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Les géographies de l’Amérique latine

Il y avait les Amériques latines, pourquoi pas ses géographies ? C’est donc à celles-ci, mais d’une seule Amérique latine, que nous convient les Presses de l’Université de Rennes avec l’ouvrage extrêmement dense réalisé sous la direction de trois excellents connaisseurs (1). Les originalités du peuplement et le tournant ethnique du XXIe siècle constituent les deux premières parties d'une soixantaine de pages chacune. Suivent les espaces ruraux (80 pages), puis les villes (120 pages), conformément à l’importance reconnue aux thèmes traités.

Le poids, bien connu, de l’histoire est à nouveau souligné pour le peuplement d’un ensemble où, si l’influence des milieux est minimisée, elle se traduit quand même toujours par ces vides et ces pleins que ne saurait seule expliquer la concentration urbaine. Un détail, il apparaît bien contestable d’attribuer à la protection des indigènes (p. 23) la pratique espagnole des « réductions » qui consistait à s’assurer de leur contrôle. De multiples changements affectent la population : la transition démographique bien présente, la transformation, pour une bonne part, de terres d’immigration en terres d’émigration aussi bien nationale qu’internationale. Les migrations des campagnes vers les villes se poursuivent fortement jusque dans les années 1970, puis c’est la croissance urbaine endogène qui s’installe. Par ailleurs, la violence politique mentionnée a certainement joué, et joue encore hélas, un rôle important dans ces migrations, peut-être insuffisamment souligné dans l’ouvrage.

Le tournant ethnique de ce début de siècle insiste, malgré bien des limitations, sur les changements d’attitude positifs vis-à-vis des « Indiens » et des « Afro-descendants ». La reconnaissance de territoires « ethniques » (on aurait aimé voir quelque cartographie autre que statistique sur ces terres), la réhabilitation de populations trop longtemps ostracisées et leur intégration aux sociétés nationales en sont la traduction. Il n’aurait pas été inutile de mentionner que l’officialisation du quechua au Pérou sous la présidence du général Velasco (restée lettre morte d’ailleurs) montrait que la préoccupation était aussi plus ancienne. Fait nouveau également, c’est une confrontation éventuellement inquiétante de ces populations à la globalisation.

Les espaces ruraux très diversifiés se sont encore plus largement ouverts pour certains à la globalisation et aux cultures de rente destinées à l’exportation. L’Amérique latine est de plus en plus intégrée dans les marchés agricoles structurés mondialement. Le soja, les fleurs ou les asperges, entre autres, illustrent une dynamique souvent qualifiée trop rapidement de success story. Si se manifeste un début de révolution verte, les dégâts écologiques sont aussi présents (remontée de la nappe phréatique, sols salés, déforestation). Les cultures illicites (coca, pavot, marihuana) sont aussi une conséquence de l’ouverture vers les marchés lointains tandis que la pauvreté reste toujours présente, parfois liée à l’effondrement de certaines cultures industrielles (canne à sucre) ; les cartes des p. 213 et 216 sont très illustratives. La propriété individuelle de la terre gagne tous les jours plus de terrain.

Dans un ensemble déjà très urbanisé, la concentration urbaine se poursuit, notamment au bénéfice des grandes villes de plus de 500 000 habitants qui voient maintenant leur population croître naturellement pour une bonne part. L’auto-construction est très importante et, depuis quelques dizaines d'années, les politiques de régularisation de l’habitat illégal multiplient le logement en propriété. La profonde connaissance du terrain et l’utilisation des histoires de vie par les chercheurs rendent très vivante cette dernière partie où les concentrations socio-spatiales, la densification et le début de la reconquête des centres sont des dynamiques très apparentes alors que les phénomènes de ségrégation « raciale » sont heureusement peu marqués à la différence de ce qui s’observe chez le grand voisin du Nord.

Au total, un ouvrage très riche, parfois même touffu, illustré de nombreuses photos. Un regret, celui de ne pas pouvoir disposer de plus de cartes davantage explicatives.

Pierre Usselmann

(1) Françoise Dureau, Vincent Gouëset, Évelyne Mesclier (2006). Géographies de l'Amérique latine. Rennes : Presses Universitaires de Rennes, coll. « Espace et territoires », 376 p. 20 euros. ISBN: 2-7535-0187-4.