N°110

La France des Cassini

C'est une excellente idée que le Comité des travaux historiques et scientifiques ait créé sous le nom un peu abscons de «Format» une collection de volumes de poche maniables (18,5 x 12) et de bonne tenue; une meilleure encore d’y avoir inclus en n°72 un volume que Monique Pelletier avait déjà publié sur les Cassini, mis à jour et rénové.

De là vient un réel plaisir de feuilleter en appréciant la qualité de reproduction et l’intérêt d’une cinquantaine d’extraits de cartes, la présence de deux index des noms de personnes et de lieux, la richesse de la bibliographie. Le bonheur de lire est plus grand encore: la langue de Monique Pelletier est pure dans son classicisme, son érudition est sans défaut, sa couverture du sujet on ne peut plus complète. On retrouve avec sympathie les éminentes qualités de l’ancienne directrice du département des cartes et plans de la Bibliothèque nationale.

Après une présentation des cartes de France avant les Cassini qui montre la minutie de certains travaux, notamment ceux de La Guillotière, l’auteur nous apprend une foule de choses sur les commandes et les oublis du monarque, sur l’extraordinaire exigence et la difficulté des travaux de terrain, sur le perfectionnement progressif des instruments et des techniques, sur les exigences du dessin et de la gravure, et même sur la diffusion des cartes et sur ses revenus.

Les portraits des quatre Cassini, astronomes de formation et de père en fils, qui ont régné sur la cartographie de France de 1669 à 1793, puis ceux des neveux Maraldi, composent une passionnante saga, qui dépasse largement le cadre de la Carte de France, dite Carte de Cassini. Celle-ci est néanmoins au cœur de l’ouvrage. Son histoire s’agrémente d’un intéressant récit de la «privatisation» de l’entreprise après 1763, devant la défaillance des finances royales, et de sa «décentralisation» quand il fallut s’appuyer sur les finances des provinces. Le sous-titre explicite dit bien l’insistance de l’auteur à souligner l’intérêt public et local d’un tel travail de recherche et de communication. Après 1793, toutefois, ce fut au tour des militaires de prendre le relais, dans la préparation de la célèbre carte d’État-Major, à une échelle sensiblement voisine, 1/80 000 au lieu de 1/86 400 pour Cassini (une ligne pour cent toises).

L’ouvrage comprend aussi d’utiles annexes sur les dates de publication et de révision des 175 feuilles, de Paris (1749) à Tréguier (1790), ses ingénieurs, sa liste d’abréviations, qui va jusqu'aux différents ordres monastiques. On aurait sans doute aimé en lire un peu plus sur les choix de la toponymie, mais c’est en soi un autre sujet, demandant des recherches difficiles. Sur tout le reste, un chef-d'œuvre.

Référence de l’ouvrage

PELLETIER M. (2013). Les Cartes des Cassini. La science au service de l’État et des provinces. Paris: Éditions du CTHS, coll. «Format», 383 p. ISBN: 978-2-7355-0785-6