Sommaire du numéro
N° 82 (2-2006)

La carte, outil de diagnostic et de prospective pour les politiques scolaires

Patrice CARO aEmmanuel FAIVRE aFrédéric GROSJEANa

Université de Franche-Comté, Laboratoire THÉMA,
UMR CNRS 6049

Résumés  
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Introduction

Une nouvelle approche de la territorialisation de l’activité scolaire s’avère nécessaire au regard de deux évolutions majeures. Tout d’abord, depuis une vingtaine d’années, les évolutions territoriales et démographiques (périurbanisation, rurbanisation, explosion des navettes…) induisent des changements dans l’organisation des territoires scolaires, où des espaces en croissance démographique deviennent vite sous-équipés en établissements scolaires. Ensuite, les transferts de compétences de l’État aux collectivités locales amènent, par exemple, les Conseils généraux à gérer la carte scolaire des collèges (depuis le 1er janvier 2005). Dès lors, la dimension «d’aménagement du territoire» est davantage intégrée dans la gestion des processus scolaires. Ainsi, de nouveaux critères de sectorisation apparaissent, et le concept de territoire scolaire y occupe une position centrale. On prend davantage en compte les déplacements vers les collèges, les contours des bassins de vie, les volumes de population, la répartition des catégories sociales, l’émergence de nouveaux foyers de population…

1. La zone d’étude: le bassin de formation de Gap

Ces changements démographiques et institutionnels conduisent ainsi à réfléchir à la territorialisation de la politique scolaire (Giband, Holz, 2001) et à tenter de comprendre comment fonctionne le territoire scolaire. Les décideurs ont besoin d’outils d’analyse territoriale, comme la carte, afin de répondre à ces nouvelles interrogations. Dans ces conditions, la carte permet, à la fois, de diagnostiquer des dysfonctionnements au sein du bassin de formation, de communiquer entre acteurs, de modifier des représentations de l’espace, et de construire des scénarios d’aménagement pour l’avenir. Tel est le cas pour une recherche effectuée sur le bassin de formation de Gap (1) où une forte croissance démographique en milieu périurbain appelle la création de nouveaux collèges (carte 1).

Aires de recrutement et attractivité des collèges

Chaque collège public est rattaché à un secteur pour le recrutement de ses effectifs. Plus connu sous l’appellation de «carte scolaire», ce découpage respecte très souvent le découpage cantonal. Ainsi, les aires de recrutement des collèges du bassin de formation de Gap apparaissent assez largement conformes à cette carte scolaire. La quasi-totalité des communes comprises au sein d’un secteur de rattachement envoient «40% et plus» de leurs enfants dans le collège prévu. Cependant, il existe des différences selon le type de collège (carte 2).

2. Les aires de recrutement des collèges et leur secteur de recrutement théorique

Ainsi, un collège rural, tel celui de Saint-Bonnet, recrute très peu en dehors de son secteur «théorique». En revanche, un collège urbain a une plus large assiette spatiale. Par exemple, le collège Centre présente l’aire de recrutement la plus vaste, avec plus de 7% de ses élèves résidant hors de Gap, c’est-à-dire en dehors de son secteur «théorique» de recrutement. Le recrutement du collège privé Saint-Joseph témoigne d’une autre logique spatiale, avec une aire d’attraction très élargie, passant outre les règles de l’organisation territoriale d’un service public.

Même si la carte scolaire est très respectée, les aires de recrutement s’en écartent quelque peu. En effet, la part des dérogations avoisine 10% des effectifs collégiens du bassin de formation gapençais. Or le poids des dérogations est une conséquence des compromis effectués entre différents acteurs en matière de sectorisation des établissements scolaires (collectivités locales et territoriales, inspection académique et rectorat, parents d’élèves). De facto, la sectorisation ne relève généralement pas d’une pure logique territoriale mais d’un ensemble de compromis.

Il existe deux grands types de collèges selon les dérogations autorisées dans le bassin de Gap: d’une part, «les attractifs», qui comptent plus de dérogations pour entrer que de dérogations pour sortir (collège Centre); d’autre part, «les répulsifs», réunissant davantage de dérogations pour sortir que de dérogations pour entrer (collèges Mauzan et de Saint-Bonnet). Dans l’ensemble, le collège Centre apparaît comme le plus attractif.

La prise en compte de l’accessibilité

Les conditions de vie scolaire des collégiens varient fortement en fonction de leur lieu de résidence. Les temps de déplacement domicile-collège s’avèrent en effet très hétérogènes. En 2003, un collégien de la zone étudiée met en moyenne 6 minutes pour rejoindre son établissement (2): 71% d’entre eux sont situés à moins de 10 minutes et 7% à plus de 20 minutes.

3. Les distances parcourues pour se rendre dans les collèges du bassin
de formation de Gap

Selon leur accessibilité, quatre types de collèges peuvent être déterminés (carte 3). Tout d’abord, celui du Centre se distingue avec 90% des élèves résidant à moins de 10 minutes (élèves surtout de Gap). Le collège rural de Saint-Bonnet accueille davantage d’élèves résidant à plus de 20 minutes (entre 10 et 16%), et moins d’élèves dont le temps de trajet est inférieur à 10 minutes. Les collégiens des secteurs de Chorges/La Bâtie-Neuve et de Tallard/La Saulce, affectés à Gap, mettent en moyenne deux fois plus de temps pour se rendre dans leur collège que la moyenne de la zone étudiée (15 et 13 minutes). Seulement 10% d’entre eux sont situés à moins de 10 minutes. C’est donc dans ces deux secteurs, aux temps de parcours allongés par les encombrements des heures de pointe, que les difficultés d’accès aux collèges sont les plus grandes.

