N° 82 (2-2006)
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Connaissance géographique et pratiques cartographiques dans l’enseignement secondaire
CRESO-UMR CNRS 6590, IUFM de Basse-Normandie |
À partir d’observations faites lors d’une recherche en didactique de la géographie (1), on pose ici la question de la nature des discours sous-jacents aux croquis et aux schémas produits dans les classes de géographie. Nous nous appuyons pour cela sur la notion de géographicité (Robic, 2005). Cette notion est associée à une interrogation sur l’origine et la nature du savoir géographique (Dardel, 1952). On considère alors que le rapport des individus à la réalité comporte une dimension irréductible à toute autre, celle de la confrontation avec l’espace terrestre (2). Ce rapport avec l’espace terrestre, produit social, est un rapport de connaissance, par lequel se fabrique aussi de l’identité, individuelle comme collective (Retaillé, 2000, p. 283). La notion de géographicité fournit un cadre propice à l’analyse des pratiques d’enseignement. Car la géographie scolaire n’a pas pour seule mission la transmission de connaissances valides, opératoires pour comprendre le monde, mais aussi la construction, pour chaque nouvelle génération d’élèves, d’une identité collective. Pour mener cette analyse de productions scolaires, nous avons conçu un outil d’analyse des discours géographiques, outil dérivé de travaux de D. Retaillé (1997, 2000). Quels discours géographiques sur le monde des élèves de collège construisent-ils quand ils élaborent des croquis ou des schémas cartographiques à l’initiative de leur professeur? Quelles conceptions de l’espace géographique portent ces propositions cartographiques? Quelles fonctions ont alors ces croquis et ces schémas? Les manières de penser le monde, outil pertinent d’analyse des pratiques Dans l’enseignement de la géographie, le discours domine très largement les autres moyens de transmission de savoirs et de techniques que sont le geste, le regard ou l’écoute. Nous appréhenderons par conséquent le rapport à l’espace terrestre, tel que la géographie scolaire contribue à le produire, à partir de la notion de discours géographique. Nous proposons un outil de description et d’analyse de ces discours construit à partir de trois «manières de penser le monde en géographie» (Retaillé, 2000). Pour D. Retaillé, ces manières correspondent à «une même posture cognitive» quiconsiste à «penser le monde avec la Terre comme référence» (ibid., p. 273). «Ces trois manières ne sont pas contradictoires, mais successives et complémentaires dans la construction de la connaissance. Elles voient leur part varier avec le niveau d’élaboration du discours» (ibid., p. 273). Elles constituent ainsi des repères pour situer et qualifier tous les discours géographiques. Comme nous faisons l’hypothèse que les discours géographiques scolaires sont variés, mixtes, fluctuants, il est a priori pertinent de construire un outil d’analyse de ces discours, qui s’appuie sur des types-idéaux. La première manière consiste en un «exercice de nomination et de mise en tableau pour décrire une chose et parfois un être» (Retaillé, 2000, p. 276); «[…] dominée par la matérialité de la Terre [elle] privilégie la nature héritée et les aménagements apportés par les générations antérieures […]» (ibid., p. 274-275). La deuxième manière privilégie «la mesure et la mise en ordre pour inscrire dans la dimension spatiale de la terre» (ibid., p. 276). La troisième manière peut être qualifiée d’idéelle: elle vise «l’exposé d’un sens» donné à la coprésence dans l’espace, une pensée «de l’unité et de la continuité» (ibid., p. 276). La connaissance de l’espace terrestre, qui peut, dans la réalité, emprunter aux trois manières de penser le monde, se construit chez les individus tout en fabriquant de l’identité. Nous allons préciser cette idée, en nous appuyant tout d’abord sur deux catégories élémentaires de la géographicité: l’ici et l’ailleurs. L’ici est, pour un être humain confronté à l’espace terrestre, «la preuve ‘vivante’ de l’existence» (Retaillé, 1997, p. 41). L’ailleurs est «la composante géographique de l’altérité […] C’est un quelque part qui n’adhère pas tout à fait aux catégories représentationnelles de notre expérience ordinaire» (Turco, 2003, p. 53). Outre l’ici et l’ailleurs, on peut distinguer une troisième catégorie, que nous appellerons les confins: «là où les choses diffèrent, là où s’opère la transition vers l’ailleurs ou vers l’autre» (Robic, 2000, p. 95). Chacune des trois manières apporte des réponses différentes à la question de l’identité:
