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Atlas des icônes urbaines

L’Atlas des icônes urbaines est proposé sur Internet par la revue Urban History, publiée par l’université de Cambridge, en complément d’un numéro spécial consacré au même thème (1). Le texte de la revue est repris, complété et associé à des éléments visuels d’inégale qualité et à quelques sons (les bruits de la ville, sans doute). Composé de manière originale, ce parcours multimédia est un «atlas», au sens, précisent les auteurs, donné par Giuliana Bruno dans son livre Atlas of emotion (2), c’est-à-dire: «une histoire culturelle des arts spatiovisuels». On pourrait légitimement contester ce sens d’atlas et critiquer le titre choisi.

Le site se présente sous la forme du plan interactif d’une ville virtuelle avec repères visuels et symboles figurés pour se déplacer. L’ensemble serait un guide de voyage destiné à visiter Icon city, un espace urbain qui s’avère à l’usage bien étroit. La présentation de cette cité virtuelle est superficielle, en dépit d’un graphisme assez réussi. Six articles sont reliés les uns aux autres par divers liens hypertextes et un index commun.

La question du concept d’«icône urbaine» se pose d’emblée. Le sens d’icône est ici dépouillé de ses caractéristiques religieuses, il rejoint partiellement l’acception proposée par Charles-Sanders Peirce (1839-1914). L’icône est, selon cet inventeur de la sémiotique cité sans cesse depuis quarante ans dans les sciences humaines anglo-saxonnes, un type de signe qui opère par similitude de fait entre deux éléments. À l'icône, on le sait, s'opposent l’indice (sans rapport de ressemblance, mais avec un rapport de contiguïté) et le symbole (où le rapport est purement conventionnel). Les «icônes urbaines» sont des représentations abondamment reproduites, des images stéréotypées de lieux et d’objets qui marquent une ville comme les lettres géantes «Hollywood» sur le Mont Lee dominant Los Angeles ou comme la Tour Eiffel de Paris (qui bénéficie d’un diaporama sur le site).

Ed Ruscha, The Back of Hollywood, 1977, huile sur toile, 56 x 203 cm, Musée d'art contemporain de Lyon, France.

Les icônes participeraient d’une certaine «déterritorialisation» de la ville, ce qui reste, me semble-t-il, à démontrer en profondeur. Ces synecdoques témoignent des représentations mentales, sociales, réelles ou fictionnelles de la ville. Pour être franc, je ne suis pas convaincu que le concept d’«icône urbaine» soit novateur. L’«icône» pourrait n’être que le reflet affaibli et aseptisé du haut lieu (3) ou du lieu de mémoire (4), tous deux étudiés depuis quinze ans en géographie.

Si la démarche se veut transversale et géo-historique, elle doit beaucoup à la géographie culturelle (sous sa forme postmoderne nord-américaine avec l’inévitable référence à Yi-Fu Tuan). Une introduction détaillée (en quarante points) rédigée par Philipp J. Ethington et Vanessa R. Schwartz, précise les enjeux et les règles du projet de recherche dans lequel s’inscrit cette réalisation multimédia: «An Atlas of the Urban Icons Project» (5). Les thèmes traités sont: l’«iconicity» (dans le double sens de «ville icône» et «iconicité») de la Rome antique, les représentations de Venise à l’époque moderne, la Douane de Shanghai (qualifiée de «Big Ben avec des caractéristiques chinoises»), les icônes urbaines contemporaines à Mexico dans le cadre «géopolitique de la visibilité» (Jérôme Monnet), le mur de Berlin, Los Angeles comme «Metropolis mobile».

La consultation de ce site est plaisante. Transposer le numéro d’une revue scientifique (un peu sec par nature) en un objet multimédia accessible et dynamique est une expérience louable mais qui atteint rapidement ses limites, moins techniques qu’intellectuelles. Ceux qui n’ont pas lu le numéro d’Urban History consacré aux «icônes urbaines» avant de se rendre sur le site trouveront certainement plus d’intérêt à celui-ci.

 

Laurent Grison
15 décembre 2006

Notes

1. Urban History, volume 33 (2006), Cambridge University Press.

2. BRUNO G. (2002). Atlas of Emotion. Journeys in Art, Architecture, and Film. New York : Verso. ISBN: 1-85984-802-8

3. Pierre Gentelle a présenté le concept de haut lieu en 1995 dans L’Espace géographique (« Haut lieu », L’Espace géographique, n°2-95).

4. NORA P. (1984-1992). Les lieux de mémoire. Paris : Gallimard. La notion de lieu de mémoire est évoquée par Ethington et Schwartz dans leur introduction. ISBN: 2-07-072302-X (Vol.1). ISBN: 2-07-072303-8 (Vol.2). ISBN: 2-07-072304-6 (Vol.3)

5. Le projet a fait l’objet d’un colloque tenu à l’Université de Southern California en mars 2004.