N°115

Géographie des pôles de compétitivité: réseaux de lieux et réseaux d’acteurs

La politique des pôles de compétitivité, lancée en 2005, souhaite favoriser l’innovation et s’appuie pour ce faire sur le financement de projets de recherche collaborative qui doivent rassembler des entreprises, des laboratoires de recherche et des universités. À partir du cas des 9 pôles de compétitivité de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA), la thèse dont est issu cette image interroge à la fois l’impact spatial des politiques d’innovation et d’aménagement du territoire et les dynamiques spatiales et temporelles de réseaux de collaboration recherche/industrie. Elle propose une réflexion sur les outils théoriques et méthodologiques nécessaires pour décrire et représenter les réseaux d’acteurs nés de la politique des pôles et, plus encore, pour analyser leur organisation spatiale.

Une cartographie des réseaux dépendante de la distribution spatiale des acteurs

Le travail s’est ainsi appuyé sur une base de données rassemblant les projets de recherche collaborative labellisés par les pôles de la région PACA et leurs participants (900 projets labellisés entre 2006 et 2011, impliquant près de 2000 entreprises, laboratoires de recherche et établissements d’enseignement supérieur). Il a ainsi été possible de cartographier les réseaux de relations tissés autour de ces projets et leurs évolutions dans le temps. Les figures présentent les cartes produites à l’échelle nationale (figure 1a) et régionale (figure 1b) pour le pôle SCS (Solutions Communicantes Sécurisées) spécialisé dans le domaine de la microélectronique et des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC). Comme pour les autres pôles, ces cartes révèlent un double processus d’ouverture des réseaux à de nouveaux territoires et de densification progressive, qui se déroule de manière très similaire aux deux échelles.

Ces cartes «en oursins» présentent toutefois des limites importantes. Le principal écueil est celui des échelles qui impose de proposer plusieurs cartes. L’agrégation des acteurs au sein d’unités administratives conduit à masquer les relations de proximité (à l’échelle infracommunale par exemple pour la figure 1b) ou les relations à plus grande distance. Ces cartes proposent certes une image précise de la distribution spatiale des entreprises et des laboratoires impliqués dans les réseaux des pôles et de la géographie des liens, mais sont a contrario dépendantes de cette distribution spatiale des acteurs. Enfin et surtout, ces cartes ne permettent pas d’identifier le rôle de chacun des acteurs impliqués et les relations qu’ils tissent entre eux, d’autant que l’objet de cette recherche n’est pas la mise en réseau des régions françaises, telle qu’elle a pu être étudiée pour les villes européennes (Comin, 2009). La cartographie des réseaux de collaboration à l’échelle des acteurs est pour autant difficile pour des raisons de lisibilité des cartes et d’enchevêtrement des niveaux scalaires. Cette cartographie ne répond donc pas en l’état à toutes les exigences de représentation de la problématique, qu’il s’agisse des échelles (du local au national) ou de l’unité d’analyse (maille spatiale ou acteur). La mise en lumière des processus d’organisation des réseaux à échelle fine impose donc de compléter cette approche cartographique en mettant en œuvre d’autres outils, et tout particulièrement les méthodes d’analyse des réseaux sociaux.

1. Les projets de recherche collaborative du pôle SCS (2006-2008)
1a. à l’échelle nationale
1b. à l’échelle régionale

Les réseaux sociaux au service d’un questionnement géographique

Issus des travaux de sociologues, ces outils ont été introduits récemment en géographie, y compris dans le champ plus spécifique de l’innovation (Ter Wal, Boschma, 2009), à l’image des travaux des groupes Spangéo (Amiel et al., 2005) ou FMR (Flux, Matrices, Réseaux). Ces récents travaux de géographes se concentrent toutefois sur la mise en réseau de lieux, à l’image des réseaux de villes (Comin, 2009). Cette recherche propose, elle, d’articuler réseaux de lieux et réseaux d’acteurs (Offner, Pumain, 1996).
À l’inverse de la cartographie, les réseaux sociaux font primer les liens sur les nœuds, dans l’analyse comme dans les représentations graphiques (Degenne, Forsé, 2004). En s’abstrayant, au moins temporairement, de la localisation géographique et de la distribution des objets dans l’espace, ces représentations placent au premier plan la structure des relations qui les unissent. Le choix de l’acteur comme unité d’analyse permet aussi de comprendre la construction et l’évolution des réseaux. Loin de rompre avec le questionnement géographique, cette entrée permet en fait de ne pas réduire la géographie à la localisation. Les réseaux sociaux proposent donc une approche complémentaire de la cartographie autour de trois dimensions clés que sont l’unité d’analyse, l’échelle et la hiérarchie:

  • ils autorisent à varier les unités d’analyse en confrontant la structure et les dynamiques des réseaux de lieux et des réseaux d’acteurs;
  • ils abordent la hiérarchie des acteurs ou des lieux à partir de la structure de leurs relations et de leur position dans les réseaux. La centralité topologique et le rôle joué dans le réseau ne sont pas forcément liés à la centralité spatiale, pas plus qu’aux attributs de taille et aux caractéristiques intrinsèques des nœuds (dans le cas des entreprises, le nombre de salariés ou les investissements de Rercherche et Développement);
  • ils permettent enfin de montrer l’imbrication des échelles et, en changeant de métrique, de mettre en relation la distance physique et la distance dans le réseau.

