Sommaire du numéro
N°78 (2-2005)

Les páramos, espace stratégique pour la gestion
de l'eau dans les Andes septentrionales:
le bassin-versant du río Ambato (Équateur)

Sabine Girard

Institut français d’études andines c/o Institut de recherche pour le développement, Whymper 442 y Coruña, Quito, Équateur

Résumés  
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1. Localisation des páramos en Équateur
et situation de la zone d’étude

Écosystème caractéristique des Andes septentrionales, les páramos sont des formations végétales de haute montagne, que l’on trouve entre 3 200 m et 4 200 m. Ils présentent une végétation majoritairement non arborée, de plantes ligneuses (buissons et arbustes), de prairies à graminées vivaces, sur des sols acides, avec un climat froid, humide et variable. En Équateur, les páramos couvrent 12 600 km2 soit 5% de la superficie du pays (figure 1). De par leurs capacités de régulation et de rétention en eau, ils jouent un rôle particulièrement important dans l’alimentation en eau des bassins-versants andins. Mais aujourd’hui, 60% de leur surface est utilisée, essentiellement, pour l’agriculture et l’élevage. Les conséquences de cette mise en valeur préoccupent la société équatorienne comme les organismes de coopération internationale: on voit se multiplier projets et financements destinés à améliorer la gestion et la protection de cet écosystème. On perçoit mieux les raisons de l’intérêt actuellement porté aux páramos en examinant le cas d’un bassin-versant particulier: celui du río Ambato.

Le bassin-versant du río Ambato:
le déficit hydrique au centre des préoccupations

2. Le bassin-versant du río Ambato: altitudes et occupation du sol
3. Le bassin-versant du río Ambato: hydrologie et canaux d’irrigation

Le bassin-versant du río Ambato est situé sur les pentes orientales du volcan Chimborazo, qui appartient à la Cordillère occidentale de l’Équateur (figure 1). Il constitue 40% du territoire de la province du Tungurahua, soit 131 700 ha, entre 2 600 et 5 000 mètres d’altitude. Densément peuplé (123 hab./km2, des zones dépassant localement 500 hab./km2), le bassin présente une structure en étages où les découpages agro-bioclimatiques se superposent aux différenciations socio-économiques. De la vallée aux sommets, s’enchaînent un étage tempéré de fruitiers et de maraîchage à l’habitat métis (< 3 200 m), un étage froid aux cultures variées travaillées par des métis et des Indiens (3 200-3 500 m) et enfin un étage très froid de páramos où résident des communautés indiennes (> 3 500 m). La ville d’Ambato, en fond de vallée (2 600 m), est un carrefour commercial en pleine expansion (Métais et Cruz, 2003). L’ensemble des ressources en eau du bassin-versant provient de la dérivation des cours d’eau naturels alimentés par le páramo. Sur les 10,8 m3/s de débit donné en concession dans le bassin, 94% sont destinés à l’irrigation de très nombreuses petites exploitations agricoles (superficie moyenne d’un hectare) et 6% à l’alimentation en eau potable des zones urbaines en fond de vallée (figures 2 et 3).

L’offre d’eau dans le bassin-versant du río Ambato est limitée, face à une demande qui ne cesse d’augmenter du fait de la croissance démographique et de l’intensification de la production agricole. En 2003, le déficit hydrique du bassin-versant était évalué à 40% (Métais et Cruz, 2003).

