N° 84 (4-2006)
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Beyrouth: l’influence du foncier et des plans d’urbanisme sur la formation
des quartiers irréguliers de la banlieue sud
Laboratoire théorie des mutations urbaines, UMR CNRS 7136, Université Paris VIII
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Au début des années 2000, environ 20% de la population de Beyrouth habite des quartiers irréguliers. L’urbanisation du Liban est de manière générale peu contrôlée par l’État (Bakhos, 2005), mais, en plusieurs lieux, des quartiers entiers sont sortis des normes. L’apparition et le développement de ces quartiers sont liés à de nombreux facteurs. Les premiers bidonvilles sont constitués dès les années 1920 et 1930 p.r les camps et les zones d’habitat des réfugiés arméniens et syriaques (Quarantaine, Bourj Hammoud). La plupart des quartiers informels apparaissent toutefois au cours des années 1950, avec le développement économique de la capitale, l’exode rural et l’arrivée des réfugiés palestiniens. On distingue alors: les camps de réfugiés et leurs extensions, les quartiers irréguliers construits sur les sables au sud de la ville (Ouzaï) et les lotissements irréguliers des banlieues est (Roueissat, Zaatriyyeh, Hay el-Ayn) et sud-est (Hayy el-Sellom) de la ville (Fawaz 2004; Fawaz et Peillen 2002). L’occupation illégale s’est ensuite massivement développée pendant la guerre civile entre 1975 et 1990. Elle s’est principalement localisée en banlieue sud de Beyrouth qui, à cette époque, était incluse dans la zone de Beyrouth-Ouest. Dès le début de la guerre, ces quartiers ont accueilli les déplacés des camps et des quartiers irréguliers de la banlieue est, assiégés, évacués et détruits. Principalement chiites, les déplacés de Beyrouth-Est, ceux du Sud Liban fuyant l’invasion israélienne, ainsi que des migrants ruraux de la vallée de la Beqaa sont venus grossir le nombre des habitants de ces quartiers. Ces quartiers irréguliers de la banlieue sud de Beyrouth constituent aujourd’hui la quasi-totalité des quartiers irréguliers au Liban (carte 1). Leur croissance, du moins en extension, est très largement interrompue au début des années 1990 avec la fin de la guerre et les politiques de régularisation et de retour des déplacés. Leur stabilisation est également le fait de la mise en place du projet de réaménagement de la banlieue sud-ouest Élyssar. Ce projet a été lancé en 1995 après trois ans de négociations entre le gouvernement de Rafic Hariri et les partis chiites Amal et Hezbollah qui dominaient et équipaient jusqu’alors ce territoire dont les habitants constituaient la clientèle politique. En contrepartie de la reconnaissance d’un droit au relogement et à l’indemnisation des habitants, l’accord politique autour du projet a permis d’enrayer l’extension de ces quartiers, tout en permettant à l’État de réinvestir la banlieue sud. Les différents projets de réaménagement de l’État (routes, autoroutes, équipements, Élyssar) conjugués avec les actions des ONG, des associations communautaires, des partis chiites et, dans une moindre mesure, des municipalités locales expliquent une amélioration partielle des conditions de vie dans ces quartiers, qui restent cependant encore les zones d’habitat les moins bien construites et équipées de la capitale. Cet arrêt de la croissance urbaine des quartiers irréguliers ne s’accompagne toutefois pas de la stabilité de leur population, qui se diversifie et continue d’augmenter. Bien que quelques déplacés de la guerre soient retournés dans leur localité d’origine, ces quartiers se densifient encore. L’habitat locatif s’y développe et offre un accès au logement pour de nouvelles populations démunies. Aux migrants ruraux, réfugiés et déplacés s’ajoutent de nombreux nomades et travailleurs étrangers irréguliers, venus essentiellement des pays arabes (syriens, égyptiens), asiatiques (philippins, sri lankais, indiens) et africains (éthiopiens) (Fawaz, Peillen, 2002). Aujourd’hui, ces quartiers sont reconnaissables morphologiquement à la sinuosité de leurs rues, à l’irrégularité formelle des emprises des «parcelles», à la faiblesse relative des hauteurs de