En mobilisant ces trois manières, on peut proposer une lecture conjointe du type de connaissance géographique et de vision du monde transmises dans l’enseignement secondaire. Cette transmission s’effectue notamment dans la réalisation de croquis et de schémas. Les croquis et schémas (3) ont alors des fonctions différentes que nous allons identifier grâce à l’étude de quelques cas (fig. 1). Les discours sur l’identité sont rarement explicites pendant les cours de géographie. L’intérêt d’une analyse épistémologique de travaux cartographiques est précisément de dévoiler des visions du monde qui se transmettent de façon implicite. Croquis de géographie et production de discours sur le monde Au travers de quatre études de cas, on veut donner un aperçu de la variété des discours géographiques auxquels renvoient cartes et croquis réellement produits dans les classes de collège (4). Étude de cas n° 1 Dans une classe de quatrième, le cours sur la répartition de la population française débute par une question: «Existe-t-il des règles de localisation de la population française?». Ensuite, les élèves doivent, à partir d’une carte de la distribution de la population française choisie dans le manuel, produire quatre croquis intermédiaires, intitulés: «le long des fleuves», «le long des côtes», «les plus grandes villes» et «la diagonale du vide». Enfin ils les superposent dans le croquis final (fig. 2). La question initiale laisse penser que le professeur cherche à faire élaborer par ses élèves un discours géographique proche de la deuxième manière. Alors, comment se fait-il que le reste du cours soit plus proche de la première manière? Quel rôle est dévolu à la cartographie?
En effet, la légende du croquis final mentionne des réalités visibles sur le terrain: localisation de «principaux fleuves», de «côtes». Le cours met l’accent sur une série d’associations de faits visibles et de répartition des densités. Chaque schéma intermédiaire permet de faire partager le constat d’une association: forte densité et grand fleuve, forte densité et littoral, etc. Leur succession laisse penser que le professeur vise la consignation systématique de ce qui est jugé significatif du territoire étudié. La légende du croquis final se présente comme une liste de faits visibles de toute sorte (fleuves, côtes et grandes villes), auxquels elle ajoute une «diagonale du vide» présentée comme une réalité du territoire du même ordre que les précédentes. En l’absence de notions (pôles, axes etc.), les figurés assurent une fonction de localisation des faits sélectionnés par le professeur. L’absence pendant le cours de mention de règles d’organisation de l’espace valables ailleurs (Allemagne, Grande-Bretagne, Espagne, etc.) ou à d’autres échelles (Europe, région) laisse aussi penser que la visée était d’abord de produire une image spatiale «complète» de la population française. C’est la connaissance de l’ici (en l’occurrence, le territoire français) qui est privilégiée. Dans ce cadre, l’épure des configurations cartographiques (l’hexagone) et des linéaments (fleuves) n’est pas une aide à la conceptualisation: le professeur ne vise pas l’élaboration de règles générales de l’organisation de l’espace, mais la consignation de faits relatifs aux densités de population. Elle est un facilitateur de mémorisation qui prend sens dans la perspective d’une vérification des connaissances pour le brevet des collèges. Le schéma final produit un effet de «monstration» (5) alimenté par le caractère systématique et compilateur de la démarche. Il a une fonction de répertoire: il rassemble les localisations importantes et certifie que l’essentiel de la distribution de la population française est donné à voir et à retenir. Comme nous le verrons pour les autres cas analysés, le professeur a procédé à un arbitrage entre des logiques différentes, arbitrage qui l’amène à produire un discours géographique composite. L’arbitrage concerne ici les finalités de l’enseignement de la géographie. Priorité est donnée à des finalités culturelles (construire une culture commune) qui se traduisent par la réalisation du schéma répertoire final, au détriment de finalités de formation intellectuelle, dont la question initiale du cours constitue cependant la trace. La culture commune visée se conçoit en occultant ce que l’ailleurs pourrait partager ou en quoi il pourrait être coprésent avec l’ici. Étude de cas n° 2 Dans une classe de quatrième, un cours sur «Paris et la Région parisienne» débute par la question suivante: «Pourquoi a-t-on des paysages différents dans Paris et sa région?» Cinq temps consacrés à la lecture de documents cartographiques et autres (photographies de paysages, textes, extrait de film) permettent d’arriver à une réponse, formulée en un schéma (fig. 3) construit progressivement par le professeur.
