L'image du mois

 Sommaire

Élections européennes 2009:
vers la naissance d’un clivage écologie/socialisme ?

La principale surprise des élections européennes en France, largement analysée par les médias, est venue du succès de la liste «Europe Écologie» emmenée par Daniel Cohn-Bendit, au détriment du parti socialiste et du MoDem. Avec plus de 16% des suffrages exprimés, les écologistes obtiennent 14 sièges et talonnent les socialistes. Ce bon résultat a été largement commenté par la presse nationale et expliqué par une campagne active menée très tôt autour de thèmes axés sur l’Europe et d’un véritable projet européen, mais aussi par un report d’une partie des voix de la gauche, divisée, et du MoDem.

1. Écart entre le vote pour le Parti Socialiste et Europe Écologie

La carte de la comparaison du vote socialiste et du vote écologiste (fig. 1) est intéressante à plus d’un titre, notamment parce qu’elle dévoile une géographie politique relativement nouvelle. Si elle rappelle celle du clivage rural/urbain observé dès 2002, le vote écologiste déborde largement des hypercentres et, d’autre part, se cumule avec une géographie de la France assez lisible à laquelle il est assez tentant d’associer certains clivages économiques. Une analyse «à chaud» a pu «résumer» ce vote autour de trois «V»: Villes, Voisins, Vacances (Bussi, 2009).

La dimension urbaine du vote écologiste est maintenant connue (Bussi, Ravenel, 2002). Cependant, jamais l’écologie politique n’avait atteint un tel score. Ainsi, la liste Europe Écologie devance la liste socialiste dans huit des dix plus grandes communes de France (parmi elles, le PS n’est devant la liste Europe Écologie qu’à Lille et Strasbourg). Ces résultats des centres urbains masquent cependant des écarts parfois importants au sein des agglomérations. Indépendamment du très faible taux de participation dans des bureaux de vote urbains, les socialistes continuent de devancer les écologistes dans un certain nombre de «banlieues» ou plus exactement de communes satellites souvent gérées par des équipes d’union de la gauche, socialiste et communistes (tableaux 1 et 2).

Cliquez sur un tableau pour zoomer

L’opposition entre les communes socialistes «ouvrières» (Liévin, Grand-Quevilly, Le Creusot, Grande-Synthe…) et des communes urbaines à forte image technopolitaine (Meylan, Orsay, Gif-sur-Yvette, Cachan…) est particulièrement spectaculaire. On voit poindre une difficulté majeure pour le socialisme municipal, grand gagnant des dernières élections locales: arbitrer entre des demandes écologistes d’une partie de son électorat, et des demandes sociales, souvent concentrées dans des quartiers ou des communes spécifiques. En dépit d’un argumentaire bien rodé par les élus socialistes (le modèle «Delanoë» à Paris), développement durable et développement social ne sont pas toujours solubles en un même programme, à l’instar du logement social ou des priorités économiques en termes d’accueil d’entreprises. Les cartes ont le mérite de faire apparaître que derrière l’archétype du «Bobo», très mobilisé par les médias nationaux pour expliquer le vote écologiste urbain, se cachent plusieurs comportements urbains de gauche, souvent associés à des stratégies ou contraintes différenciées d’habitat et de mobilités dans la ville. Cependant, seule une analyse à l’échelle des bureaux de vote permettra d’aller plus loin dans de telles investigations.

La dimension périurbaine du vote écologiste est un autre enseignement passionnant à décrypter, même si l’on ne peut ici que formuler des hypothèses. Il semble que le vote écologiste se soit largement diffusé dans les périphéries urbaines, y devançant le plus souvent les Socialistes (les cas de Rennes, Orléans, Tours, Toulouse, Clermont-Ferrand sont éclairants). Ces mêmes périphéries urbaines ont par ailleurs souvent été «stigmatisées» lors d’analyses postélectorales en raison d’un vote pour le Front national supérieur à la moyenne nationale. Il est alors intéressant de s’interroger sur le lien entre cette diffusion du vote écologiste vers les périphéries urbaines et le fait que les questions «environnementales» apparaissent comme des enjeux récurrents des politiques d’aménagement de ces espaces, notamment dans le cadre de la mise en place des SCOT (Schémas de Cohérence Territoriale) et des Pays. Même si on peut penser que les débats dans le cadre de documents d’urbanisme stratégiques ne sont connus que d’une minorité de citoyens-électeurs, on peut tout de même estimer que les habitants périurbains sont fortement sensibilisés aux questions de durabilité, qu’il s’agisse de consommation de l’espace, de consommation énergétique individuelle, de risques naturels, de modes de déplacements, etc. On pourrait formuler l’hypothèse que les résidents périurbains intègrent progressivement ce discours global sur la durabilité, d’autant plus que cette question est souvent présentée comme transcendant les clivages partisans classiques (1). Reste à comprendre si cette attitude «écologiste» de la part des résidents périurbains, propriétaires de résidences et de véhicules individuels relève d’un changement d’attitude avéré et/ou souhaité, ou si l’expression électorale représente un processus intériorisé d’arbitrage d’une certaine «mauvaise conscience», à l’instar par exemple des mesures de compensation carbone à partir du calcul de son empreinte écologique personnelle. Le bulletin anonyme déposé dans une urne est souvent considéré comme le symbole de l’expression de la contradiction entre attitude et réalisation personnelles, et aspiration à des valeurs géoéthiques collectives.