leurs bâtiments et à la qualité généralement très médiocre de leurs constructions. Légalement, ils sont en infraction avec les lois sur la propriété, le lotissement et la construction. Par leur forme et vis-à-vis de la loi, ils forment des poches à part, bien délimitées, dans le tissu urbain de la périphérie (encadré 1). Le propos de cet article est de mieux comprendre les logiques de constitution et en particulier de localisation de ces quartiers irréguliers de la banlieue sud-ouest. Pourquoi se sont-ils développés sur certains terrains et non sur d’autres? Comment ceux qui les ont investis ont-ils pu s’installer sur certaines parcelles, alors qu’ils en ont été empêchés ailleurs? De nombreux facteurs sociaux et politiques sont à l’origine de leur formation, mais des conditions spatiales ont déterminé leurs lieux d’inscription. On pose ici la question de la compréhension de la formation de ces quartiers: non pas du côté de la «demande» de terrains qui la motive, mais de celui de «l’offre» spatiale qui a permis leur implantation. L’hypothèse principale de cet article est que le rôle de l’histoire foncière et urbanistique est primordial dans la localisation de ces quartiers. Trois principaux éléments déterminent l’emplacement des quartiers irréguliers de Beyrouth: l’histoire urbanistique des terrains, l’histoire et la structure foncière des quartiers et l’attitude des propriétaires des parcelles. Toutes les occupations irrégulières de la banlieue sud-ouest de Beyrouth les font ressortir, même si certaines sont manifestement plus marquées par l’un ou l’autre d’entre eux. Pour chaque catégorie, seuls sont donnés ici les exemples d’un ensemble de quartiers (2). La banlieue sud de Beyrouth est un lieu de concentration exceptionnelle de plans d’urbanisme et d’aménagement urbain au Liban. L’influence de l’histoire urbanistique sur le développement des quartiers irréguliers est remarquable dans le cas des quartiers de Horch al-Qatil et Horch Tabet. La banlieue sud-ouest se distingue pour la complexité, les heurts et les contradictions de son histoire foncière ainsi que pour les procès retentissants qui ont porté sur ses espaces (République libanaise, 1955). L’impact de l’histoire foncière est particulièrement fort dans la formation des quartiers de Ouzaï et de Raml. Enfin, les stratégies des propriétaires face à l’occupation de leur terrain, en particulier lors de l’afflux des migrants dans les situations de crise de l’État durant la guerre civile (1975-1990), sont déterminantes. Elles dépendent en partie des deux facteurs précédents. Elles sont particulièrement visibles dans la formation des quartiers de Hay el-Zahra, de Jnah et de Hay Gharbeh à Chatila. Cinq critères ont permis de montrer l’influence de ces histoires urbanistiques et foncières sur l’occupation illégale des terrains. L’histoire urbanistique a un impact principalement par: 1) la constructibilité faible ou nulle des terrains et 2) les défauts de lotissement ou de remembrement. L’histoire foncière influe sur l’occupation par: 3) la présence de terrains de très grande taille, 4) la présence de terrains détenus en indivision et 5) la présence à l’origine des quartiers de noyaux anciens où les droits sont contestés ou les règles non respectées (encadré 2). La faible constructibilité et les défauts des remembrements La banlieue sud a fait l’objet d’un empilement de décisions d’urbanisme réglementaire et de plans directeurs d’urbanisme depuis 1953 (tableau 1). Or, les quartiers illégaux de la banlieue sud-ouest sont localisés dans des zones dont les coefficients de constructibilité, définis par ces documents d’urbanisme, sont ou ont été nuls ou plus faibles qu’ailleurs. Généralement en raison de cette constructibilité faible ou nulle, les remembrements et lotissements rendus nécessaires par les plans d’urbanisme ou la structure foncière n’avaient pas été adoptés, n’avaient jamais été mis en œuvre ou n’avaient pas été menés à terme avant occupation. La carte 2 montre que les quartiers illégaux se situent presque entièrement dans le périmètre de ces remembrements inachevés ou à l’emplacement de remembrements ou de lotissements non engagés.
