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Au nom du lieu

Un site Internet britannique connaît un succès exceptionnel depuis son ouverture en janvier 2006 avec trois millions de connexions lors des cinq premiers jours de son existence. Les médias britanniques s’en sont fait largement l’écho. Ce site est issu d’un projet de recherche récent, dirigé par Paul Longley et Richard Webber à l’University College de Londres (UCL), qui porte sur la répartition géographique des noms de famille en Grande-Bretagne en comparant le recensement de 1881 et les listes électorales de 1996. Le but scientifique est de comprendre les modèles de développement économique régional, de mettre en lumière la mobilité des populations sur plus d’un siècle et de questionner l’identité culturelle. Le site, destiné au grand public, ne reflète, bien sûr, qu’une partie de la recherche. La base de données contient 25 630 noms de familles. A été retenu chaque nom porté par au moins cent personnes en 1996. Deux cartes sont associées à chacun des patronymes (l’une pour 1881 et l’autre pour 1998). On y voit clairement la répartition spatiale de ceux-ci.

Les concepteurs ont pris soin de donner des informations détaillées comme le protocole de classification des noms de famille par catégories: celtique, anglais, d’origine étrangère. Des éléments statistiques sont aussi consultables : fréquence et classement du nom, «ethnicity» (à partir du premier prénom cette fois), cette dernière donnée étant la plus contestable sans doute. D’autres éléments géographiques, démographiques et sociaux sont présents. Des comparaisons internationales figurent aussi : occurrences du nom en République d’Irlande (à partir des listes électorales de 2003), en Australie (liste électorale de 2002), aux États-Unis (avec, étonnamment, l’annuaire téléphonique de 1990), en Nouvelle-Zélande (registre cadastral de 2002). Elles permettent de suivre partiellement les flux d'émigration vers les pays anglo-saxons.

Prenons un exemple facétieux. Blair, nom du Premier ministre, est d’origine écossaise. Les individus portant ce patronyme sont principalement concentrés sur la côte sud-ouest de l'Écosse en 1881… comme en 1998 (cartes). On retrouve cette stabilité géographique relative dans de très nombreux cas, y compris celui de Smith, nom de famille le plus commun en Grande-Bretagne (plus de 500 000 individus le portent), qui a exactement le même lieu de concentration d’un siècle à l’autre, dans les îles Shetland.

Carte Blair 1881

Carte Blair 1998

Constat est ainsi fait que les noms de famille restent souvent fortement liés à leur espace régional d’origine. Ce qui permet à Paul Longley d’affirmer que: «to a large extent social mobility is a myth»(1) (The Times, 21 janvier 2006), et à Richard Webber de conclure que: «These maps show there is not as much mobility as people think, and most movement is of the middle classes. People who don’t go to university are much less likely to move far away»(2) (id.).

Les géographes, comme les généalogistes britanniques amateurs en mal de racines, trouveront un certain plaisir à consulter ce site Internet sérieux et original.

Laurent Grison

Notes

1. «La mobilité sociale est dans une large mesure un mythe».

2. «Ces cartes montrent que la mobilité n'est pas aussi importante qu'on le pense, et que la plupart des mouvements sont le fait des classes moyennes. Les individus qui ne vont pas à l'université sont beaucoup moins enclins à déménager loin de chez eux».