À voir, à lire |
Le Gulf Stream Observé dès le début du XVIe siècle par Ponce de León, le Gulf Stream n’est pas ou n’est plus le grand fleuve tranquille que l’on croyait: Bruno Voituriez le démontre et le répète à l’envi dans son récent ouvrage qui s’efforce de faire le point sur ce que l’on sait d’un courant réputé aux yeux de tous comme principal responsable de la douceur hivernale de l’ensemble des côtes du Nord-Ouest de l’Europe, alors qu’elles bénéficient simplement, comme le dit l’auteur, d’un climat maritime. Depuis quelque temps, changement climatique global oblige, on nous disait que le doux Gulf Stream risquait de disparaître en cas de poursuite du réchauffement: faux, dit Bruno Voituriez avec raison, le Gulf Stream a existé lors du dernier épisode glaciaire; simplement son énorme débit (30 millions de m3/s au débouché du détroit de Floride et 140 millions de m3/s en fin de parcours, entre 100 et 400 fois le débit de l’Amazone égal à 300 000 m3/s) diminuera significativement de 30 à 50%. Par ailleurs, on connaît maintenant l’existence dans le passé des événements de Heinrich (froids plus intenses entre -80 000 et -20 000 ans) et les cycles de Dansgaard-Oeschger (remontées des températures extrêmement rapides au cours de la glaciation). Ce n’est pas le Gulf Stream qui arrive sur les côtes du Groenland ou de Norvège, mais des courants secondaires qui reprennent une partie des eaux chaudes du Gulf Stream qui, né dans le détroit de Floride, s’arrête sur les Bancs de Terre Neuve. Quant à la remontée vers le nord-est de ces eaux chaudes, elles ne se font pas calmement, portées par un puissant courant parfaitement délimité, mais dans une suite de méandres et de vastes tourbillons dont le résultat est d’échanger eaux chaudes et eaux froides avec toutes les conséquences que l’on peut attendre quant à la flore et surtout à la faune pélagiques d’une bonne partie de l’Atlantique nord. On l’aura compris, notre courant est hélas complexe, et le devient de plus en plus avec les données d’observations et d’enregistrements océaniques en surface, en profondeur mais aussi, et surtout, depuis l’espace. Partie de la circulation océanique, le fameux tapis roulant, le Gulf Stream appartient à un système où entrent en jeu notamment les actions du soleil et de la lune, la gravitation et la rotation de la Terre, les échanges océan/atmosphère indissolublement liés (couplage océan-atmosphère, système climatique-machine thermique, vent, température, évaporation, pression), la densité des eaux (plus ou moins salées, circulation thermohaline). Et ceci avec des variations de l’extension spatiale et des volumes mis en jeu qu’une meilleure connaissance de l’Oscillation Nord-Atlantique (NAO) permettra de préciser. L’Auteur caractérise en fin de compte le Gulf Stream comme le courant qui circule sur le bord ouest du gyre anticyclonique associé à l’anticyclone des Açores; les courants nord-atlantique et de Norvège ne relèvent pas de la dynamique induite par cet anticyclone, et ne font donc pas partie du Gulf Stream.
Bruno Voituriez ne se fait guère d’illusions (p. 117 et 118 notamment) sur l’assimilation par les lecteurs de l’ensemble des observations actuellement disponibles, parfois même contradictoires. Après l’«océanopoésie» à propos de la description idyllique du Gulf Stream par le Nord-Américain Maury mentionnée en début d’ouvrage, il reconnaît humblement que la clarté de l’exposé selon Boileau n’est hélas pas au rendez-vous. Le grand mérite de cet ouvrage c’est de ne rien cacher de la complexité d’un phénomène dont la connaissance profonde commence à peine; l’exposé ne peut qu’en subir quelques conséquences et c’est là le travail d’un vrai scientifique. Pierre Usselmann |
VOITURIEZ Bruno (2006). Le Gulf Stream. Paris: Éd. UNESCO, coll. «COI Forum Océans», 209 p. ISBN: 92-3-203995-8 |