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La carte archéologique: une mesure de l’activité des archéologues

L'utilisation d'une carte des vestiges archéologiques connus ne peut se faire sans précautions, ce que l'exemple présenté ici (tiré d'un récent travail de bilan de la recherche en Picardie) (1) permet d'illustrer.

La carte 1 montre les sites de Picardie attribuables à la période allant du IIIe siècle av J.-C. au milieu du premier siècle de notre ère (2).

1. Les sites archéologiques de Picardie (IIIe siècle av. J.-C. - 50 ap.J.-C.)
1. Les sites archéologiques de Picardie (IIIe siècle av. J.-C. - 50 ap. J.-C.)

La répartition de ces sites, loin d'être aléatoire, met en évidence des axes et zones d'occupation privilégiés. On pourrait penser que la carte est représentative de l'occupation de l'espace à la période considérée: les zones de vestiges connus correspondraient alors au tracé des voies de communication et aux zones d'implantation préférentielles à l'époque gauloise.

En fait cette répartition correspond bien à des axes et à des zones spécifiques, mais il s'agit de grands aménagements récents (carte 2) qui ont fait l'objet d'un suivi archéologique. La majeure partie des données sur la période gauloise a en effet été collectée depuis une vingtaine d'années, c'est-à-dire depuis la mise en place de véritables opérations d'archéologie préventive destinées à enregistrer l'information que les grands travaux permettent de mettre au jour mais font aussi disparaître.

Les grands aménagements récents en Picardie
2. Les grands aménagements récents en Picardie

Cette constatation appelle plusieurs remarques.

  • La première, évidente, est que cette carte des vestiges connus n'est que celle de l'état de la recherche (elle-même largement dépendante de l'activité d'aménagement et donc de l'archéologie préventive), et non celle de l'occupation à la fin de l'âge du Fer: les zones vides de la carte ne sont pas des zones de moindre occupation, mais des zones peu ou pas explorées.
  • Une deuxième remarque concerne les conséquences à tirer, pour la conservation du patrimoine archéologique, de ces découvertes. Bon nombre des sites connus n'existent plus et n'ont pas à faire l'objet de mesures conservatoires: la fouille, puis les travaux d'aménagement ayant déclenché cette fouille, ont déjà entraîné leur disparition physique. Il n'est donc pas possible d'utiliser cette carte pour la gestion et la conservation du patrimoine: elle ne répertorie pas des sites à protéger.

Ces remarques doivent être replacées dans le contexte des débats actuels sur l'organisation et la pratique de l'archéologie préventive en France (3). Les services de l'État émettent en effet des prescriptions d'archéologie préventive et imposent la réalisation de sondages avant le démarrage de certaines grandes opérations d'aménagement; ils doivent, en toute logique, s'appuyer en grande partie sur les informations fournies par la Carte archéologique nationale. Celle-ci, gérée au moyen du système d'information géographique «Patriarche» (PATRImoine ARCHEologique), contient la localisation des vestiges connus, datés et identifiés (ou «entités archéologiques») (4); mais l'on voit bien, compte tenu de ce que l'on vient de montrer plus haut, que l'idée — parfois évoquée — de restreindre ces prescriptions aux seuls sites connus de la Carte archéologique n'est pas applicable.

En effet, aussi bien en termes de recherche archéologique et d'élaboration de modèles d'occupation de l'espace qu'en termes de gestion patrimoniale — c'est-à-dire de prise en compte de la présence de vestiges pour motiver des mesures de protection ou des opérations de fouille préventive —, la «carte archéologique» (au sens de la carte des vestiges connus) ne peut être utilisée en lecture directe: elle peut, au mieux, fournir des éléments pour inférer de manière probabiliste ce que pouvait être l'occupation de l'espace à une époque donnée — et donc la présence possible de vestiges archéologiques, à condition de faire aussi porter le raisonnement sur les espaces encore inexplorés.

Bruno Desachy
Ingénieur d'études, service régional de l'archéologie de Picardie

Références bibliographiques

1. «La recherche archéologique en Picardie: bilans et perspectives (Journées d'études à Amiens 21 et 22 mars 2005)». Revue archéologique de Picardie, n° 3/4, 2005, 346 p.

2. Données F. Malrain, F. Gransar, S. Gaudefroy — INRAP —, cartographie Cellule carte archéologique SRA Picardie, sites ramenés aux centroïdes des communes

3. Cf. le rapport du sénateur Yann Gaillard sur la politique de l'archéologie préventive (n° 440, 2004-2005), et le compte-rendu de la séance du Sénat du 11 mai 2006 sur ce rapport.

4. FROMENTIN F., LAUZANNE S., ROPARS A. (2006). «L'inventaire archéologique national». in DABAS M., DELETANG H., FERDIERE A., JUNG C., HAIO ZIMMERMANN W., La Prospection. Paris: Errance, coll. «Archéologiques», p.8-12. ISBN: 2-87772-328-3