Sommaire du numéro
N°76 (4-2004)

Villes et structures spatiales élémentaires
du KwaZulu-Natal

Fabrice Folio 

Université de la Réunion, Laboratoire du Centre de Recherches
et d’études en géographie de l’Université de la Réunion (CREGUR)

Résumés  
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Pour récents qu’ils soient, les écrits portant sur la diversité des villes sud-africaines selon des critères aussi divers que la taille, les fonctions ou l’«ambiance» marquent une étape intéressante de la recherche (Gervais-Lambony, 1999). En cette ère post-apartheid démocratique, dans une économie concurrentielle ouverte sur le monde, les spécificités de ces villes sont mieux étudiées, en puisant notamment dans leur genèse et leur évolution. Notre hypothèse est que la forme des villes du KwaZulu-Natal (figures 1 et 2) est issue de divers processus et structures élémentaires dont le jeu inégal a été source de diversité. Une façade littorale motrice, deux corridors stratégiques et des espaces peu intégrés correspondant à l’ancien bantoustan composent les trois structures élémentaires qui résument l’organisation de l’espace du KwaZulu-Natal. Ces structures sont associées à des processus tout autant économiques que ségrégatifs, contemporains tout autant qu’hérités.

1 et 2. Carte de situation.
Formant l’une des neufs provinces de l’État démocratique sudafricain, le KwaZulu-Natal se situe au Nord-Est du pays sur la façade india-océanique. Il borde l’Eastern Cape, le Mpumalanga et le Free State. Trois frontières internationales achèvent son tracé: celles du Lesotho à l’ouest, du Swaziland et du Mozambique au nord. Avec ses 9 400 000 habitants en 2001, c’est l’unité administrative la plus peuplée du pays, mais aussi l’une des plus exiguës (92 180 km2 soit 7,6% du territoire national). Politiquement, le KwaZulu-Natal a longtemps été gouverné par le parti régionaliste pro-zoulou Inkhata Freedom Party (IFP), dont la base électorale est dans le monde rural traditionnel. L’African National Congress (ANC) l’a emporté pour la première fois en avril 2004, changeant la donne provinciale.

Une façade littorale motrice: deux pôles économiques et des villes riches

3. Les structures spatiales du KwaZulu-Natal et leurs corollaires urbains

La figure 3 dépeint les trois principales structures spatiales du KwaZulu-Natal. Nous nous sommes aidé d’une analyse synthétique qui renvoie à la table des chorèmes établie par R. Brunet (1990). Une figure oblongue verticale apparaît la plus appropriée à la représentation de la province.

Le premier chorème qui définit l’espace provincial est celui d’un clivage entre littoral et intérieur. Il marque le KwaZulu-Natal au sens où la façade littorale et sa périphérie proche sont l’espace clé de ce territoire, par le peuplement (40% de la population totale) et par la concentration des zones d’activités agricoles, industrialo-portuaires, commerciales et touristiques.

Une vingtaine de municipalités y dépasse les 2 000 habitants, pour beaucoup les premières à avoir été établies au XIXe siècle par la colonisation britannique (1). Nombre de ces villes apparaissent relativement riches, composant des types urbains à part entière (2). Plusieurs peuvent être qualifiées d’«assoupies» et «blanches» et se distinguent par leur situation littorale, une économie touristique, une forte communauté blanche à nombreux retraités et un niveau d’équipement en services publics de qualité (ex. Margate, Port-Edward). D’autres pourraient être qualifiées d’«indiennes» (Stanger notamment), où s’expriment, en plus d’un emploi de secteur secondaire étoffé et d’un niveau de vie assez élevé, le poids quantitatif et surtout culturel de la communauté indienne (3). Figurent à part les deux centres industrialo-portuaires de Durban et Richards Bay, pôles économiques du KwaZulu-Natal, l’un bien établi, l’autre émergeant (Lamy, Folio, 2003); ils constituent les deux métropoles du pays, voies d’entrée et exutoires majeurs pour les matières premières comme les produits manufacturés.

Cette façade maritime, que suit la Nationale 2 (N2), compose l’un des axes structurants du KwaZulu-Natal. Elle relie la province méridionale de l’Eastern Cape au Mozambique tout au nord. Les centres urbains souffrent toujours d’un fort legs ségrégatif (à Durban et à Richards Bay (4)). Il n’en est pas de même des localités balnéaires ou sucrières se distribuant dans les intervalles, où l’absence de township reste la norme (5). Les impératifs économiques (interface littorale, agriculture de plantation sucrière, balnéarité) ont bien évidemment rythmé les logiques d’évolution de cet espace.

Deux corridors de villes

L’intérieur du KwaZulu-Natal est moins dynamique que le littoral; mais il n’est pas homogène. Le second modèle de base repose sur un couple centre-périphérie, mais de forme linéaire. Deux corridors structurants se distinguent: l’axe littoral de la N2; l’axe stratégique autour duquel s’est structurée la province tout au long du XXe siècle (6). Ce dernier correspond à la liaison ferroviaire historique, établie en 1895 à la suite du boom minier suscité par la cité-champignon aurifère de Johannesburg. Le besoin d’une voie de débouché maritime consacra la ville-port de Durban. Deux artères routières complètent la pénétrante ferroviaire: la N3 atteint Ladysmith au centre de la province, relayée ensuite par la N11. Ces deux corridors dessinent un T incliné, dont la base tend vers l’actuelle province du Gauteng.