Le cas particulier des quartiers de Horch al-Qatil et Horch Tabet est caractéristique de cette situation (carte 3). Les parcelles occupées sont situées dans une zone d’exception, dans des espaces boisés préservés (par le plan Écochard de 1963 et par les décrets d’urbanisme de 1970 et 1971) et à l’intérieur d’une zone G réservée en vue d’un aménagement spécial dans le Plan directeur de 1964 (photos 1 et 2). Pour protéger les bois, les terrains ont été déclarés non ædificandi, puis faiblement constructibles en 1971 (ce sont les seules zones boisées qui ont été à un moment protégées en banlieue sud-ouest). Une telle décision imposait de remembrer pour créer de grandes parcelles, car la conservation des petits terrains constructibles existants n’aurait pas permis de préserver les arbres. Le décret de 1971 indiquait l’emprise des bâtiments et des grandes parcelles à créer. Or, les remembrements n’ont été entamés qu’en 1983, alors que les terrains étaient déjà largement occupés illégalement. Entre 1971 et la fin de la procédure en 1987 p.ur Horch al-Qatil, et depuis 1971 p.ur Horch Tabet où la procédure n’a jamais été terminée, les parcelles sont donc restées non conformes au décret d’urbanisme. Dans l’attente d’un remembrement, les propriétaires auraient alors été dans l’incapacité, durant cette période, de faire respecter leurs droits, encore non-définis, contre les squatters.
Les autres quartiers irréguliers de la banlieue sud-ouest de Beyrouth se trouvent également sur des parcelles qui ont, ou ont eu, une constructibilité faible ou nulle et sur lesquelles aucun lotissement ou remembrement n’a été réalisé ou a été réalisé imparfaitement ou avec retard. On peut noter qu’au nord de l’aéroport, l’absence de remembrement et de lotissement s’explique en grande partie par l’inutilité partielle d’une telle procédure (tant aux yeux des propriétaires que de l’administration), vu la constructibilité réduite ou nulle des terrains: le plan d’urbanisme de 1953 p.évoyait un cimetière à l’emplacement du développement irrégulier d’Ouzaï, puis le plan de 1964 a rendu non ædificandi, en prévision de l’extension de l’aéroport, une zone encore plus grande et la quasi-totalité des terrains sur lesquels s’est développé Raml (4). Ces deux facteurs, la faible constructibilité et les défauts de lotissement ou de remembrement (ou leur lente et difficile mise en place, généralement après occupation illégale des terrains), paraissent donc déterminants dans la localisation des quartiers irréguliers. De grands terrains en indivision difficiles à défendre
La persistance de grands terrains détenus en indivision a compliqué les stratégies de défense des propriétaires lorsqu’ils cherchaient à contrer le développement de l’occupation illégale. Or, les quartiers illégaux se situent principalement sur de tels terrains (carte 4). On trouve encore aujourd’hui des grands terrains détenus en indivision à Ouzaï par exemple, où la parcelle principale (n° 3908) fait plus de cent hectares et était détenue en 1996 p.r 391 p.opriétaires (photo 3). Les quartiers de Raml, Jnah, Horch Tabet et Horch al-Qatil sont aussi principalement situés sur de grands terrains détenus en indivision. Le quartier de Hay Gharbeh, entre Chatila et la Cité sportive, était situé sur de grands terrains détenus en indivision jusqu’en 1987. Enfin, le lotissement des terrains de Jnah et de Hay el-Zahra en 1967 a permis aux municipalités qui en étaient propriétaires de sortir de l’indivision, mais les parcelles créées sont de grande taille, à l’échelle d’îlot. Ces grands terrains, que les histoires foncière et urbanistique ont laissés en indivision, ont été plus difficiles à maîtriser et à défendre que d’autres pendant la guerre. Les combattants palestiniens et les milices chiites d’opposition Amal, puis Hezbollah, qui avaient fait leur fief de la banlieue sud, participaient activement à l’organisation de l’occupation illégale. Or, la puissance publique