Les problèmes de gestion de l’eau dans le bassin-versant peuvent, d’après les principaux protagonistes (gouvernements locaux, services déconcentrés de l’État, ONG, entreprises publiques, organisations indigènes) être résumés en quatre points:

  • perte des fonctions régulatrices de l’eau du páramo, dont la superficie diminue du fait de l’avancée du front pionnier mais aussi de la surexploitation de la prairie;
  • faible efficience hydrologique de l’irrigation, ce qui s’explique par une infrastructure défaillante, des techniques inappropriées d’utilisation de l’eau dans les parcelles et une distribution inéquitable et inadaptée (tours d’eau trop longs, débits trop forts);
  • pollution domestique et industrielle de l’eau et érosion des terres agricoles;
  • inefficacité de l’action des institutions appelées à résoudre les problèmes et à organiser la gestion de l’eau depuis Ambato (figure 4) (Girard, 2004)

 

4. Schéma résumant les problèmes de gestion de l’eau dans le bassin-versant du río Ambato, construit à partir des déclarations de ses différents protagonistes (Déconcentrations de l’État, gouvernements locaux, entreprises publiques, ONG, organisations indigènes et agricoles).
(Enquêtes 2004, Girard)

Pour ces différents protagonistes, dans leurs discours des cinq dernières années, la dégradation des páramos est la principale cause du déficit hydrique du bassin-versant. Avant d’analyser les impacts réels de l’exploitation du páramo sur les écoulements et afin de mieux comprendre les enjeux actuels de la gestion de ces terres d’altitude, il convient d’effectuer un rapide historique de l’occupation de l’espace dans la zone depuis cinq siècles.

L’occupation de l’espace dans le bassin-versant du río Ambato,
vision rétrospective et tendances récentes

La période préhispanique (avant 1535)

Avant l’arrivée des Espagnols, bien qu’il y ait peu de données utilisables, les auteurs s’accordent à dire que l’exploitation des páramos est faible et extensive (figure 5). Seules les vallées et les crêtes sont habitées (altitude < 3 000 m). Le páramo possède des valeurs sacrées et les seules activités qui y sont développées sont la collecte de bois et de plantes médicinales ainsi que la chasse de petits animaux (Bernal et al., 2000; Ortiz, 2003).

La période coloniale (1535-1830)

À leur arrivée, les colons espagnols fondent la ville d’Ambato et les quelques villages environnants et accaparent les meilleures terres. Le processus de légalisation des terres à la fin du XVIe siècle repousse les populations indigènes vers 3 200-3 500 m d’altitude, leur propriété collective n’étant pas reconnue. Le páramo n’a alors qu’une faible valeur économique, et les premières haciendas, qui contrôlent déjà la vallée, se l’approprient. Elles introduisent l’élevage ovin et transforment le páramo en pâturage extensif, principalement pour la production de laine à destination des manufactures. Pour cela, elles pratiquent le brûlis (pour éliminer buissons et arbustes) et organisent un habitat permanent pour assurer la surveillance des troupeaux. Le «concertaje», contrat liant les haciendas aux travailleurs indigènes, permet d’exploiter une force de travail à peu de frais. Par la suite, les haciendas se spécialisent:

  • haciendas d’altitude (3 000-4 000 m) vouées à l’élevage ovin et bovin associé à la culture de la pomme de terre;
  • haciendas d’étage tempéré (2 500-3 000 m) combinant luzerne, céréales et tubercules;
  • haciendas basées à l’étage subtropical mais à écologie multiple, avec un accès aux páramos.

Au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, les premiers grands canaux «verticaux» d’irrigation (perpendiculaires aux courbes de niveau) sont construits pour alimenter en eau à usage agricole, industriel ou urbain le bas de la vallée (Núñez, 1992; Ruf et al., 1997).

5. Schémas de l’évolution de l’occupation de l’espace dans le bassin-versant du río Ambato au cours des cinq derniers siècles

 

La période républicaine (1830–1960)

Contrairement à ce qui se passe dans les autres régions andines, les propriétaires des haciendas des étages moyens et bas commencent, dès 1830, à se convertir à d’autres activités plus rémunératrices: ils mettent ainsi en vente leurs propriétés par morceaux. Les anciens travailleurs indigènes et métis ainsi que de nombreux étrangers à la province acquièrent des terres et développent une agriculture familiale destinée à un marché alors en pleine expansion. L’effet cumulé de l’abandon des haciendas et de la croissance démographique aboutit à une atomisation de la propriété terrienne et à une forte croissance des besoins en eau. Cette ressource devenue stratégique est l’objet de nombreuses luttes. La construction de canaux «horizontaux» (parallèles aux courbes de niveau) permet de mobiliser des ressources éloignées des lieux d’utilisation. La loi de 1832, qui autorise la prise d’eau sur les terres d’autrui contre indemnisation, accélère le développement de l’irrigation (Núñez, 1992; Ruf et al., 1997).

