L'image du mois

 Sommaire

Évolution de la population espagnole 1900-2006:
une représentation animée par la méthode des potentiels (1)

Cette animation cartographique sur l’évolution des effectifs démographiques en Espagne entre 1900 et 2006 (2) est basée sur l’emploi du modèle des potentiels (méthode) de population, l’un des transferts les plus féconds de la physique à la géographie. Ce modèle était déjà implicitement présent dans les écrits de Carey qui, au milieu du XIXe siècle, avait formulé l’hypothèse que la zone d’influence d’une population était proportionnelle à ses effectifs, en précisant que cette influence était inversement proportionnelle à la distance (Carey, 1858). Reilly, Stewart et Zipf ont utilisé ce modèle pour analyser les interactions entre de nombreux phénomènes sociaux (Pueyo, 1994; Camagni, 2005), tout en le considérant comme un indicateur de flux et de position.

L'analyse de la population au moyen des potentiels de population suppose l'évaluation de la population au-delà de sa localisation statique, en aidant à déterminer les espaces fonctionnels et les aires métropolitaines.
L'évolution des potentiels de population de 1900 à 2006 et sa représentation au moyen d'une animation facilite la compréhension du passage d'une société rurale à une société urbaine qui concentre actuellement plus de 80 % de la population du pays.
Croissance de Madrid, de la côte méditerranéenne, des capitales régionales et provinciales au détriment d'un plus faible intérieur et avec un moindre poids démographique.

Les cartes élaborées à partir de modèles gravitaires — et parmi elles celles qui utilisent les potentiels de population — permettent la visualisation des interactions spatiales; elles ont une grande valeur explicative puisqu’elles associent graphiquement population, distance et valeurs absolues (Isard et al., 1971; Calvo et al., 1989; Boursier-Mougenot et al., 1993). Plus la population des cellules est importante et plus la distance entre ces cellules est faible, plus le potentiel d’interaction sera fort. Ces deux indicateurs se trouvent corrélés puisque la valeur relative observée en un lieu est liée à toutes les interactions possibles avec les autres lieux de l’espace considéré. En outre, et entre autres aspects positifs, l’animation permet de visualiser des structures spatiales variables dans le temps, ce qui reflète parfaitement le caractère protéiforme des bassins de vie modernes qui ont transformé les relations de l’homme avec le territoire (Calvo et al., 2007).

Après ces remarques préliminaires relatives à la représentation cartographique, on peut aborder la question des transformations de la distribution spatiale de la population en Espagne. Sur une durée de plus d’un siècle (de 1900 à 2006), les transformations démographiques ont été profondes, ce qui s’est traduit par une multiplication de la population totale par un facteur 2,37; elle est passée de 18 millions à presque 45 millions.

L’évolution de la population reflète les traits particuliers de la société espagnole: tous les processus se sont déclenchés plus tard, et avec plus d’intensité que dans le reste de l’Europe occidentale (Navarrete, 2004; Puyol, 2005). On est passé en un temps très court à une situation extrême caractérisée par une natalité basse, un vieillissement accéléré, la concentration de la population dans les zones urbaines avec accroissement de l’immigration étrangère (Puyol, 2005). Ces transformations radicales se sont encore accélérées au cours du dernier quart de siècle, marquant de leur empreinte temporelle et spatiale la distribution de la population espagnole (Zamora, 2005).

Cette croissance a été spatialement différenciée, conduisant à la singularisation d’une Espagne côtière et urbaine dynamique (Cadix, Malaga, Baléares, Valence, Alava, Alicante, Séville, Guipuzcoa, Biscaye, Ténérife, Barcelone, Las Palmas et Madrid) s’opposant à une Espagne intérieure et rurale qui s’est inexorablement vidée (Teruel, Soria, Zamora, Lugo, Cuenca, Avila, Ourense, Huesca, Guadalajara, Palencia et Ségovie).

