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Voyage dans la bande dessinée à travers quelques cartes
Les cartes sont très présentes dans un grand nombre de bandes dessinées, tous styles confondus. Elles font souvent partie intégrante de l’univers décrit et permettent au lecteur d’en apprendre davantage sur le monde dans lequel prend place la narration. Objet éminemment visuel, la carte est aussi mobilisée pour faire vagabonder notre imagination. Car elle fait beaucoup plus que situer des lieux, des frontières et des hommes : elle engendre le rêve et l’évasion. Elle crée une ambiance, raconte déjà toute une histoire et donne une atmosphère au récit. Nous proposons ici quelques exemples de la manière dont les cartes sont mobilisées et représentées dans la bande dessinée. La sélection faite pour ce petit tour d’horizon n’est qu’un échantillon de la richesse et de la diversité des représentations cartographiques que l’on peut trouver dans les albums. Une exposition, plus complète, a été consacrée à ce thème lors du Festival de Bandes dessinées de Tours du 14 au 16 septembre 2007. Vision d’un monde, vision du monde Les lieux situés sur les cartes des bandes dessinées sont parfois réels, parfois issus de l’imagination des auteurs, Les mondes imaginaires Au fil de plusieurs albums, Benoît Peeters et François Schuiten nous font découvrir Les Cités obscures. Chacun d’eux nous raconte une histoire qui se déroule dans un lieu précis de ce monde. Une carte, éditée par l’IGN (1), permet de voir comment s’organisent des lieux comme Urbicande, Samaris, Pahry ou Brüsel au sein d’un gigantesque continent.
Si la consonance des noms de certaines villes nous semble familière, ce n’est pas un hasard. Les auteurs ont d’ailleurs consacré le premier chapitre de leur ouvrage. Le Guide des Cités aux «données géographiques». Ils y décrivent leur monde comme «un reflet décalé de la Terre» où « des noms, des édifices, et même des quartiers entiers apparaissent des deux côtés de façon presque identique ». Si la cartographie est si présente dans l’univers de Peeters et Schuiten, c’est que «la passion des cartes et des planisphères est l’un des traits communs à toutes les Cités obscures». Nul doute que c’est également la passion des deux auteurs puisque leur dernier ouvrage, La Frontière invisible, nous raconte l’histoire d’un jeune cartographe (fig. 1). Le Monde de Troy est un monde de magie et d’aventures fantastiques imaginé par Christophe Arleston; on y suit la quête de Lanfeust dessinée par Didier Tarquin, ou les péripéties des Trolls dessinées par Jean-Louis Mourrier. Un volume hors-série complet a été consacré à la Cartographie illustrée du monde de Troy (fig. 2). Outre la présence d’une grande carte, un livret nous enseigne quelques éléments de la géographie de cette planète imaginaire. Le planisphère du monde d’Aldébaran, imaginé par Léo, permet de se représenter la colonisation d’une nouvelle planète dont la morphologie est assez proche de celle de la planète d’origine des explorateurs, la Terre (fig. 3). Notre monde Des cartes plus familières, représentant notre terre, sont aussi mobilisées au service de la fiction et créent un effet de réel.
Le planisphère d’Apocalypse Mania (Philippe Aymond et Laurent-Frédéric Bollée) représente notre monde, en y indiquant les coordonnées des endroits que viennent frapper quatre rayons de lumière venus de l’espace (fig. 4). Dans ce cas, une représentation très familière contribue à crédibiliser un événement surnaturel. Islandia de Marc Védrines est l’histoire d’un jeune Français qui s’embarque clandestinement sur un navire partant pour la pêche en Islande au XVIIe siècle. L’auteur reproduit une carte de l’Islande de l’époque (fig. 5) réalisée par Abraham Ortelius, cartographe des Pays-Bas de la fin du XVIe siècle. L’Épervier de Patrice Pellerin est une série mettant en scène les aventures du capitaine Yann, chevalier de Kermeur, dit «L’Épervier de Crozon», vers 1740. Au début de chaque épisode, l’auteur nous livre une carte détaillée des lieux qu’arpente son personnage (fig. 6), créée à partir de documents d’époque, ce qui donne une véritable épaisseur historique à son travail. Poser une ambiance Certains éléments caractéristiques d’une période historique, présents dans les cartes représentées par le dessinateur, sont là pour aider le lecteur à se situer dans le temps ou simplement pour créer une ambiance. La carte médiévale Dans Le Loup, l'Agneau et les Chiens de guerre (Régis Hautière et Hardoc), aventure médiévale fantastique, la carte s’inspire nettement de la table de Peutinger. La ville est symbolisée par un bâtiment et les routes principales y sont dessinées (fig. 7). Les zones boisées sont symbolisées par des arbres de profil: on donne beaucoup de place au figuratif.