La totalité des localités des strates supérieures est positionnée sur cette perpendiculaire centrale, de la métropole régionale Durban, cité millionnaire en position de pivot, aux villes secondaires telles que Pietermaritzburg, Newcastle, Ladysmith, toutes d’anciens relais et de plus de 50 000 habitants. Elles disposent d’un bon éventail de services, et d’activités assez diversifiées. Elles endurent toutefois une forte charge socio-spatiale induite par les politiques ségrégatives. En somme, elles jouent leur rôle à l’échelle de la province, assurent sa vigueur économique et commandent le réseau urbain tout en étant reliées entre elles par les meilleures infrastructures de communication, mais souffrent au niveau local des deux lourds héritages d’apartheid et d’avant-apartheid: la ségrégation des quartiers et le découpage de l’espace municipal par des espaces tampons (buffer zones). La recomposition spatiale s’avère laborieuse à mettre en place au niveau local.

À ces centres établis sur les grands axes, s’oppose la périphérie provinciale, c’est-à-dire les espaces situés sur leurs marges, proches puis lointaines. Ils sont desservis par les autres villes du KwaZulu-Natal, souvent petites, au développement fragile. Elles ont des points communs: nombreux enfants, chômage, cadre paysager vieilli. Elles n’en sont pas moins dissemblables: l’analyse permet d’y distinguer les «démunies jeunes» de la moitié septentrionale, à la traîne économiquement, spécialisées et au niveau de vie précaire, comme Weenen, ou Lowsburg; ou des «métisses marchandes» au sud-ouest, qui abritent une forte communauté métisse Griqua, originale dans cette province zouloue et anglaise, un secteur commercial relativement bien étoffé, en dépit d’un enclavement certain. Il s’agit le plus souvent de villes de la première génération ségrégative, enserrées par la population africaine (informelle ou tribale) (7).

Les terres tribales de l’ex-KwaZulu: des localités africaines peu connues

En périphérie extrême, on atteint les limites, officiellement disparues mais toujours perceptibles dans le paysage, du défunt bantoustan Kwazulu. Le troisième et dernier chorème revient sur la distinction spatiale ancienne Natal-KwaZulu. Elle reste très sensible pour tout visiteur parcourant la province. Les frontières entre l’Afrique du Sud blanche et le pseudo-pays autonome zoulou, désigné par le passé comme bantoustan ou homeland, n’existent plus depuis 1994. Mais les autorités traditionnelles ont conservé leurs prérogatives en 1996. Plus près de nous, en 2000, le nouveau maillage municipal a cette fois englobé les terres émiettées et sous-équipées des chefs tribaux (amakhosi). Ceux-ci composent un groupe de pression puissant; ils réclament depuis, à cor et à cri, des fonctions clairement définies dans les nouvelles délimitations administratives.

Dans le champ urbain, ce bantoustan a hébergé en son sein deux villes officielles à bien des égards singulières: la première est Ulundi, ancien chef-lieu du homeland, de nos jours fief du parti Inkhata de Mangosuthu Buthelezi; elle est la capitale du KwaZulu-Natal en partage de responsabilités avec Pietermaritzburg, à laquelle elle concède cependant de plus en plus de pouvoirs (8). La seconde ville est Nongoma, ancien centre africain marchand et administratif, retiré en plein coeur du pays zoulou, cité qui fut longtemps le quartier général de l’actuel monarque zoulou King Zwelethini. Ces deux villes peuvent être décrites en substance comme «noires et administratives». Leur schéma d’organisation apparaît «débridé» (9) bien que duel; aucune ségrégation raciale voulue n’y a pris racine; pourtant les quartiers ne manquent pas de contrastes: ils opposent une communauté de fonctionnaires relativement bien lotie à une population démunie vivant sur les terres coutumières. Leur activité est faible hors de l’administration; mais ils servent de points nodaux auprès de la dense population de l’ancien KwaZulu, en qualité de bornes administratives et de centres marchés des produits agricoles.

Le reste des terres appartenant à ce bantoustan est parsemé de diverses localités d’intérêt local, villages-centres ou bourgs africains. Peu connues et même souvent non reconnues en tant que villes, elles restent pourtant dignes d’intérêt: composant un autre versant méconnu des anciens bantoustans, certaines d’entre elles ont fini par s’épanouir, telles les localités de Nqutu et de Tugela Ferry au centre de la province, ou encore celle de Manguzi au nord-est, à proximité de l’écosystème de Kosy Bay.