Ces différences confirment les hypothèses selon lesquelles l‘évolution de la population suit celle de la richesse (Perpiñá, 1954): les modifications de la géographie du peuplement et les différents cycles socioéconomiques qui ont marqué le siècle dernier sont directement corrélés (de Cos et al. 2006).La série de cartes de potentiels de population qui a servi à la présente animation correspond à la période 1900-2006. Elle permet de comprendre, à grands traits, les changements sans précédent qui ont marqué cette période avec une modernisation du pays et l’adoption du modèle socio-économique européen. Au cours de ces cent et quelques années on peut distinguer cinq étapes ou périodes (de Cos et al., 2006; Calvo et al., 2008):

1900-1930. L’Espagne rurale du premier tiers du XXe siècle, caractérisée par des croissances ponctuelles de noyaux urbains et par le développement d’activités extractives et industrielles, présente une structure duale:

  • d’un côté un monde rural qui, au Nord et sur la côte méditerranéenne, perd du poids du fait d’une émigration persistante en direction de l’Amérique du Sud et de l’Afrique du Nord, mais aussi du fait d’un exode en direction des capitales provinciales et de régions où se manifestent les débuts d’un développement industriel et minier;
  • de l’autre, le Sud rural qui continue à croître vigoureusement et constitue une réserve démographique.

1930-1950. La crise de 1929, avec l’interruption de l’émigration vers l’étranger, mais aussi et surtout les effets immédiats de la Guerre Civile provoquent le blocage de la mutation d’une société rurale et agraire vers une société urbaine et industrielle. C’est le début d’une période d’autarcie et d’isolement international que s’est prolongée jusqu’à la fin des années 1950.

1950-1981. Une période de grands changements démographiques, marquée par la transition des années cinquante et les transformations brutales des années 1960 et 1970. On passe d’un monde rural aux modes de mise en valeur extensifs à un territoire urbain et industriel fortement concentré. Cet exode de la campagne vers la ville constitue l’un des mouvements migratoires les plus importants et rapides de l’ensemble européen. La décennie 1960 a été une période majeure d’abandon des espaces ruraux et de la consolidation définitive du réseau urbain, avec une reprise concomitante de l’émigration espagnole vers l’étranger.

1981-2001. Ces années sont marquées par la stagnation démographique caractéristique de la fin du XXe siècle et par la transformation de l’Espagne en une société postindustrielle qui s’ouvre à l’Europe. La transition démographique entre dans sa phase finale, une transition accélérée et rendue plus difficile par l’ajustement économique des années 1980, qui impose une restructuration radicale de l’économie. Tout cela concourt à créer une situation de stagnation démographique qui se prolonge pendant les deux dernières décennies du XXe siècle. Mais, en même temps, cette évolution se traduit par la plus forte croissance des superficies urbanisées qu’ait connu l’Espagne.

2001-2006. L’essor économique des premières années du XXIe siècle s’accompagne de la première grande vague d’immigration étrangère, dans une Espagne où se renforcent les couronnes des grandes métropoles et l’axe côtier méditerranéen, espaces de forte croissance démographique. Par ailleurs, la perte de poids démographique des villes moyennes se confirme, bien qu’on observe de timides exemples de contre-urbanisation, dans des espaces de qualité, bien connectés, situés dans des régions métropolitaines d’un nouveau genre et d’échelle inédite. Par ailleurs, le déclin de la péninsule Cantabrique, de la Galice, de l’Andalousie intérieure et des provinces frontalières du Portugal se confirme.

La cartographie animée nous permet donc de mieux visualiser les changements de situation et les mouvements de population tout au long du XXe siècle et des premières années du XXIe siècle. Cela montre clairement comment on est passé d’une société essentiellement rurale au peuplement dispersé à une société urbaine, spatialement concentrée, postindustrielle, qui abrite dans ses villes une population plus âgée, mais pourtant moins vieillissante que dans le rural profond.

Ces cent années voient s’installer la prédominance de la moitié méditerranéenne du littoral de la péninsule, des espaces urbains et insulaires, au détriment des zones de l’intérieur et d’une partie de l’arc atlantique qui sont passées à côté de l’industrialisation, ou n’ont pas réussi à s’adapter à la reconversion industrielle de la décennie 1980, à se spécialiser dans les services, ou enfin à évoluer vers une agriculture primeur exportatrice.

