N°114

Atlas de la Nouvelle-Orléans

Que voilà un bien étrange ouvrage!

Les presses de l’Université de Californie publient (après San Francisco, Solnit R., 2010) cet Unfathomable city (littéralement «insondable» ville, jeu de mots à double sens à propos de la Nouvelle-Orléans!) sous-titré: «Atlas de La Nouvelle-Orléans», mais qui n’en est pas un!

En effet, c’est un recueil d’une vingtaine d’articles, de chroniques, voire carrément de nouvelles, qui traitent de La Nouvelle-Orléans et sont organisés chacun autour d’une carte. L’idée n’est pas d’être au plus près de la sémiologie graphique et des règles classiques de la cartographie, mais bien de s’appuyer sur des représentations artistiques iconoclastes, tant pour le sujet abordé que dans la restitution. Par exemple: la localisation des exploitations pétrolières dans le delta du Mississippi s’efface au profit d’une multitude de silhouettes d’oiseaux noirs, symboles des ravages de la marée noire d’avril 2010. La carte est intitulée «Oil and Water – Extracting petroleum, exterminating nature» (p. 48-49), le ton est donné!

L'ensemble de l’ouvrage reflète cet angle de vue délibérément décalé, provocateur, «underground». Pêle-mêle, on trouve une carte des lieux de hip-hop de la ville (p. 121-122), une incroyable carte de localisation des «Arabes de La Nouvelle-Orléans, vrais et imaginés» intitulée «The Mississippi is (not) the Nile» avec bandeau de photos à la clé (p. 86-87) ou encore une représentation de la pollution des sols au plomb, prétexte à l’énumération des mensonges (d'entreprises ou de personnages locaux) depuis 1717 (p. 148-149). Toujours dans l’éclectisme: une mise en parallèle des restaurants de fruits de mer et des lieux de sexe sur la même carte («Hot and steamy – Selling seafood, selling sex [1]», p. 80-81) et nombreux sont les exemples du jeu sur la double signification des termes (jusqu’au titre même de l'ouvrage).

Le traitement graphique est essentiellement à base d’à-plats de couleurs (dans les tons «décalés» aussi, on s’en doute, notamment avec l’utilisation de l'orange, du rose cru ou du vert pomme!) et de cartouches de noms incrustés directement sur fond noir comme pour évoquer un faire-part. Est-ce encore de la cartographie? Ne se rapproche-t-on pas de «quelque chose» qui serait de l'ordre du street art? Jusqu’au support même de l’ouvrage sur du papier «à l’ancienne» avec une couverture de carton brut (mais imprimé en Chine).

Parsemés de photos, de quelques dessins – très beaux –, de références bibliographiques, les textes associés aux illustrations constituent le cœur réel de l’ouvrage. Les auteurs sont tous liés à la ville et déclinent leur récit sur 3 ou 4 pages précédées d’un paragraphe à propos de la carte en référence. On ressent les souffrances, anciennes ou plus récentes (comme les ravages de l’ouragan Katrina en 2005), perler au fil des articles (très proches de nouvelles) «comme si l’eau n’était jamais loin de la surface du sol». À l’image des représentations graphiques, le ton est volontairement décalé, avec, il faut l’avouer, l’utilisation d’un vocabulaire américain assez complexe pour un Français ne maitrisant pas parfaitement la langue poétique de NOLA (New-Orleans Louisiana)…

Il faut lire (ou parcourir) cet ouvrage comme on flânerait dans les rues de La Nouvelle-Orléans: avec gourmandise, mais peut-être aussi sans trop s’appesantir…

Référence de l’ouvrage

SOLNIT R., SNEDEKER R. (Edit.) (2013). Unfathomable city – A New Orleans Atlas – Berkeley: University of California, 170 p., 22 cartes. ISBN: 978-0-52027-404-4

sans commentaire sur le jeu de mot du titre: «chaud et humide»!