n’était plus très présente en banlieue sud. Les propriétaires ne pouvaient plus compter que sur leurs propres ressources pour défendre leurs terrains. Cas exceptionnel, l’occupation illégale des terrains de Hay el-Zahra a été organisée par l’un de leurs propriétaires, la municipalité de Ghobeiry, dominée politiquement pendant toute la guerre par les milices chiites Amal. Les deux autres municipalités propriétaires (Haret Hreik et de Chiah), situées de l’autre côté de la ligne de démarcation, étaient incapables de défendre leurs biens localisés en territoire adverse (photo 4). Les terrains en indivision sont d’autant plus difficiles à défendre qu’ils sont vastes. Mais cette difficulté dépend également de la pression de l’occupation illégale dont ils font l’objet. Et cette pression est d’autant plus forte que les terrains sont proches d’un noyau d’occupation existant et que dans celui-ci les règlements sont peu respectés. Des noyaux où les droits sont mal respectés ou contestés Le statut foncier originel et l’histoire de la formation des noyaux à partir desquels s’est développée l’occupation illégale jouent un rôle déterminant. Même si les quartiers irréguliers de la banlieue sud-ouest se sont développés principalement pendant la guerre, tous se sont développés à partir d’un noyau existant avant 1975, que ce noyau préexiste sur la parcelle occupée ou qu’il soit situé dans son voisinage immédiat. Ces noyaux et leurs éventuelles extensions avant les années 1970 sont en effet localisés au cœur ou à proximité immédiate de tous les quartiers illégaux de la banlieue sud. (carte 5). Ces noyaux n’étaient pas forcément illégaux à l’origine: s’ils l’étaient, ils étaient tolérés et s’ils ne l’étaient pas, ils sont ensuite devenus irréguliers ou ont constitué une zone échappant à la loi.
Le passage progressif vers une situation irrégulière dans les terrains d’Ouzaï et de Raml est emblématique de l’histoire de la banlieue sud: histoire d’un impossible partage des terres dans une situation de superposition de droits plus que centenaires et, en conséquence, d’une attribution nécessairement imparfaite de terrains à des indivisaires. Les terrains objets des litiges appartenaient, au XIXe siècle, à l’émir souverain de la région tout en étant mouchaa du village de Bourj el-Brajneh, c’est-à-dire des terres inaliénables à usage collectif des villageois (aires à battre, pâturages, bois de coupe…) (5). Les conflits fonciers ont débuté lorsque la superposition des droits a été rendue visible, au milieu du XIXe siècle, à l’occasion de la vente, par l’Émir, de la plaine d’Ouzaï que les habitants du village de Bourj el-Brajneh avaient coutume d’utiliser. Certains de ces habitants y avaient bâti des constructions estivales provisoires et autorisées par la municipalité. Ils y ont construit ultérieurement des maisons définitives, en réaction contre l’attribution en cours de ces terres à des propriétaires privés. Le jugement du Tribunal des Sables en 1955 a donné raison aux propriétaires privés des parcelles contre la municipalité de Bourj el-Brajneh qui réclamait la propriété des terrains comme mouchaa et donnait les autorisations d’y construire aux occupants, et a déclaré illégale l’occupation par les habitants des maisons existantes. Les constructions existant en 1955 constituent le noyau à partir duquel se sont développés les actuels quartiers illégaux d’Ouzaï et de Raml. Comme Ouzaï et Raml, dont l’histoire est la plus célèbre, tous les quartiers irréguliers de la banlieue sud-ouest se sont développés à partir d’un noyau plus ancien où les droits sont contestés et les règles non respectées, et d’où venait la pression de l’occupation. Ce n’est pas toujours l’irrégularité d’origine du noyau qui est à l’origine de la pression, mais il existe toujours un noyau originel dans lequel les droits ne sont plus respectés, ou sont peu clairs ou contestés, et où la situation est en contradiction avec la règle.