Groupe d’Études sur l’Aménagement du Territoire (GEOT) (3)
Calvo Palacios J.L., Jover Galtier J.A.; Jover Yuste J.M., Pueyo Campos A.; Zúñiga Antón M.
Département de Géographie et Aménagement du Territoire
Université de Saragosse Espagne

(traduit de l’espagnol par Denis Eckert, CNRS)

Bibliographie

BOURSIER-MOUGENOT I., CATTAN N., GRASLAND C., ROZENBLAT C. (1993). «Images de potentiel de population en Europe». L'Espace géographique, n°4/1993, p. 333-345. ISSN: 0046-2497

CALVO PALACIOS J.L., PUEYO CAMPOS A. (1989). «Algunas aportaciones de los mapas potenciales poblacionales (1986) de la España Peninsular para la ordenación del territorio». Actas: Comunicaciones presentadas a XV Reunión de Estudios Regionales, Congreso de la Asociación Española de Ciencia Regional, Murcia, 29, 30 de noviembre y 1 de diciembre de 1989. Murcia: Ed. Diputación de Murcia, p. 457-468. ISBN: 84-7665-556-8

CALVO PALACIOS J.L., PUEYO CAMPOS A. (2007). «Población vinculada por municipios: su explotación cartográfica para el análisis territorial». Homenaje al profesor José Manuel Casas Torres. Madrid: Universidad Complutense. Área de Ciencias Sociales, p. 229-242. ISBN: 978-84-96702-18-9

CALVO PALACIOS J.L., PUEYO CAMPOS A., dir. (2008). Atlas Nacional de España: Demografía. Madrid: Ed. Centro Nacional de Información Geográfica, 388 p. ISBN 978-84-416-0685-2

CAMAGNI R. (2005). Economía urbana. Barcelona: Ed Antoni Bosch, 304 p. ISBN: 84-95348-13-6

CAREY H.C. (1858). Principles of social science. Philadelphia: Ed. J.B. Lippincott, 511 p.

DE COS GUERRA O., REQUES VELASCO P. (2006). «Modernización económica y cambios demográfico-territoriales en España (periodo 1900-2001)». Revista de Demografía Histórica, nº 1, p. 25-56. ISSN: 0213-1145

ISARD W., BRAMALL D.F., CARROTHERS G.A.P., CUMBERLAND J.H., SOCHOLER E.W. (1971). Métodos de análisis regional: una introducción a la ciencia regional. Barcelona: Ed. Ariel, 815 p. ISBN: 84-34400-71-5

NACARRETE RUÍZ J. (2004). «Anexo estadístico de la población española en comparación con la población europea». Informe sobre la situación demográfica en España. Madrid: Ed. Fundación Abril Martorell, p. 355-376. ISBN: 84-60921-47-6

PERPIÑÁ GRAU R. (1954). Corología: Teoría estructural y estructurante de la población española 1900-1950. Madrid: Ed Instituto de Economía “Sancho Moncada”, 210 p.

PUEYO CAMPOS A. (1994). Utilización de cartografía para el análisis y diagnóstico de la localización de equipamientos. Zaragoza:Ed. Publicaciones de la Universidad de Zaragoza,Tesis doctoral, 800 p. ISBN: 84-77334-32-3

PUYOL ANTOLÍN R. (2005). «La población española en el marco de la Unión Europea». Papeles de Economía Española, 104, p. 2-16. ISSN: 11340045

ZAMORA LÓPEZ F. (2005). «La España que viene». Papeles de Economía Española, 104, p. 330-343. ISSN: 11340045

Notes

1. Cette étude a été réalisée grâce à l’appui technique et humain du Service de Cartographie de l’Atlas National d’Espagne et de la Sous-Direction Générale des Applications Géographiques de l’Institut Géographique National espagnol (IGN), de la Sous-Direction des Recensements de l’Institut Nacional de la Statistique (INE).

2. Ce point est développé dans un article (à paraître): Calvo Palacios J.L., Pueyo Campos A., Zúñiga Antón M. dans le numéro 26 de Sud-Ouest Européen «La réorganisation spatiale du peuplement en Espagne entre 1900 et 2007».

3. Grupo de Estudios en Ordenación del Territorio (GEOT), Departamento de Geografía y Ordenación del Territorio, Universidad de Zaragoza. Contact: Á. Pueyo Campos, J. L. Calvo Palacios