La question initiale laisse penser que le cours va partir de la représentation de réalités visibles (des photographies de paysages) pour arriver à une explication qui prend en compte (et valorise) des faits invisibles. Quel rôle joue la cartographie dans la production du discours géographique ainsi articulé? Le schéma final s’apparente à la deuxième manière. Sa légende identifie l’agencement de figurés eux-mêmes très épurés, par des notions générales d’organisation de l’espace: «pôle», «polarisation». Ces notions prennent sens les unes par rapport aux autres, la notion organisant l’ensemble étant celle de polarisation. La forme cartographique qui lui correspond est celle qui, dans l’agencement de figurés, établit des relations avec et entre les autres formes: «la polarisation» est représentée par un ensemble de doubles flèches qui relie le «pôle important» à l’aire qualifiée de «banlieue». Cependant, la démarche par laquelle le professeur parvient à la réalisation de ce schéma est aussi apparentée à la première manière. En effet, pour construire celui-ci, il a additionné des informations prélevées dans des documents présentés successivement, mais jamais simultanément confrontés comme l’exigent les deuxième et troisième manières. Une logique d’inventaire est à l’œuvre comme dans la première manière, même si les informations collectées ne se rapportent pas, en dehors des photographies de paysage rapidement décrites en début de cours, à des réalités visibles. Elle s’applique d’abord à des paysages (en fait des types de paysages), puis à des fonctions, enfin à des flux. Elle ne soutient pas une hypothèse d’organisation générale de l’espace, mais l’élaboration progressive d’une vérité. Si la légende du schéma final indique qu’il représente la polarisation d’un espace par un pôle central principal, son titre est: «L’agglomération parisienne». Finalement, si ce croquis paraît relever du croquis d’idée en ce qu’il est élaboré progressivement et ne vise pas l’inventaire factuel de la région parisienne, il se rapproche aussi d’un croquis répertoire dont on ne sait cependant pas exactement ce qu’il représente: image d’une structure spatiale que l’on pourrait retrouver ici comme ailleurs ou/et image simplifiée d’un territoire (l’agglomération parisienne). Par rapport au cours précédemment analysé, le professeur a procédé à un arbitrage plus équilibré entre finalités de l’enseignement de la géographie. Il s’affranchit de l’idée d’un inventaire complet des traits physionomiques d’un territoire, pour s’arrêter, pensons-nous, sur l’objectif de constitution d’un corpus d’images «mixtes» (ni vraiment images de structures spatiales, ni vraiment images simplifiées de territoires), utiles aux élèves, pour étudier différents territoires que le programme impose, sans pour autant les comparer. Étude de cas n° 3 En classe de seconde, un professeur demande à ses élèves de répondre à la question: «Où en est le contraste entre Bocage normand et plaine de Caen dans la région de Falaise? Y a-t-il permanence ou évolution? Sous l’effet de quels facteurs?». Les élèves doivent utiliser des croquis intermédiaires qu’ils construisent eux-mêmes, à partir d’un dossier de cartes thématiques fourni par le professeur. Ils ont le choix de la représentation des limites de l’espace étudié ainsi que des informations qu’ils vont sélectionner et organiser pour répondre à la question sous la forme d’un croquis.