En revanche, dans les hauteurs, les haciendas d’élevage se maintiennent, cohabitant avec les communautés indigènes dont elles continuent d’exploiter la main-d’œuvre. L’occupation des páramos s’intensifie. L’abolition du tribut indigène (1857) ainsi que la légalisation des terres communales (1869) contribuent à faire avancer le front pionnier actif vers les hauteurs du bassin-versant: les indigènes libres cherchent de nouveaux espaces pour s’installer et acquièrent, en collectivité, de larges bandes de páramo (Núñez, 1992; Ortiz, 2003).

Les changements de la structure agraire du milieu du XXe siècle 

Les deux réformes agraires de 1964 et de 1973 ont un triple effet sur l’occupation des terres d’altitude: la parcellisation et la privatisation de la propriété vont de pair avec l’avancée du front pionnier actif sur les páramos. En dépossédant les haciendas des terres considérées comme «sous-exploitées» ou «abandonnées» pour les revendre aux communautés indigènes légalement organisées, les réformes permettent à ces dernières d’obtenir de nouvelles terres (Hess, 1999; Núñez, 1992). Mais il s’agit bien souvent des terres les plus hautes et les moins productives. Les meilleures terres, en aval, sont mises en vente et échappent à une partie de ces mêmes indigènes qui n’ont pas les moyens de les acquérir et s’installent donc plus haut. En outre, l’Institut agraire pousse à l’intensification de l’usage des terres d’altitude récemment acquises sous peine de retrait pour «sous-exploitation».

La pression sur la terre, même en altitude, est telle que seule l’intensification de la production peut assurer la vie des ménages. Le páramo change de fonction: d’un espace de pâturage extensif, il se convertit en espace cultivé (pomme de terre, oignons, pâturage artificiel). Beaucoup de communautés profitent d’un flou réglementaire pour parcelliser les paramos et les mettre en culture De plus, l’ouverture des routes et l’accès à de nouvelles techniques permettent le développement de systèmes de production agricole et d’élevage. L’auto-subsistance recule au profit d’une agriculture plus tournée vers le marché. Ces nouveaux agriculteurs de l’étage supérieur du bassin-versant commencent à revendiquer le droit d’irriguer leurs parcelles et entrent en conflit avec les populations métisses des autres étages.

Dans ces étages inférieurs, la propriété continue à se fragmenter et les réseaux d’irrigation à se multiplier. Des ouvrages lourds d’irrigation, comme des tunnels entre micro bassins-versants, sont construits pour répondre à une demande en eau toujours plus forte.

Depuis, la pression sur les páramos n’a cessé de s’intensifier. La réforme agraire de 1994, en réduisant les barrières sur les transactions foncières, a libéré le marché de la terre entre paysans. Encore aujourd’hui, l’Institut national de développement agraire octroie des titres de propriété particuliers sur le páramo, favorisant ainsi son exploitation individuelle et empêchant ainsi un contrôle collectif sur la terre (Hofstede, 2001).

