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Les pollutions maritimes accidentelles survenues dans et aux abords de la Manche entre 1960 et 2007
Les façades maritimes françaises sont le théâtre d’un trafic maritime très dense, particulièrement en Manche — mer du Nord. Depuis les années 1960, ce trafic est à l’origine de grandes marées noires: Torrey Canyon (1967, 119 000 tonnes), Amoco Cadiz (1978, 227 000 tonnes), Erika (1999, 31 000 tonnes), Prestige (2002, 77 000 tonnes). Afin de gérer ce risque, et le plus souvent en réponse aux principales marées noires, les autorités françaises améliorent, depuis près de quarante ans, leur dispositif de lutte au travers d’un plan de secours, communément appelé plan POLMAR (POLlution MARitime), désormais intégré dans le processus global de sécurité civile ORSEC (Organisation de la Réponse de SÉcurité Civile). Longtemps uniquement réactif, ce dispositif gagnerait à devenir davantage proactif. Cependant, se préparer efficacement à lutter contre les pollutions maritimes accidentelles implique d’identifier au préalable les risques auxquels sont soumis les territoires. Les travaux conduits par l’auteur dans le cadre de son doctorat visent à analyser les risques de pollution maritime accidentelle au large des côtes françaises et l’évolution des mesures prises par les autorités afin d’améliorer la préparation et la gestion de ce type de crise. Parmi les facteurs à prendre en compte pour analyser le risque, l’accidentologie constitue un champ d’analyse géographique intéressant, en particulier dans la Manche et ses abords, qui concentrent une très forte densité de pollutions maritimes. Une vaste base de données sur les pollutions survenues au large des côtes françaises a ainsi été constituée à partir de données jusque-là éparses et disparates. Décrire précisément les caractéristiques des pollutions survenues au large des côtes françaises a permis de déterminer les secteurs les plus accidentogènes et les principales causes des accidents maritimes induisant une pollution. 86 pollutions maritimes ont été recensées dans et aux abords de la Manche entre 1960 et 2007. Si la densité de pollutions est élevée sur l’ensemble de la zone, certains secteurs concentrent plus de pollutions que d’autres. C’est le cas des DST (Dispositif de Séparation du Trafic) d’Ouessant, des Casquets et du Pas-de-Calais, qui ont précisément été établis à la fin des années 1960 afin de réduire les risques d’abordage dans une région où le trafic maritime est dense dans les deux sens, et dans les secteurs où se croisent des flux importants de navires. Les abords des grands ports (Le Havre, Milord Haven, Rotterdam, etc.) et certains estuaires (l’Humber et la Tamise) comptent également une densité de pollutions plus forte. Sur les 86 pollutions recensées dans la zone, plus de 70% sont des pollutions par hydrocarbures. Si seules ces dernières ont été enregistrées jusqu’en 1985, à partir de la période 1985-1989, un basculement s’opère. La part des pollutions par hydrocarbures diminue au profit des pollutions chimiques et des pollutions classées dans la catégorie «Autres pollutions», pour aboutir sur la période la plus récente (2005-2007) à la disparition des pollutions par hydrocarbures. Le transport d’hydrocarbures par voie maritime, loin d’avoir diminué en volume, s’est par conséquent sécurisé. En revanche, l’accroissement exponentiel du transport de substances autres (produits chimiques, vrac, conteneurs, etc.) a provoqué l’apparition de nouveaux types de pollution sans être, à ce jour, réellement accompagné des mesures appropriées de sécurisation du transport. Les pollutions par hydrocarbures, largement majoritaires ont été soumises à une analyse plus détaillée. Si l’on considère une ligne médiane dans la Manche allant de la pointe du Cotentin à l’ouest de l’île de Wight, on constate que si, en nombre d’événements, les deux côtés sont à peu près équivalents, la partie occidentale de la Manche a connu des pollutions de plus grande ampleur que la partie orientale (les deux pollutions supérieures à 100 000 tonnes, le Torrey Canyon et l’Amoco Cadiz, ainsi que 4 des 5 pollutions comprises entre 10 000 et 100 000 tonnes). 