Expliquer les dynamiques spatiales par les réseaux d’acteurs

La figure 2 offre un exemple de l’apport des méthodes d’analyse des réseaux sociaux. Elle a été produite avec le logiciel Netdraw (Borgatti, 2002) en agrégeant les liens entre entreprises et organismes de recherche et d’enseignement supérieur au sein des projets de recherche collaborative du pôle SCS, labellisés entre 2006 et 2011. Parmi ceux-ci, on a soustrait les collaborations ponctuelles pour ne conserver que les liens récurrents (les collaborations répétées dans différents projets de recherche) qui peuvent être considérés comme révélateurs de relations structurantes dans ce réseau (méthode dite des m-cores). On n’a conservé que les liens d’intensité 3 ou plus (soit les acteurs qui ont collaboré deux à deux dans au moins trois projets de recherche différents). Pour identifier des sous-ensembles en s’appuyant sur la structure des relations, on a alors appliqué au réseau obtenu la méthode des factions qui postule qu’un sous-groupe «idéal» est celui dont les membres sont tous reliés entre eux et entretiennent un minimum de relations avec l’extérieur. Dans le cas du pôle SCS, la partition en quatre sous-groupes met en lumière la conjonction de la proximité géographique avec d’autres logiques comme l’appartenance à un champ sectoriel ou technologique ou encore la taille des entreprises. Elle montre également que la structure des relations diffère d’un groupe à l’autre, de même que leur ouverture géographique. On peut ainsi observer des réseaux assez densément maillés autour du cluster de Rousset (en périphérie de l’agglomération marseillaise) tandis que les acteurs de Sophia-Antipolis s’inscrivent dans des réseaux plus lâches, mais aussi et surtout plus ouverts. On constate enfin le rôle clé de certains acteurs en position d’interface, à l’image de l’école Eurecom ou de l’INRIA.

On peut ainsi mettre en relation les dynamiques spatiales des réseaux des pôles et les logiques relationnelles qui prévalent dans les réseaux d’acteurs. La thèse a par exemple mis en lumière le rôle majeur des universités, grandes écoles et laboratoires de recherche dans l’ouverture des réseaux des pôles à de nouveaux acteurs et de nouveaux territoires dont rend compte la figure 2. Le passage par les réseaux sociaux ne constitue donc pas un renoncement à la dimension spatiale, mais permet au contraire de saisir la complexité de l’organisation spatiale de ces réseaux et le rôle qu’y jouent les acteurs.

2. Dynamiques spatiales des réseaux des pôles et des acteurs

Bibliographie 

AMIEL M., MELANÇON G., ROZENBLAT C. (2005). «Réseaux multi-niveaux: l’exemple des échanges aériens mondiaux de passagers», Mappemonde n°79 (3-2005), consultable en ligne.

BORGATTI S. P. (2002). NetDraw: Graph visualization software. Harvard: Analytic Technologies.

COMIN M.-N. (2009). Réseaux de villes et réseaux d’innovation en Europe: structuration du système des villes européennes par les réseaux de recherche sur les technologies convergentes. Paris: université Paris 1, thèse de doctorat de géographie, 724 p.

DEGENNE A., FORSE M. (2004). Les réseaux sociaux. Paris: Armand Colin, «collection U», 294 p. ISBN: 2-200-26662-6

OFFNER J.M., PUMAIN D. (1996). Réseaux et territoires. Significations croisées. La Tour d’Aigues: Éditions de l’Aube, 280 p. ISBN: 2-87678-297-9

TER WAL A., BOSCHMA R. (2009). «Applying SNA in economic geography: framing some key analytic issues». Annals of Regional Science, vol. 43, n°3, p. 739-756 doi: 10.1007/s00168-008-0258-3

Référence de la thèse

GRANDCLÉMENT A. (2012). Géographie des pôles de compétitivité: réseaux et territoires de l’innovation. Aix-en-Provence: université d’Aix-Marseille, thèse de doctorat de géographie, 501 p. OAI: tel.archives-ouvertes.fr:tel-00815894

Deux numéros de revues rendent compte de ces transferts (Kara, Privat, 2006; Fraenkel, Mbodj, 2010).
De nombreux travaux français produits par des non-géographes tracent ce champ émergent en dehors d’une approche strictement littéraire (par exemple: Fabre, 1993; Casanova, 1999; Coste, 2006; Lahire, 2006; Sapiro, 2008, 2009; Morante, 2009).
On y reconnaîtra la lecture incorporée de Pierre Bayard, notamment, Comment parler des livres que l’on n’a pas lus, 2007, Éditions de Minuit.