La démarche adoptée par le professeur indique qu’il a l’intention de favoriser l’accès de ses élèves à une manière de penser le monde proche de la deuxième manière. En quoi les réalisations finales des élèves dont le professeur a encouragé la diversité (fig. 4), témoignent-elles d’un accès à cette manière? Les légendes des schémas sont composites: elles mobilisent des notions d’organisation de l’espace géographique («flux», «axe routier», «espace en croissance», «espace en déclin»), mais aussi des faits (la «ceinture caennaise» en 4.1, la «présence de Britanniques» et une «quatre voies» en 4.2, la «population forte» en 4.4). Plus que les proportions respectives de notions et de faits, c’est l’organisation de la légende qui permet de différencier les schémas réalisés par les élèves. Ainsi la légende de la figure 4.2 présente d’abord la structure organisatrice de l’espace représenté: la petite ville de Falaise, puis l’espace proche («zone d’influence», «espace dynamique») dont elle fait un élément structurant dans un espace élargi. À cet échelon, la limite bocage/openfield qui apparaît vers la fin de la légende, est présentée comme un phénomène secondaire. C’est donc par leur ordre d’apparition que les notions mobilisées en légende prennent un sens plus global. La figure 4.2 est ainsi la plus proche de la deuxième manière: sa légende valorise les relations spatiales horizontales. À l’inverse, la légende de la figure 4.4 est une liste de laquelle ne se dégage nul ordre spatial. La signification du figuré correspondant dans le schéma à la petite ville n’est d’ailleurs pas indiquée en légende. Par ailleurs, l’utilisation qui est faite des figurés + et (usage recommandé par le professeur dans des fiches techniques proposées auparavant aux élèves) semblent indiquer que, pour cet élève, ceux-ci servent à «couvrir» un espace concret, bien plus qu’à représenter une différenciation spatiale. Dans ce cas, en effet, un figuré (+ ou -) aurait suffi, à condition qu’il soit agencé à un deuxième figuré correspondant à une autre structure, comme le fait par exemple l’élève auteur de la figure 4.2. Intermédiaires entre ces deux réalisations, les schémas 4.1 et 4.3 tentent de concilier la recherche d’un ordre spatial et la demande du professeur de répondre en se situant par rapport au «contraste» bocage/openfield. Le schéma 4.3 y parvient avant tout par l’organisation de sa légende, qui, à l’inverse du schéma 4.2, commence par la mention de ces deux types de paysage, avant de progressivement se resserrer sur la structure organisatrice (la petite ville de Falaise), laquelle apparaît en dernier. Ce procédé s’accompagne d’énoncés plus factuels qu’en 4.2: «influence de Falaise», «influence de Caen» au lieu de «zone d’influence», et «déclin», «croissance» au lieu de: «espace en difficulté», «espace dynamique». Le schéma 4.3 y tend avant tout par l’épure graphique. L’agencement circulaire des figurés exprime la polarisation urbaine. La «réplique» du cercle intermédiaire, figuré en pointillé vers le haut du schéma, souligne la régularité de ces faits de polarisation. Mais la légende ne présente pas une organisation semblable à celles des figures 4.2 et 4.3. Si la démarche du professeur vise à permettre à des élèves de produire des «croquis idées» (fig. 1) et que certains y parviennent ou soient en passe d’y parvenir rapidement, tous cependant ne renoncent pas à la carte image «complète» d’un espace à «couvrir» de localisations. L’ambition de faire mobiliser par les élèves des notions de géographie pertinentes pour un ici local comme ailleurs, se heurte chez certains d’entre eux, à la représentation sociale d’une cartographie de transmission et de mémorisation d’images réputées exactes et partagées (donc uniques) des territoires étudiés. Étude de cas n° 4 La démarche décrite ici est prévue par un professeur pour sa classe de sixième, dans un cours qui pose la question: «Étretat: est-ce le même paysage pour tous?». En s’appuyant sur des extraits du documentaire Étretat (6), une carte de la ville, un extrait de carte topographique, différents supports publicitaires Internet, des reproductions de tableaux et des extraits de textes de géographe et d’historien, les élèves identifient tout d’abord trois façons de vivre, se déplacer et voir à Étretat, qui sont celles de trois catégories de population présentées dans le documentaire télévisé: les visiteurs, les Étretatais et les estivants ou Parisiens. Un schéma est construit pour chacune des façons de vivre, se déplacer et voir. Le cours se termine avec la réalisation d’un schéma, dont l’objectif est de justifier que l’on parle pour Étretat de paysages au pluriel. Sa légende est organisée pour indiquer que trois populations coexistent avec des points de vue et des accès à l’espace en grande partie différents (fig. 5).