40% des déversements accidentels d’hydrocarbures en mer sont inférieurs à 500 tonnes et plus d’un sur cinq est inférieur à 100 tonnes. Ces pollutions de moindre ampleur, si elles ont eu en général un impact relativement faible sur l’environnement et l’économie, n’en demeurent pas moins significatives en raison de leur fréquence. D’une manière générale, la période 1975-1979 connut le plus grand nombre de pollutions (13) contre une moyenne de 6,1 pollutions sur les autres périodes de cinq ans. Cette diminution globale des pollutions par hydrocarbures en nombre et en quantité rejoint l’analyse faite par l’ITOPF au niveau mondial. La Manche et ses abords comprennent des secteurs plus ou moins accidentogènes en fonction des périodes. Ainsi, la majorité des pollutions qui ont affecté les côtes de la pointe de la Bretagne sont survenues dans les années 1970 et 1980. De même, les ports ont subi la plupart de leurs pollutions entre les années 1960 et 1980. Les années 1990 et 2000 leur sont vraisemblablement plus favorables, à l’exception du port de Rotterdam. Depuis les années 1990, elles se situent majoritairement à l’entrée occidentale de la Manche, aux abords des DST des Casquets et du Pas-de-Calais. La collision est la cause principale de près de 40% des accidents maritimes. Le DST du Pas de Calais se distingue clairement puisque la totalité des pollutions survenues dans cette zone fut causée par une collision. Les collisions sont également fréquentes aux abords des ports. Près d’une pollution sur 5 est due à une avarie. Celles-ci sont presqu’exclusivement localisées au large des côtes bretonnes, et notamment du Finistère et de la côte nord bretonne; en raison des conditions de mer particulièrement difficiles dans le secteur compris entre le golfe de Gascogne et la Manche. Les échouements sont à l’origine de 11,4% des pollutions. Les autres causes sont plus marginales, inférieures ou égales à 5% des pollutions, à l’exception des pollutions dans les ports inhérentes à un problème au moment du chargement ou du déchargement de la cargaison et des désarrimages, tous deux à l’origine de 6,8% des pollutions. Les désarrimages sont cependant sous-évalués, car, il n’est pas, à ce jour, possible de recenser l’ensemble des pertes de conteneurs en raison du manque d’exhaustivité et de fiabilité des données. Nombre de conteneurs et de fûts, dangereux ou non, sont régulièrement perdus en mer. L’étude de l’évolution des causes de pollution apporte quelques précisions significatives. L’influence de la mise en place des DST et l’ensemble des mesures de prévention prises par les autorités françaises et britanniques, notamment la mise en place de remorqueurs, n’est pas statistiquement mise en lumière, bien qu’elle soit réelle. Les remorqueurs et les procédures d’accueil des navires en difficulté (aussi appelées «zones refuges»), généralisées en France et au Royaume-Uni depuis la directive européenne 2002-59, permettent de réduire le nombre de pollutions causée par une avarie. Par ailleurs, l’augmentation des collisions dans les DST tient à la densification du trafic. La composition des équipages, la diminution du nombre d’hommes à bord et leur manque de formation contribuent également à l’accroissement du nombre de collisions, mais il est difficile de quantifier la part que représentent ces facteurs dans les causes d’accident. Couplée à d’autres facteurs, cette base de données recensant les pollutions maritimes permet d’établir une cartographie de l’aléa (par croisement avec la caractérisation du trafic maritime et les conditions de navigation) et du risque (par croisement avec une analyse des vulnérabilités physique, écologique, économique et démographique de chaque département littoral). L’analyse géographique fournit ainsi une plus-value significative en matière de gestion de risque et de crise. Elle peut permettre aux autorités maritimes et terrestres de structurer leur dispositif de lutte en fonction des enjeux réels de chaque territoire. L’expérience montre que les décideurs sont friands d’images cartographiques, pourvu qu’elles soient synthétiques, claires et directement opérationnelles. Le géographe a, par conséquent, une place à se faire dans ce domaine, à condition d’accepter de concilier recherche et contraintes opérationnelles. Sophie Bahé Bibliographie BERTRAND A.R. (2000). Transport maritime et pollution accidentelle par le pétrole. Faits et chiffres (1951-1999). Paris: Technip, 146 p. ISBN: 2-7108-0775-0 HOOKE N. (1997). Maritime Casualties 1963-1996. LLP Limited, 741 p. HUIJER K. (2005). Trends in Oil Spills from Tanker Ships (1995-2004). London: ITOPF Papers, 14 p. (consulter) LLOYD’S SHIPPING INFORMATION SERVICES (1982). Tanker Casualty Bulletin. p. 4 NOAA (1992). Oil Spill Case Histories 1967-1991. Summaries of Significant US and International Spills. Seattle: Report HMRAD 92-11, NOAA - Hazardous Materials Response and Assessment Division, 224 p. OTSOPA (1999). Accidents chimiques en mer, étude de cas. Groupe de travail de l’accord de Bonn, 17 p. [2 février 2006] OTSOPA (1999). Chemical spills at sea, Case studies. Bonn agreement, 17 p. SAFETEC (1999). Historical Oil Spill Statistics. Rep. ST-8639-, MEHRA’s (DETR), 46 p. SCHMIDT ETKIN D. (1997). Oil Spills from Vessels (1960-1995): An International Historical Perspective. 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