La situation actuelle: intensification de l’usage des terres
d’altitude et déficit en eau dans le bassin-versant

L’impact de l’exploitation des ressources du páramo sur l’offre en eau du bassin-versant

Entre 3 600 m et 4 500 m d’altitude, les páramos couvrent 35% de la surface du bassin-versant du río Ambato soit 45 900 ha. De cette surface, 19 750 ha, soit plus du tiers, sont soumis à une activité agricole: élevage ovin, pâturage, pomme de terre, oignon, orge. (Crissman, 2003). Un certain nombre de pratiques agricoles, principalement exercées par les communautés indigènes vivant à proximité ou sur le páramo, sont considérées comme dégradant ce milieu:

  • le surpâturage: broutage et piétinement de la végétation;
  • les mises à feu contrôlées visant à renouveler les jeunes pousses plus appétentes pour le bétail;
  • la mise en culture épuisant et érodant le sol;
  • la vente des excréments d’animaux hors des páramos: transfert de fertilité;
  • le drainage des zones humides pour alimenter les canaux d’irrigation;
  • la déforestation pour le bois de chauffe ou de construction.

Les dommages causés au páramo se mesurent à la diminution de la biodiversité, tant végétale qu’animale, et à la réduction de ses capacités régulatrices en eau: on observe une diminution et une plus grande variabilité des débits des cours d’eaux et des canaux d’irrigation situés en aval.

Les récents travaux de Buytaert (2002) permettent d’expliquer l’impact de l’exploitation des páramos sur les débits des cours d’eaux qui en naissent, grâce au suivi hydrologique comparé de deux micro bassins-versants de páramo situés dans le Sud de l’Équateur, l’un témoin (vierge de toute exploitation agricole), et l’autre mis en valeur par des agriculteurs. Ils montrent qu’en cas de précipitations, le bassin-versant mis en valeur enregistre des pics de crue plus forts et plus rapides que le bassin témoin. À l’inverse, en l’absence de précipitations, le débit dans le bassin-versant mis en valeur est plus faible que celui du bassin témoin. Selon Buytaert, ceci s’explique par les capacités régulatrices en eau des páramos. Ceux-ci ont des sols très particuliers: il s’agit d’andosols à forte capacité de rétention, dont la conductivité chute très rapidement lors de la saturation, ce qui leur permet de libérer progressivement un flux d’eau constant. Si l’on sait que l’altération de la structure du sol diminue de manière souvent irréversible cette capacité de rétention, on ne sait pas expliquer, par contre, en quoi cette dégradation affecte également la conductivité du sol et donc le flux de base en eau.

On n’est donc pas encore en mesure d’évaluer avec précision l’impact de l’exploitation des páramos sur le déficit hydrique d’un bassin-versant. Pour le río Ambato, d’autres facteurs pourraient par exemple être invoqués, comme les récentes modifications climatiques, qui entraînent une fonte spectaculaire des glaciers du Carihuarazo et du Chimborazo, lesquels alimentent les páramos. Une autre cause est à rechercher dans l’évolution de la demande en eau du bassin-versant.

L’impact de l’intensification dans l’étage haut sur la demande en eau
dans l’ensemble du bassin-versant

Au cours des vingt dernières années, le paysage agricole du bassin-versant s’est complètement transformé et, probablement, les écoulements dans le bassin-versant en ont été également modifiés. Dans l’étage haut (3 500-4 000 m), de nouvelles terres ont été mises en culture, tandis que dans l’étage moyen (3 400-3 600 m), avec l’accès à l’irrigation, de nouvelles cultures intensives tournées vers le marché se sont développées (telles la mûre, la carotte, ou la luzerne). Ces cultures, en puisant l’eau dans le sol et en étant alimentées par les canaux d’irrigation, captent une grande partie des écoulements à la fois superficiels (via les canaux) et sub-superficiels dans le bassin-versant, réduisant par la même occasion leur disponibilité plus en aval. L’impact de cette modification de l’occupation du sol du bassin-versant dans la variation des débits observés dans les étages bas mériterait également une étude plus approfondie.

La diminution des capacités de rétention en eau des páramos affecte donc l’ensemble des usagers du bassin-versant, mais particulièrement les agriculteurs en fin de réseau d’irrigation qui ne reçoivent plus les quantités d’eau auxquelles ils ont droit. Faute d’accès à l’eau, une partie de ceux-ci cesse de cultiver, et un paysage fragmenté, avec une alternance de parcelles irriguées et de zones asséchées se dessine dans le bas du bassin-versant. De fortes tensions entre les irrigants du haut et ceux du bas se développent, ainsi qu’entre les communautés des páramos, les associations des canaux d’irrigation et la ville d’Ambato.