Les grands voyages maritimes
Les bandes dessinées qui se situent au moment des grands voyages maritimes, de l’exploration du monde et de la découverte de nouveaux continents sont souvent fidèles aux représentations cartographiques de l’époque. Les cartes sont alors produites par des marins et pour des marins. La cartographie devenant une véritable science, des règles commencent à se mettre en place : on indique le Nord, on donne une échelle et l’on mentionne dans un cartouche l’auteur et la date de la carte. Les portulans représentés en début d’album de De Cape et de crocs, d’Alain Ayroles et de Jean-Luc Masbou, nous situent rapidement dans le contexte des voyages maritimes du XVIIe siècle (fig. 8). Pour le dos de la couverture d’Iles Bourbons 1730 (fig. 9), Lewis Trondheim a simplement recopié en détail, dans le style qui lui est propre, la carte établie par Jacques-Nicolas Bellin en 1763. Les cartes au trésor
Les cartes au trésor, parchemins aux bords écornés marqués d’une grosse croix, illustrent bien des récits d’aventure et de piraterie. Dans De Cape et de crocs, les héros sont en concurrence avec une bande de pirates pour arriver les premiers aux Isles Tangerines grâce à une carte trouvée dans une bouteille (fig. 10). Dans Ratafia, dont le texte est truffé de calembours, les auteurs, Nicolas Pothier, Frédérik et Greg Salsedo, racontent l’histoire d’un capitaine qui met à disposition de son équipage une dizaine de cartes au trésor (fig. 11). De même, Jean-Louis Marco se sert d’une carte au trésor pour débuter les aventures de Rosco le Rouge (fig. 12). Les cartes d’état-major et les cartes routières
Les cartes d’état-major, avec la précision de leur représentation du relief, sont aussi très fréquentes. Dans presque chaque album de Tanguy et Laverdure (Jean-Michel Charlier, Albert Uderzo, Jijé et al.), les militaires s’appuient sur des cartes très détaillées (fig. 13). Dans Les Tuniques Bleues (Raoul Cauvin, Louis Salvérius et Lambil), la carte d’état-major est tout aussi présente mais tout juste esquissée (fig. 14).
Dans le Triangle Secret (fig. 15) et dans Le Maître de Jeu (fig. 16), les auteurs ont choisi de reproduire directement un extrait de carte routière. Graphiquement, ce choix ne perturbe en rien la lecture de la vignette malgré la richesse des détails présents. Ce sont d’ailleurs ces détails que les auteurs ont certainement voulu mettre en avant: comme le héros, le lecteur peut rechercher l’information sur la carte. Les cartes géopolitiques Bien que situé dans un monde imaginaire, l’album L’Idole dans la Bombe, de Stéphane Presle, Jérôme et Anne-Claire Jouvray, nous propose une carte qui semble familière. C’est, plus ou moins transformé, le monde de la Guerre froide avec quelques noms de pays et villes amusants: Malalaisie, Calculppa, Kükistan, Oulalbatar (fig. 17).
La cartographie du futur Alors que les cartes classiques sont en deux dimensions, on trouve dans les récits futuristes des représentations en trois dimensions. Même si l’on reste dans le système solaire dans Universal War One, Denis Bajram a choisi de représenter son univers en guerre en trois dimensions (fig. 18). S’agit-il encore d’une carte ?
On le voit au terme de cette promenade dans quelques réalisations d’auteurs: les représentations cartographiques dans les albums de bandes dessinées sont d’une extrême variété et d’une grande richesse iconographique. Olivier Marlet, UMR 6173 CITERES - Laboratoire Archéologie et Territoires - Tours Références des albums et séries cités (présentées par ordre d’apparition) Avec l’aimable autorisation des auteurs et des éditeurs PEETERS B. et SCHUITEN F. (2002). Les Cités Obscures. Le Guide des Cités, Casterman, ISBN: 2-203-38026-8 ARLESTON Ch., TARQUIN D. et MOURRIER J-L. (1998). Cartographie illustrée du Monde de Troy, Soleil Productions, ISBN: 2-87764-720-X LÉO (1997). Aldébaran; Le groupe, Dargaud, ISBN: 2-205-04569-5 AYMOND Ph. et BOLLÉE L-F. (2001). Apocalypse Mania. Experiment IV, Dargaud, ISBN: 2-205-05129-6 VÉDRINES M. (2006). Islandia. Escale boréale, Dargaud, ISBN: 2-205-05801-0 PELLERIN P. (1994). L’Epervie. Le trépassé de Kermellec, Dupuis, ISBN: 2-8001-2053-3 HAUTIÈRE R. et HARDOC (2004). Le Loup, l'Agneau et les Chiens de Guerre. Mercenaires, Paquet, ISBN: 2-940334-38-2 AYROLES A. et MASBOU J-L. (1995). De Cape et de Crocs. Le secret du Janissaire, Guy Delcourt Productions, ISBN: 2-84055-059-8 APPOLLO et TRONDHEIM L. (2007). Iles Bourbons 1730, Guy Delcourt Productions, ISBN: 2-75600-656-7 POTHIER N., SALSEDO G. et F. (2005). Ratafia. Mon nom est Capitaine, éditions Milan - Treize Étrange, ISBN: 2-7459-1664-5 MARCO J-L. (2003). Rosco le Rouge. Les baies sauvages, Le Cycliste, ISBN: 2-912249-55-4 CHARLIER J-M., UDERZO A., JIJÉ et al. (1981). Tanguy et Laverdure: Opération Tonnerre, Dargaud, ISBN: 2-01-008154-4 CAUVIN R., SALVÉRIUS L. et LAMBIL (1989). Les Tuniques Bleues: En avant l'amnésique, Dupuis, ISBN: 2-8001-1639-0 CONVARD D., FALQUE D. et al. (2000). Triangle Secret. Le jeune homme au suaire, Glénat, ISBN: 2-7234-3101-0 CORBEYRAN E. et CHARLET G. (2000). Le Maître de Jeu. Testament, Guy Delcourt Productions, ISBN: 2-84055-414-3 PRESLE S., JOUVRAY J. et A-C (2006). L’Idole dans la Bombe, Futuropolis, ISBN: 2-7548-0043-3 BAJRAM D. (1998). Universal War One. La Genèse, Soleil Productions, ISBN: 2-87764-807-9 |