Les conditions de transport sont largement dénoncées, représentant la majorité des critiques exprimées par les familles de collégiens enquêtées. En effet, 59% des insatisfaits justifient leur opinion par les difficultés de transport et 20% par l’éloignement du collège. Ces tendances générales sont de plus grande ampleur pour les familles résidant dans les secteurs périurbains est (Chorges/La Bâtie-Neuve) et sud (Tallard/La Saulce), où environ 90% des insatisfaits se plaignent des difficultés de transport et de l’éloignement. Ce sont ces zones périurbaines que nous identifions comme des espaces sous tension.

Redessiner les secteurs de recrutement des collèges

Les éléments de diagnostic précédents ont permis de construire des scénarios d’aménagement pour l’avenir. Soit on créait un nouveau collège d’une capacité de 800 élèves à Gap, soit on en implantait deux d’une capacité de 400 élèves en secteur périurbain. C’est le second scénario qui nous est apparu le plus pertinent (carte 4).

Il s’agit, pour chaque nouveau collège, de réunir 400 élèves en 2015 sous trois conditions:

  • la croissance démographique pour la période 2005-2015 en fonction des projections OMPHALE de l’INSEE (2000-2008 et 2009-2017);
  • le report d’une partie des effectifs du collège privé, sous l’effet d’un gain de proximité spatiale offert par les deux nouveaux collèges;
  • la perte de 5% des effectifs potentiels par dérogations vers d’autres collèges publics de Gap (options rares, activités parascolaires…).
 

Ce scénario permet la création de deux nouveaux secteurs de recrutement et autorise un dimensionnement à géométrie variable: potentiel bas, moyen et haut à l’horizon 2015. C’est la solution qui, à l’issue de l’étude, a été retenue par les autorités compétentes. Deux établissements vont être construits (communes de Tallard et de La Bâtie-Neuve) et ouvriront à la rentrée 2008.

De la carte comme outil d’analyse…
à la carte comme document de gestion scolaire

La carte a donc été utilisée comme outil de diagnostic et de prospective. Après cette phase d’utilisation de la ressource cartographique pour l’aide à la décision, on a pu, dans un deuxième temps, proposer d’anticiper la modification de la carte scolaire, document officiel de gestion des politiques scolaires. La carte présentée ici (carte 5) est une proposition de travail; ses conclusions sont en attente de validation par le Conseil général.

 

Deux nouveaux secteurs de recrutement vont apparaître (les deux nouveaux collèges), ce qui va faire bouger une bonne partie de la carte scolaire. Dans la carte proposée, les trois collèges urbains ne recruteraient plus qu’à l’intérieur de la ville de Gap (la taille moyenne d’un collège passant de 700 à 500 élèves). Le secteur de recrutement du collège d’Embrun (à l’extérieur du bassin de formation de Gap) serait amputé de deux communes incluses dans le nouveau secteur de recrutement du collège de Chorges/La Bâtie-Neuve.

Conclusion

La carte permet de prendre en compte le territoire dans les politiques scolaires. Sur la longue durée, c’est aussi un document de gestion pour ceux qui sont en charge des politiques publiques d’éducation. Surtout, la carte constitue une sorte de médiateur dans le jeu d’acteurs (élèves-familles, ministère de l’Éducation nationale et Conseil général) durant la phase de réflexion sur la localisation de nouveaux collèges. Elle rend possible un diagnostic partagé et sert d’appui aux débats. Ainsi le jeu d’acteurs s’en trouve facilité, ou pour le moins s’appuie sur des informations spatialisées accessibles à tous. C’est en proposant un tel outil que le géographe s’invite au sein des nouveaux processus de gestion territoriale.

Références bibliographiques

BRUNET R. (1987). La Carte mode d’emploi. Paris: Fayard-Reclus. 269 p. ISBN: 2-213-01848-0

CARO P., FAIVRE E., GROSJEAN F. (2004). Étude stratégique pour la localisation de collèges sur le bassin gapençais, étude pour le Conseil général des Hautes-Alpes.

FRANÇOIS J.-Ch. (1998). «Discontinuités territoriales et mise en évidence de systèmes spatiaux dans l’espace des collèges de l’agglomération parisienne». L’Espace géographique, n° 1.

GIBAND D., HOLZ J.-M. (2001). «Constructions scolaires et reconstruction du territoire dans un département en mutation démographique, l’exemple de la plaine du Roussillon». Revue de l’Économie méridionale, vol 49, n° 196, p. 305-328.

POIREY J.-L. et al. (2001). L’Enseignement scolaire dans les milieux ruraux et montagnards. Tome 1, Espaces ruraux et réussites scolaires. Besançon: Observatoire national de l’école rurale, Annales littéraires de l’Université de Franche-Comté, 124 p. ISBN: 2-8462-7046-5

POIREY J.-L. et al. (2003). L’Enseignement scolaire dans les milieux ruraux et montagnards. Tome 2, Au seuil du collège. Besançon: Observatoire national de l’école rurale, Annales littéraires de l’Université de Franche-Comté, 124 p. ISBN: 2-84867-030-4

Notes

1. Les réflexions présentées ici émanent d’une étude menée par le laboratoire THÉMA pour le Conseil général des Hautes-Alpes concernant l’implantation de futur(s) collège(s) dans le bassin de formation de Gap visant à faire face à une situation de futur sureffectif, étude menée de septembre à décembre 2004.

2. Conditions optimales de circulation et vitesse maximale autorisée (source mappy.fr).