La démarche s’apparente à la troisième manière de penser le monde en géographie. En effet, la légende est organisée verticalement pour indiquer trois types de pratiques dans un même territoire étudié, correspondant à trois catégories d’acteurs: les Étretatais, les Parisiens et les touristes. La légende est organisée horizontalement pour décrire ces pratiques: «D’où voient-ils?», «Que voient-ils?», «Jusqu’où vont-ils?». Les réponses à ces questions indiquent sinon des pensées de l’unité et de la différence, au moins les raisons d’acteurs, qui cherchent à voir ou à ne pas voir, ce qui est différent de leur ordinaire. La légende fournit des informations sur les métriques utilisées dans ces stratégies de point de vue sur Étretat: «trajet de promenade», «en voiture jusqu’au parking», «à pied de la maison ou de la cour à la plage des bateaux», etc. La dernière ligne de la légende rassemble les informations relatives aux contacts et aux écarts induits dans le territoire étudié, par les différentes pratiques spatiales. Il en ressort l’idée d’une absence de concordance complète entre les trois spatialités ainsi identifiées. La légende distingue, d’une part, des limites peu franchissables représentées par des figurés linéaires et, d’autre part, des aires de recouvrement, représentées à l’aide de figurés bicolores. Cette partie de la légende est une tentative de mise en image de confins et de passages définis à partir de pratiques d’acteurs. Pourtant, la légende emploie aussi un vocabulaire représentatif de la première manière, décrivant des éléments visibles: «falaise», «partie de plage», «parking». Le fait que la leçon se rapporte à un programme de sixième centré sur les paysages peut expliquer l’emploi de ce vocabulaire. Le professeur arbitre ici entre, d’une part, une démarche qui se veut innovante, pour lui (il vise pour ses élèves la réalisation d’un croquis interprétation) et, d’autre part, le texte des programmes (7). Il s’affranchit ainsi d’une lecture littérale du programme qui définit des paysages types, indépendants de pratiques de groupes différents et d’individus coprésents. Pour conclure Ces quatre cas n’épuisent pas la variété des usages de la cartographie dans la géographie scolaire. Cependant, nous voyons comment les catégories élémentaires de la géographicité sont diversement sollicitées. L’ici peut être valorisé par la mémorisation d’une image cartographique présumée significative et complète du territoire. Les limites avec l’ailleurs vont alors de soi; elles ne posent pas problème (étude de cas n° 1). L’ailleurs peut être placé sur le même plan que l’ici, dans le cadre d’une interrogation sur l’organisation générale de l’espace géographique. Les limites posent problème: elles peuvent être le support de la question par laquelle le professeur fait entrer les élèves dans l’étude d’un territoire (étude de cas n° 3). Un territoire que la géographie scolaire a promu comme un des «hauts lieux permanents» (Mendibil, 2001) de l’ici français (Étretat dans l’étude de cas n° 4), peut aussi se démultiplier en des ici et des ailleurs, en relation avec la coprésence de groupes et d’individus. La catégorie des confins et des passages gagne en pertinence. Elle permet d’accéder à l’organisation de l’espace géographique. La coexistence dans les classes de plusieurs manières de penser le monde en géographie interroge sur l’adéquation des pratiques quotidiennes avec les finalités de la géographie scolaire comme institution sociale devant construire, chez les élèves, un rapport au monde. D’une part, les arbitrages (nécessaires) réalisés par les professeurs ont un impact fort, mais sans doute pas toujours maîtrisé, sur les discours géographiques. D’autre part, les élèves, lorsqu’ils en ont la possibilité, font aussi des choix, qui ne sont pas sans effet sur les discours auxquels renvoient les croquis ou les schémas qu’ils produisent. Qu’est-ce qui se construit alors sur le long terme chez ces élèves, alors même qu’il ne semble pas qu’un principe de progressivité se dégage d’un niveau de classe