Vers une plus grande pluralité des villes

4. Évolution récente et répercussions futures

Ces trois structures élémentaires qui définissent l’espace du KwaZulu-Natal sont-elles spécifiques de la province, ou bien se retrouvent-elles sur tout le territoire national? Indéniablement, le dernier modèle concerne toutes les provinces d’Afrique du Sud situées à l’est et au nord du pays (Eastern Cape, Limpopo, North West), ayant intégré d’anciens bantoustans en 1994. La première structure spatiale reste plus spécifique du KwaZulu-Natal, eu égard à l’essor notable que connaît aujourd’hui la province grâce à sa bonne situation géographique, surtout par rapport au Gauteng, et de ses atouts certains dans les domaines agricoles, portuaires ou encore balnéaires. Le modèle 2 reste sans doute celui qui intéresse le plus la totalité du pays, selon une logique d’axe de désenclavement qui a prévalu en d’autres endroits — encore que l’axe Durban-Johannesburg soit une liaison majeure dans le paysage sud-africain.

Ce panorama n’est pas figé. Des évolutions récentes, dont on ne cerne encore que très peu la portée, pourraient être déterminantes. Une nouvelle donne paraît se dessiner, qui conduira à une pluralité encore plus forte des villes. Elle tient aux investissements industriels incités, à l’attribution de financements touristiques, à la mise en place de zones franches côtières, les Industrial Development Zones, et de corridors d’activités, les Spatial Developement Initiatives (cf. KZN Top Business Portfolio, 2002). Une refonte municipale de fond maille dorénavant la totalité de l’espace sud-africain (10).

Ces deux logiques, l’une économique, l’autre politico-administrative, composent ainsi deux nouvelles structures spatiales (fig. 4, haut) qui agissent sur les structures anciennes et différencient les villes. Les deux nouvelles structures élémentaires induisent en effet comme précédemment leur prolongement urbain (fig. 4, bas). Trois ensembles de villes se dégagent tout spécialement:

  • les «villes gagnantes», hôtes des plus grands chantiers économiques de la politique néolibérale sud-africaine (schéma de gauche); elles sont au nombre de trois, Richards Bay, Durban et Pietermaritzburg, composant aujourd’hui un «L gagnant» qui tend à se substituer au «T incliné» traditionnel.
  • les «villes laissées pour compte» (schéma de droite), frappées d’un déclassement municipal qui va affaiblir leur ascendant sur l’espace environnant par la perte de fonctions exécutives locales; ce sont plusieurs «assoupies blanches» et «démunies jeunes» des périphéries, ces dernières étant aussi dans une situation plus périlleuse au regard de leur localisation (non littorale) et de leur économie (non touristique).
  • le dernier sous-groupe (toujours sur le schéma de droite) est composé de ces «nouveaux chefs-lieux africains», localités mineures retirées de l’ancien homeland, auxquelles il est, en ce moment, octroyé des pouvoirs administratifs neufs en vue d’une meilleure intégration des périphéries africaines, telles Manguzi, Ekuvukeni ou encore Izingolweni; mais leur enclavement limite leurs possibilités.
5. Les villes du KwaZulu-Natal: esquisse typologique

 

Bibliographie

BENIT C., GERVAIS-LAMBONY P. (2003). «La mondialisation comme instrument politique local dans les métropoles sud-africaines (Johannesburg et Ekhuruleni): les “pauvres” face aux “vitrines”». Annales de Géographie, n° 634, p. 628-645.

BRUNET R. (1987). La Carte, mode d’emploi. Paris: Fayard/Reclus, 270 p.

BRUNET R. (1990). Mondes nouveaux, Le Déchiffrement du monde. Paris: Hachette/Reclus, coll. «Géographie universelle», vol. 1, livre I, 552 p.

FOLIO F. (2003). Les Villes du KwaZulu-Natal en Afrique du Sud: entre diversité héritée et évolutions récentes. Université de la Réunion, thèse de doctorat, 457 p.

GERVAIS-LAMBONY P., JAGLIN S., MABIN A. (eds), (1999). La Question urbaine en Afrique australe, Perspectives de recherche. Paris/Johannesburg: Karthala/IFAS, 332 p.

GUYOT S., FOLIO F. (2004). «Les villes du KwaZulu-Natal, entre différentiation et compétition: quels enjeux territoriaux?». L’Espace géographique, n° 4, p. 307-324.

KZN Top Business Portfolio (2002). Pinetown: GAM Publishing, 224 p.

LAMY A., FOLIO F. (2003). «La ville nouvelle portuaire de Richards Bay en Afrique du Sud: un destin assujetti à la métropole de Durban». Travaux et Documents Espace, sociétés et environnement de l’océan Indien, Université de la Réunion, p. 150-174.

MAHARAJ B. (2001). «A tale of Two Capitals: Pietermaritzburg versus Ulundi». The South African Geographical Journal, vol. 83, n° 3, p. 198-207.

ROBINSON P., MCCARTHY J. (1997). Provincial Spatial Growth and Development Framework for KwaZulu Natal: a research based resource document, rapport pour le KZN Department of Local Government and Housing, 50 p.

The Provincial Growth and Development Strategy for KwaZulu Natal (1996). KwaZulu-Natal Provincial Cabinet, rapport final, 117 p.