La gestion des páramos au centre de la politique de l’eau
dans le bassin-versant du río Ambato

Les páramos, espace de vie, de ressources et patrimoine commun

Les páramos sont des écosystèmes de montagne où l’agriculture rencontre de nombreuses contraintes: risque climatique (gelées), fragilité (rapide épuisement et érosion des sols), éloignement des marchés. Celles-ci font que l’agriculture sur les páramos sera toujours plus difficile, moins rentable et plus destructrice pour l’environnement que celle pratiquée plus bas. Pourtant, les communautés indigènes ont adopté une stratégie de développement de l’agriculture qui est la conséquence d’une longue histoire de refoulement vers les terres hautes, qui commence avec le développement des haciendas et se poursuit avec la politique agraire de l’État équatorien.

La situation actuelle est ainsi le fruit d’un long processus qui légitime la présence indigène en ces lieux. Les communautés indigènes se sont approprié les terres des páramos. En développant leur agriculture, en créant des centres communaux et en mettant en place un pouvoir local, elles se sont affranchies des centres paroissiaux en aval. Ce nouveau contrôle territorial sur les terres d’altitude est devenu la base de la revitalisation ethnique indigène: les páramos deviennent un espace identitaire, celui des luttes contre les haciendas et celui de la perpétuation des traditions collectives de gestion (Ortiz, 2003; Ramonteau, 1999).

L’apparition d’un fort déficit en eau dans le bassin-versant a permis à ses différents usagers et gestionnaires de se rendre compte du paradoxe qui caractérise le fonctionnement actuel des páramos: c’est à la fois un espace stratégique pour la production en eau du bassin-versant mais également le lieu de vie et la source de revenus de nombreuses communautés indigènes. De par leur isolement, leur marginalité sociale et culturelle et la grande fragilité de l’écosystème où elles puisent leurs ressources, ces communautés indigènes n’ont que de minces possibilités pour se développer. Comment conserver alors les páramos pour assurer une alimentation en eau des zones aval tout en assurant durablement des moyens de subsistance aux populations de ces zones d’altitude?

Les stratégies de gestion des páramos

Ayant pris conscience de l’importance cruciale des páramos pour le bassin-versant, les diverses institutions de gestion de l’eau se sont mises à développer des projets fondés sur différentes stratégies.

Il faut savoir qu’en Équateur, depuis 1994, sous l’influence du courant néolibéral, très puissant dans l’ensemble du sous-continent, la gestion des ressources hydriques est décentralisée (Ruf, 2001). La principale institution d’État en charge de la gestion de l’eau a été démantelée, aucune législation ne vient définir clairement les nouvelles attributions et les devoirs de chacun, et aucune politique n’a accompagné le transfert de compétences aux gouvernements locaux et aux usagers (Arias, 2001). Dans le bassin-versant du río Ambato, ce sont principalement les gouvernements locaux (le Conseil provincial et les municipalités) ainsi que les ONG qui cohabitent et tentent, dans certains cas, de se coordonner pour gérer les ressources en eau.

Sous l’impulsion de leurs bailleurs de fonds, les deux principales ONG d’Ambato ont développé, chacune dans leur zone d’action, un projet spécifique de gestion des páramos, fondé sur trois lignes d’actions:

  • limiter la dégradation du páramo en cessant les activités d’exploitation de celui-ci, que ce soit de pâturage ou de culture;
  • développer des activités offrant de nouveaux revenus aux communautés indigènes;
  • restaurer l’écosystème du páramo par la reforestation.

Leur stratégie se fonde sur la sensibilisation et la formation des communautés indigènes pour les amener à gérer et à protéger elles-mêmes le páramo, via, par exemple, un plan de gestion approuvé et appliqué collectivement. En parallèle, les ONG soutiennent des initiatives de développement agricole (intensification des productions en contrebas des páramos, création de filières laitières) ou tertiaire (tourisme).