à l’autre? Bibliographie DARDEL E. (1952, réed. 1990). L’Homme et la terre. Nature de la réalité géographique. Paris: Éditions du CTHS, 199 p. ISBN: 2-7355-0200-7 DAUPHINÉ A. (1991). «Espace terrestre et espace géographique». In Antoine Bailly (dir.), Les Concepts de la géographie humaine. Paris: Masson, p. 43-54. ISBN: 2-200-26586-7 DOREL G. (1998). «La cartographie». In Cartes et images dans l’enseignement de l’histoire et de la géographie, Colloque IREHG. Clermont-Ferrand: CNDP, coll. «Documents, actes et rapports pour l’éducation», p. 33-38. ISBN: 2-86619-198-6 JOLY F. (1994). «Les documents cartographiques». In P. Desplanques (dir.). La Géographie en collège et en lycée. Paris: Hachette, p. 146-163. ISBN: 2-01-019849-2 LÉVY J., LUSSAULT M. (2003). Dictionnaire de géographie et de l’espace des sociétés. Paris: Belin, 1034 p. ISBN: 2-7011-2645-2 LUSSAULT M. (1996). «L’espace pris aux mots». Le Débat, n° 92, p. 99-110. MENDIBIL D. (2001). «Quel regard du géographe sur les images du paysage?» In A. LE ROUX (coord.), Enseigner le paysage. Caen: CNDP, coll. «Documents, Actes et Rapports pour l’Éducation», p. 9-26. ISBN: 2-86618-459-9 RETAILLÉ D. (2000). «Penser le monde». In J. LÉVY et M. LUSSAULT, Logiques de l’espace et esprit des lieux. Géographes à Cerisy. Paris: Belin, coll. «Mappemonde», p. 273-286. ISBN: 2-7011-2840-4 RETAILLÉ D. (1997). Le Monde du géographe. Paris: Presses de Sciences Po., 284 p. ISBN: 2-7246-0718-X ROBIC M.-C. (2005). «Géographicité». In Hypergeo, (site consulté en avril 2005). ROBIC M.-C (2000). «Confins, routes et seuils: l’au-delà du pays dans la géographie française du début du XXe siècle». Communications, n° 70, p. 93-120. TURCO A. (2003). «Ailleurs». In J. LÉVY et M. LUSSAULT, Dictionnaire de géographie et de l’espace des sociétés. Paris: Belin, p. 53. ISBN: 2-7011-2645-2 Notes 1. Recherche INRP n° 30417 «L’innovation en classe d’histoire-géographie et les apprentissages qu’elle favorise», INRP (2000-2002) (direction: Nicole Allieu-Mary, coordination: Jacky Fontanabona, Jean-François Thémines). Cette recherche nous a conduit à observer cinq classes de géographie dans quatre collèges situés dans des Zones d’éducation prioritaire différentes de l’académie de Caen. Cinq professeurs et dix-sept élèves ont été longuement enquêtés et interviewés avant et après les observations menées en classe. Les membres de cette équipe de recherche sont: Hugues Broustail, Boris Ernult, Anne Le Roux, Jean-Marie Sieper et Jean-François Thémines. 2. Nous entendons ici l’espace terrestre comme une étendue: un «réel et concret […] donné, produit, vécu et perçu» (Dauphiné, 1991, p. 35) 3. Dans un souci de définition des productions cartographiques exigibles aux examens officiels, G. Dorel propose les distinctions suivantes: le croquis «à partir d’un fond de carte et donc sans s’abstraire des lieux et de l’échelle, suppose une démarche analytique qui impose de mobiliser des connaissances mémorisées, de les classer et de les hiérarchiser, de les mettre en relation dans une perspective géodynamique»; le schéma «plus simple dans sa réalisation graphique […] relève d’une démarche interprétative qui permet de mettre en évidence la structure et la dynamique des espaces étudiés que l’on représente par des signes porteurs de sens géographique sur des supports volontairement simplifiés» (Dorel, 1998 p. 37). Pour notre part, les distinctions que nous opérerons dans cet article prennent aussi en compte le rapport entre réalisation du croquis et déroulement du cours, ainsi que le discours géographique élaboré (voir figure 1, dernière ligne). 4. Ces productions ont en effet été réalisées en cours, à l’exception de la quatrième, mise au point par un professeur dans le cadre d’une formation professionnelle. 5. Monstration: «exhibition voulant avoir valeur de preuve» (Lussault, 1996, p. 105). 6. Jean-Loïc Portron et Jacques Bidou, 1994, Étretat, Paysages, Arte, 25 minutes. 7. Cartes et paysages du monde, programme de géographie de la classe de sixième, Journal officiel du 30 novembre 1995. |