Enfin, la carte de la comparaison du vote écologiste et socialiste dévoile des écarts régionaux significatifs. Les Socialistes devancent les écologistes dans le Nord de la France, le Centre et le Sud-Ouest, rappelant de façon assez visible la fameuse et presque oubliée «diagonale du vide». À l’inverse, l’Ouest intérieur, l’Île-de-France, l’Alsace, le Sud-Est et la Corse ont accordé massivement leurs suffrages aux écologistes. On serait tenté d’y voir en «vert» les «régions qui gagnent» et en «rose» celles qui doutent. Il ne s’agit pas seulement d’un vote de résidents secondaires sensibles à leur environnement, ou de l’estimation de l’impact de la préservation du patrimoine sur une courbe de fréquentation touristique: la carte révèle plus globalement une différenciation entre des territoires où le développement durable rime avec le développement économique, et d’autres où les deux font encore l’objet de conflits d’usages, notamment parce que les économies primaires ou secondaires y restent plus prégnantes qu’ailleurs (industries portuaires ou énergétiques; agriculture intensive). La lecture des littoraux est en ce sens instructive: les littoraux «verts» correspondent à ceux largement tertiarisés et mis en tourisme (Côte fleurie normande, Sud de la Bretagne, bassin d’Arcachon, côte d’Azur…); les littoraux «roses» à ceux marqués par des activités énergétiques ou «terriennes» dominantes (côte d’Opale et d’Albâtre, Nord de la Bretagne, Landes, delta du Rhône…).

Une dernière lecture du vote écologiste renvoie au vote «régionaliste». Le score d’Europe Écologie est effectivement élevé dans des régions où la fibre «régionale» est souvent considérée comme forte (à défaut de pouvoir être mesurée en France): Corse, Pays Basque, Catalogne française, Savoie, Alsace… la Bretagne constituant une exception notable. La participation de la Fédération «régions et peuples solidaires» au rassemblement «Europe Écologie», soutenue par un certain nombre de leaders régionalistes (occitans, corses…) pourrait avoir capté une partie de cet électorat. Mais la principale conclusion, comme lors des scrutins européens précédents, demeure l’absence de comportements électoraux régionalistes marqués. Les courants fédéralistes ne profitent aucunement d’un mode de scrutin pourtant susceptible de favoriser l’élection de candidats à forte implantation régionale.

Les élections européennes, scrutin «intermédiaire» ou de «second ordre» pour les politistes, présentent l’intérêt de faire émerger des comportements relevant d’une offre politique nouvelle, débordant des clivages politiques classiques enfermés dans le carcan des partis de gouvernement. Le clivage «écologie-socialisme», jusqu’à présent peu mis en évidence, apparaît à ce titre comme relativement inédit. Bien entendu, la carte des votes ne dresse qu’une photographie conjoncturelle, qui plus est de la minorité de citoyens qui s’est exprimée en 2009. Elle lève pourtant peut-être le voile sur l’un des enjeux politiques majeurs qu’ont et qu’auront à affronter les territoires: sont-ils tous égaux d’un point de vue économique et social face à l’exigence écologiste sociétale proclamée?

Céline Colange, Michel Bussi et Jean-Paul Gosset
Laboratoire MTG - UMR 6266 IDEES
Université de Rouen

Bibliographie

BUSSI M. (2009). Un nouvel espace politique? Le vote des grandes régions françaises. Colloque «Analyse des élections européennes de juin 2009», CEVIPOF.

BUSSI M., RAVENEL L. (2003). «Écologistes des villes et écologistes des champs: analyse spatiale de l’implantation en France des partis écologistes et «Chasse Pêche Nature et Traditions», Cybergéo, 205

Note

1. L’effet du film «Home», largement mobilisé dans l’explication du vote écologiste, en est un exemple évident, l’étalement urbain et ses conséquences étant l’une des thématiques largement traitées par le documentaire.