Avec les mêmes objectifs, l’entreprise d’eau potable de la ville d’Ambato développe une autre stratégie. Elle a signé un contrat avec l’organisation des communautés des páramos du micro bassin-versant d’où provient 60% de son approvisionnement en eau, qui prévoit, contre un certain financement, la mise en place d’un plan de gestion des zones d’altitude. Mais celui-ci est actuellement bloqué, du fait de détournements de fonds et de divergences d’interprétation réciproques des termes du contrat (Girard, 2004).

Si la première stratégie a l’inconvénient de créer une dépendance des communautés envers les ONG, la deuxième stratégie, elle, crée le sentiment que ces communautés sont propriétaires des páramos et doivent être rémunérées pour cela, ce qui leur a donné les outils d’un chantage au détriment de la ville d’Ambato, solution tout aussi peu durable. Une solution institutionnelle de plus long terme et de plus grande ampleur géographique est en cours de montage. Sous l’impulsion du Conseil provincial, les principales institutions de la province (les municipalités, l’entreprise d’eau potable d’Ambato, plusieurs ONG et les mouvements indigènes) ont créé en 2004 un fonds de gestion des páramos. Son objectif est de financer, via les budgets de l’État, des gouvernements locaux et des ONG, le développement d’activités durables garantissant les revenus des communautés des páramos, notamment grâce à l’intensification et à la diversification des activités (agricoles ou non) dans la zone aval des páramos (zone dite d’amortissement). Par cette initiative, qui n’en est encore qu’à ses débuts et reste nébuleuse sur bien des aspects (gestion, usage des fonds), se dessine la volonté de plusieurs acteurs de trouver une solution commune et coordonnée au problème de l’exploitation des páramos. C’est un phénomène nouveau dans un bassin-versant dont la gestion, jusqu’à présent, était sectorielle: chaque institution traitait d’un problème (eau potable, irrigation) dans son périmètre d’action (province, canton, communauté ou micro bassin-versant).

Conclusion: de la gestion des páramos
à la gestion intégrée du bassin-versant

Le discours des gestionnaires de l’eau peut facilement se focaliser sur les páramos: leur dégradation est visible et des boucs émissaires ont rapidement été trouvés. Cependant, la mise en place d’un réseau de mesures climatologiques et hydrologiques, tant en aval des páramos que sur les réseaux d’irrigation, permettrait d’analyser les causes réelles du déficit hydrique et de mesurer la contribution de l’exploitation des páramos au phénomène. De plus, cette focalisation du discours ne doit pas pour autant faire oublier la nécessaire amélioration des techniques d’irrigation dans le bassin-versant. L’état des infrastructures et l’organisation de la distribution de l’eau sont loin d’assurer une utilisation optimale de la ressource (Métais et Cruz, 2003).

Par ailleurs, la mise en avant du problème de la dégradation des páramos a permis de mettre en lumière d’une part les conditions de vie difficiles des populations de cette partie du territoire, et d’autre part la nécessité de prendre en compte de manière plus globale la gestion des ressources hydriques. Une gestion «intégrale» devrait concerner l’ensemble du cycle de l’eau, de sa production sur les páramos à ses multiples usages jusque dans la vallée. Elle pourrait également être qualifiée d’intégrée dans le sens où elle devrait prendre en compte les aspects tant techniques que sociaux, économiques et culturels autour de la gestion de la ressource. Développement territorial et gestion de bassin-versant deviennent alors deux champs d’action étroitement liés. Cette prise de conscience progressive des divers acteurs de la gestion de l’eau dans le bassin-versant du río Ambato constitue un phénomène particulièrement intéressant car elle montre, comment, sans imposition de schéma «d’en haut», un certain modèle local de gestion intégrée des ressources en eau peut se construire.

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