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Le «champ atlantique»: un état des lieux des relations élu / océan dans les territoires institutionnels de la façade océanique française en 2007
Cette carte issue d'une thèse de géographie inscrite dans les thématiques de recherche de l’UMR LIENSs de l’Université de La Rochelle sur l’environnement littoral et les sociétés qui y vivent. La thèse analyse les relations que les élus locaux de la façade atlantique française — l’ensemble des territoires bordés par l’océan, du nord de Brest à la frontière franco-espagnole au sud — entretiennent avec l’environnement océanique de leur territoire d’élection. Face à ce questionnement, la méthodologie, qui cumule démarche théorique et opérationnelle, est centrée autour de la notion de champ. Cette notion offre en effet la possibilité de dépasser les contradictions émanant du fait que l’environnement océanique est à la fois l’objet d’une appropriation singulière de la part de chaque élu — du maire au député — mais aussi d’une appropriation collective car nombre de territoires sont bordés par l’océan Atlantique. Cette dimension collective est d’autant plus visible qu’il existe un «espace atlantique» institutionnalisé à l’échelle européenne, qui a notamment pour origine les revendications des promoteurs de l’Arc Atlantique, et qui correspond à l’espace d’intervention des programmes de développement communautaires impulsés par l’Union européenne pour l’Ouest du continent. Souvent utilisée mais peu conceptualisée par les géographes, la notion de champ est ici partiellement empruntée à la sociologie de Pierre Bourdieu. L’hypothèse de l’existence d’un «champ atlantique» structure ce travail: d’un espace social hiérarchisé, métaphorique et relationnel, dans lequel les élus sont en concurrence pour s’approprier une ressource qui leur est commune, l’environnement océanique. Cette grille de lecture d’essence constructiviste se démarque de la théorie de Pierre Bourdieu puisqu’il s’agit moins de faire état de rapports sociaux de type dominant/dominé que de vérifier l’existence d’un espace métaphorique dans lequel des individus se disputent un bien collectif, élaborent des stratégies et mobilisent des ressources variées pour au final améliorer leur position dans le «champ atlantique». Toutefois, dans le prolongement de la théorie du sociologue, chaque élu s’est vu doté d’un «capital atlantique»: celui-ci se compose d’un patrimoine, le patrimoine atlantique territorial (l’ensemble des relations passées et présentes entre un territoire d’élection et l’océan), et des ressources que chacun mobilise pour faire fructifier ce patrimoine. Pour évaluer le volume des «capitaux atlantiques», nous avons mobilisé les travaux de Michel Lussault pour qui l’image territoriale officielle constitue le médiateur de l’ensemble des pratiques politiques locales (Lussault, 1998): dans le cas présent, l’image territoriale «Atlantique» se fait le reflet des seules relations politiques avec l’environnement océanique. Pour révéler le volume de capital de chacun des individus du champ, ces images doivent toutefois témoigner de l’adhésion de leur producteur à la représentation collective de l’environnement océanique en vigueur (le bien collectif), et en même temps trahir leur volonté de se l’approprier. Par conséquent, la déconstruction des images «Atlantique» élaborées par les élus nécessite de mettre en avant à la fois leur face «visible» (portée à connaissance des administrés) et leur face «cachée» donc les conditions de leur production afin de mesurer les ressources que chacun mobilise et les stratégies qu’il élabore. Ainsi, sur un plan opérationnel, une analyse de la communication périodique des collectivités territoriales a dans un premier temps engendré un double classement:
Dans un second temps, le travail de déconstruction des images s’est effectué autour de leur face «cachée». Pour ce faire, deux types de matériaux ont été mobilisés. D’une part, soixante-six entretiens menés avec des élus de la façade (maires et délégués intercommunaux, conseillers généraux et régionaux, députés et sénateurs) avaient pour but de préciser les représentations (au sens strict) et les motivations des élus pour mettre en valeur la proximité de leur territoire avec l’océan; en outre, ces entretiens furent également fort utiles pour mettre en avant les jeux d’acteurs. D’autre part, l’analyse des conditions de production des documents et des projets d’aménagement (au sens large: opérations urbaines, d’aménagement, de patrimonialisation, actions environnementales, etc.) ont également révélé les motivations et les ressources des élus pour accroître la diffusion de l’environnement océanique dans leur territoire. Ces matériaux montrent que les individus les mieux dotés en «capitaux atlantiques» sont ceux qui cumulent des atouts d’ordre biographique (par exemple le fait d’être né dans une commune littorale), sensible (relations personnelles à l’environnement océanique), politique (capital politique, et insertion dans des réseaux de relations comme par exemple l’insertion dans des groupes d’études ou des associations de défense des intérêts littoraux et/ou maritimes) et idéologique (habilité à maîtriser les idéologies territoriales (Di Méo, 2001) de leur espace d’élection). Dans un dernier temps, les relations élus/environnement océanique ont été replacées dans leur contexte territorial de production afin de comprendre, au-delà des liens personnels de chacun des élus avec l’océan, les motivations territoriales qui contribuent à leur intérêt ou à leur désintérêt pour cet environnement géographique. En ce sens, trois types de motivations sont visibles:
La carte présentée ici constitue la synthèse des relations élus / environnement océanique, et inclut les enjeux territoriaux. Elle montre la spatialisation du «champ atlantique», en tant qu’espace de circulation de l’idéologie territoriale «atlantique», dont les limites varient en fonction de l’intérêt des élus pour la ressource collective et de leur capacité à faire pénétrer cette idéologie (leur capital «atlantique»), par exemple dans des territoires dans lesquels certaines idéologies territoriales sont bien installées (basque, chouanne, etc.). Cette carte ne traduit pas en revanche la hiérarchie entre les différents élus du «champ atlantique». Plus ailleurs, cette thèse, au-delà de la production de connaissances sur les relations élus/environnement géographique, montre que la notion de champ possède un intérêt heuristique certain pour le géographe, par exemple pour appréhender le rôle croissant du politique dans l’espace, au regard d’un contexte institutionnel qui renforce ses prérogatives (décentralisation) et plus largement face aux besoins de citoyens de plus en plus mobiles et en quête de sens géographique. Fabien Brulay Bibliographie DI MEO G. (2001). Géographie sociale et territoire. Paris: Nathan université, coll. «fac géographie», 317 p. LUSSAULT M. (1998). «Image (de la ville) et politique (urbaine)». Revue de Géographie de Lyon, vol. 73, n° 1/98, p. 45-53. Référence de la thèse BRULAY F. (2008). Le Champ Atlantique. Essai sur les relations entre les acteurs politiques locaux et l’océan sur la façade Atlantique française. La Rochelle: Université de La Rochelle, thèse de géographie, p. 504. (télécharger) |