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La rue à Rome, miroir de la ville. Entre l'émotion et la norme

Mesure du temps dans l'histoire de la Terre

Il est rare de tenir en mains un ouvrage de géographie (1) d'une facture si belle qu'on le classerait sans hésiter dans le rayon des livres d'art: grand format, papier glacé, mise en page aérée, typographie élégante, signet à l'ancienne, 250 illustrations… Le traitement luxueux de ce fort et cher volume préfacé par Jean-Robert Pitte (tutoyé par l'auteur dans son avant-propos) impressionne le lecteur. Brice Gruet publie ici une version remaniée de sa thèse soutenue en 2003 (Paris IV, Laboratoire Géographie et Cultures) dans des conditions éditoriales qui feraient rougir de jalousie tous les docteurs en géographie de France.

Cet ouvrage de 557 pages est un essai très structuré et documenté de géographie historique tout autant que d'histoire culturelle. Si la rue romaine, «entité spatiale», est l'objet de ce travail de recherche et d'érudition, c'est plus largement l'urbanité qui est questionnée à partir de l'exemple de l'Urbs, «matrice et modèle de la ville occidentale durant de nombreux siècles». B. Gruet part du postulat simple, commun mais incontournable, que Rome est à la fois singulière et universelle. Son étude croise la géographie, l'histoire mais aussi d'autres sciences humaines. L'aspect symbolique de la fondation de la ville et des rites sociaux liés à l'espace urbain doit autant à l'anthropologie qu'à la géographie éclairée d'Augustin Berque.

L'auteur suit un parcours historique qui s'avère conventionnel: si les premières pages concernent la Rome de notre temps, la trame est ensuite linéaire, des origines de l'Urbs jusqu'à aujourd'hui. Il tente de repérer des mouvements historiques qu'il qualifie de «retournements dialectiques», au nombre de trois. Le premier concerne l'éloignement du «monde naturel» au moment de l'affirmation de la ville comme porteuse de civilisation, le deuxième correspond à «l'émergence d'un regard distancié sur le monde comme il le devient pour la ville», le troisième est «l'appréhension patrimoniale de la rue saisie comme fragment d'une vie sociale oubliée». La deuxième partie de l'ouvrage, portant sur les usages et les rythmes de la rue à l'époque moderne, me semble la mieux réussie et la plus vivante. La longue bibliographie jointe, éclectique, est utile. Sauf erreur de ma part, je note deux oublis: le livre Rome publié chez Citadelles & Mazenod en 1999 par Catherine Brice, Claudia Moatti, Mario et Matteo Sanfilippo, de grande qualité et qui aborde des aspects proches, n'est pas cité, l'essai d'Yves Bonnefoy intitulé Rome, 1630 non plus.

L'intérêt de cet essai tient dans la manière de concevoir une réflexion globale à partir d'un élément urbain fondamental et constant, la rue, «la rue droite» qui est «le chemin des hommes» comme l'écrit Le Corbusier cité en tête d'ouvrage. Ayant étudié dans ma thèse une autre figure géographique essentielle, le carrefour, et travaillé modestement sur Rome (notamment la Piazza Navona à l'époque baroque), je souscris à la démarche de l'auteur démontrant que la rue permet d'analyser et de comprendre la Ville et les villes. Brice Gruet développe avec aisance une lecture savante de Rome et une réflexion plus générale sur l'espace urbain.

Laurent Grison


1. Brice GRUET (2006). La Rue à Rome, miroir de la ville. Entre l'émotion et la norme. Paris: Presses de l'Université Paris Sorbonne, 557 p., 252 ill., 1 dépl. ISBN: 2-84050-416-2. Prix: 65€.