À Jnah, le noyau est constitué par les établissements balnéaires privés installés sur les plages, que beaucoup considéraient comme des occupations injustifiées d’un espace qu’ils estimaient devoir revenir au domaine public, reprenant à leur compte les anciens conflits fonciers autour de la privatisation des plages dans les années 1930. Ces installations balnéaires ont été occupées en 1976 p.r des déplacés (kurdes, palestiniens, chiites), chassés des camps et des bidonvilles de Beyrouth-Est, sous la conduite de milices «palestino-progressistes». Ces occupations ont formé une première vague d’occupation illégale, localement tolérée car justifiée par l’urgence du relogement de réfugiés des zones de combat. Leur histoire appartient toutefois autant à l’histoire nationale qu’à l’histoire locale. L’illégitimité politique et sociale de la privatisation de ces plages par la bourgeoisie et la classe au pouvoir avant-guerre aurait en effet motivé le choix, fréquemment considéré comme une revanche, de l’emplacement de ce relogement d’urgence par les partis d’opposition. Les occupations illégales se sont ensuite développées sur les plages, autour et entre les bungalows de ces établissements balnéaires occupés (photo 5). Enfin, dépassant également l’histoire locale, les camps palestiniens constituent des noyaux, extérieurs aux parcelles occupées, à partir desquels des quartiers illégaux de la banlieue sud se sont développés. Devenus sous la domination des milices des zones échappant officiellement à la loi et au contrôle de la puissance publique libanaise à partir des accords du Caire en 1969, les camps palestiniens de Chatila et de Bourj el-Brajneh ont prolongé leurs territoires au-delà de leurs limites foncières et participé à la pression de l’occupation irrégulière sur les terrains de Hay Gharbeh (photo 6), Horch Tabet et Raml (Sayigh, 1994). Le contexte de guerre civile: des facteurs qui se combinent
Les facteurs qui déterminent la localisation des quartiers irréguliers ne sont pourtant pas tous présents de façon systématique dans toutes les zones illégales. Par exemple, dans le triangle ouest de Horch al-Qatil on ne trouve pas de très grands terrains comme on en trouve dans la partie est. De même, il n’a pas été mis en évidence de restriction de constructibilité dans les parcelles de Hay Gharbeh. En effet, ces situations ne sont pas les causes directes qui permettent d’expliquer pourquoi un terrain est occupé plutôt qu’un autre. Elles ne sont que les conséquences des heurts de l’histoire foncière et urbanistique qui donnent des clefs de lecture pour comprendre l’attitude des propriétaires lorsque ceux-ci, à des périodes où la puissance publique ne peut les protéger, doivent organiser eux-mêmes la défense de leur propriété. Pour chaque quartier, pour chaque terrain, la situation et l’histoire sont particulières. Les conflits fonciers trouvent dans le contexte de guerre à la fois des justifications idéologiques (comme à Jnah) et des opportunités, au gré des rapports de forces locaux entre propriétaires et miliciens. Dans certains cas, des propriétaires ont réussi à défendre leurs propriétés pendant toute la guerre, mobilisant leurs réseaux, construisant des murs, installant des gardes armés, risquant parfois leur vie (enlèvements, combats…). Dans d’autres cas, les propriétaires n’ont pas eu les moyens ou la motivation de lutter contre la pression quotidienne de l’occupation illégale, ou ont préféré concentrer leurs efforts sur quelques terrains et abandonner les autres. Les problèmes urbanistiques et la structure de la propriété sont alors déterminants pour faire ces choix. Un équilibre prévaut ainsi pour chaque