mise en œuvre néanmoins diamétralement opposé. Ce n’est plus l’individu qui devient cartographe de sa vie et de son univers, mais un algorithme sophistiqué qui développe à sa place l’expression cartographique censée lui correspondre.

Pour Evgeny Morozov (2013), féroce détracteur d’Internet et des technologies numériques, Google, en personnalisant les cartes, n’enclencherait pas moins que la fin de l’espace public tel que nous le connaissons. Nous n’aurions plus de vue cartographique partagée d’un espace commun, mais une expression individualisée de nos intérêts spatiaux personnels. De plus, Google ne nous proposerait que des lieux que nous connaîtrions déjà ou qui y ressembleraient, ou bien des endroits conseillés par ceux de nos «amis» qui nous ressemblent. Ce qu’annoncerait ce nouveau Google Maps c’est donc une vie dans un espace balisé, où hasard et surprise sont soigneusement bannis, un enfermement numériquement consenti dans ce qui deviendrait une sorte de Gated Community virtuelle. Voilà un débat passionnant pour qui s’intéresse à la cartographie, même si l’argument employé reprend en miroir la position de l’industrie du numérique qu’il critique. Il considère, en effet, comme acquis que les pratiques de l’espace concret sont sans hiatus avec celles des dispositifs cartographiques, idée tout à fait questionnable.

Bibliographie

LARDINOIS F. (2013). «The Next Frontier For Google Maps Is Personalization». Techcrunch,   consulté le 12 juillet 2013.

MOROZOV E. (2013). «My Map or Yours?». Slate, consulté le 12 juillet 2013.

STERLING G. (2013). «Exploring The New More Dynamic, More Social Google Maps». Search Engine Land, consulté le 11 juillet 2013.