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Mort de Bataville

C’est à Moussey en Lorraine que s’est bâti le curieux village de Bataville, un des rares en France à porter le nom de la firme qui l’a aménagé pour ses besoins.

Thomas Bata, né à Zlin en 1876, y a fondé une fabrique de chaussures en 1894. Il est assez vite devenu un empereur de la chaussure en Tchécoslovaquie puis au-delà ; il est mort accidentellement en 1932, mais il avait déjà choisi en octobre 1931 le domaine d’Hellocourt, sur 500 ha, pour y construire une usine modèle, recrutant localement, fondée sur le système fordiste qu’il avait étudié en Amérique, et à caractère très paternaliste et autoritaire. Bata fournissait l’épicerie, gérait les loisirs, et fit même installer la première piscine de la campagne lorraine. L’usine et les cités ouvrières qui la flanquaient ont fonctionné dès septembre 1932, employant 2 700 salariés en 1939, et encore 2 000 dans les années 1950, 1 500 au début des années 1990. Entre temps, l’empire Bata avait réussi à se transférer au Brésil et au Canada pour ne laisser au nouveau régime tchèque d’après 1948 que les ateliers de Zlin.

C’est de Toronto qu’est venue en 2001 la décision de fermer l’usine, qui occupait encore 840 personnes, produisant 1 500 000 paires de chaussures par an, au motif qu’ouvriers et syndicats ne suivaient plus les règles paternelles du jeu de jadis. En 2002, une société formée par un cadre de l’usine, précédemment directeur des ventes, a emprunté à Hellocourt le raccourci publicitaire Hello, et repris 280 des 840 salariés. Elle a continué à travailler pour le compte de Bata et elle est devenue également sous-traitante du voisin Mephisto, installé à Sarrebourg, mais le contrat a été assez vite rompu, en partie parce que produits et clientèles étaient trop différents. Hello à son tour est entré en grave difficulté en 2004, licenciant 172 personnes ; la société a obtenu un sursis jusqu’en avril 2005 ; le tribunal a prononcé sa liquidation définitive le 22 juin 2005, entraînant le licenciement des 88 salariés restants.

Moussey est dans la partie méridionale du département de la Moselle, dans le canton de Réchicourt-le-Château à 5 km ONO du chef-lieu ; la commune, qui n’avait que 260 hab. en 1931, était brusquement passée à 1 100 en 1936, et conservait à peu près ce niveau en 1968 ; mais la population a diminué depuis et s’est réduite à  650 habitants en 1999. Bataville est au NE du village et déborde sur le ban de Réchicourt ; il en reste des maisons, un lieu-dit, et beaucoup d’amertume. L’habitat, pas très bien conçu, a vieilli et s’est dégradé.

Il existe un Batawa au Canada et un Batanagar en Inde. La firme Bata emploie plus de 40 000 personnes dans le monde et dispose de 4 600 magasins. Le siège est à Toronto, c’est toujours un Bata (Thomas G.), petit-fils du fondateur, qui dirige le groupe. Sa devise est «People first», les gens d’abord…

Roger Brunet, 29 juin 2005