terrain et chaque propriétaire à partir de ces facteurs (tableau 2). L’histoire des directives de l’État, au travers de ses plans et règlements d’urbanisme, et la capacité ou non de l’État à arbitrer à temps et de façon juste les litiges fonciers, ou à faire respecter le droit partout, sont déterminants pour comprendre la localisation des quartiers irréguliers, surtout lorsque l’État n’est plus à même de faire respecter la propriété, particulièrement en temps de guerre. Ces facteurs n’ont un impact, dans la localisation des terrains occupés, que lorsqu’ils sont intégrés dans les stratégies des propriétaires, lesquelles dépassent naturellement les seules caractéristiques des terrains. La relation entre quartiers illégaux et histoire urbanistique et foncière des terrains sur lesquels ils sont situés n’est donc pas systématique. La correspondance est cependant évidente, voire même frappante. Au point que l’on peut affirmer que la localisation des quartiers illégaux constitue un revers de l’urbanisme planifié et des politiques foncières. Bibliographie BAKOHOS Walid (2005). «Le rôle de la puissance publique dans la production des espaces urbains au Liban». M@ppemonde, n° 80, avril. BOURGEY André, PHARÈS Joseph (1973). «Les bidonvilles de l’agglomération de Beyrouth». Revue de géographie de Lyon, vol. XLVIII, n° 2,p. 107-139. CHARAFEDDINE Wafa (1987). La Banlieue sud de Beyrouth: structure urbaine et économique. Thèse de doctorat en géographie sous la direction de Xavier de Planhol. Paris: Université de Paris IV-La Sorbonne, 332 p. CLERC-HUYBRECHTS Valérie (à paraître). Les Quartiers irréguliers de Beyrouth, poches de l’histoire foncière et urbanistique. Paris, Beyrouth: Institut français du Proche-Orient, 280 p. CLERC-HUYBRECHTS Valérie (2002). Les Principes d’action de l’urbanisme, le projet Élyssar face aux quartiers irréguliers de Beyrouth. Thèse de doctorat en urbanisme et aménagement sous la direction de C. Goldblum. Paris: Université Paris 8, Institut français d’urbanisme, 808 p. [ÉCOCHARD] (1963). 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Une ville et ses urbanistes: Beyrouth en reconstruction. Thèse (non publiée) de doctorat de géographie sous la direction de P. Merlin. Paris: Université de Paris I Sorbonne, 654 p. Notes 1. United Nations Relief and Work Agency, organisme des Nations unies chargé, depuis 1950, d’apporter aide et développement aux réfugiés palestiniens. 2. Pour une analyse de l’ensemble des quartiers, on se réfèrera à Clerc-Huybrechts 2002, ainsi qu’à Clerc-Huybrechts 2006 dont cet article reprend des éléments de la conclusion. 3. Les principaux fonds utilisés ont été, à Beyrouth, les fonds bibliographiques et la cartothèque du Centre d’études et de recherches sur le Moyen-Orient contemporain (Cermoc), devenu Institut français du Proche-Orient (IFPO), les fonds documentaires de l’Université Saint-Joseph, les archives du Cadastre de Baabda et celles de la Direction générale de l’Urbanisme. 4. Aujourd’hui que le projet Élyssar rend ces terrains constructibles, un projet de remembrement est en cours. 5. La superposition des statuts est liée au passage à la propriété privée (non daté) de cette plaine sableuse inculte, et donc probablement inappropriée pendant longtemps. Dans la montagne libanaise, la confusion entre territoire de gouvernement et propriété privée des émirs était fréquente. Un émir se sera vraisemblablement approprié cette plaine tandis qu’il en avait le gouvernement, alors même que certaines de ses parties étaient déjà des terrains mouchaa des villages. Les terres mouchaa sont aujourd’hui généralement devenues les propriétés privées des municipalités ou de l’État. |