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L’ordre domestique. Mémoire de la ruralité dans les arts plastiques contemporains en Europe Étudier la valeur et l’influence de la ruralité dans les pratiques artistiques contemporaines est un projet original. Pierre Paliard, historien de l’art, consacre un livre à celui-ci. C’est, en fait, une version allégée et destinée à l’édition de la thèse qu’il a soutenue sur le même sujet à Aix-Marseille I en 1999. Le livre (1) est construit en deux parties distinctes. La première (un tiers des pages) présente ce que l’auteur appelle les «éléments pour une nouvelle approche de la poétique rurale dans la deuxième moitié du XXe siècle». Il y analyse la ruralité comme un « fait culturel majeur » en Europe occidentale puis aborde l’influence des matériaux, des objets et des techniques du monde rural sur les pratiques artistiques contemporaines. Le chapitre III évoque « l’ordre domestique » qui donne son titre au livre. L’auteur le défend sur le plan théorique avec aisance et solide culture générale. Il tente d’éviter toute dérive sémantique ou philosophique visant à faire ressurgir la fable des traditions agricoles perdues. Comme les artistes qu’il cite, il semble se méfier du mythe d’un territoire rural pur par essence. «Moi je n’ai pas fait une œuvre par romantisme ou par une sorte de compassion. Je l’ai fait tout simplement pour faire une sculpture à partir des méthodes du travail rural sans drame ou recours au mythe», affirme le plasticien italien Giuseppe Penone (2). De celui-ci, Pierre Paliard étudie notamment le remarquable Sentier 1, une sculpture en bronze de 1983 (reproduction page VIII du cahier central) qui n’est pas sans me rappeler le travail de Germaine Richier. La deuxième partie de l’ouvrage (220 pages environ) se compose de six études monographiques d’artistes marquants : Joseph Beuys, David Nash, Andy Goldsworthy (3), Gérard Gasiorowski, Bernard Pagès, Giuseppe Penone. Le choix est arbitraire mais pertinent au regard du projet de recherche de P. Paliard. Ces artistes, communément rattachés au Land art, ont travaillé dans ou avec la « nature », en lien avec le territoire approprié comme avec la ruralité depuis les années 1960. Ces études sont approfondies mais juxtaposées dans un ordre alphabétique par nom de pays et d’artistes sans souci de croisement thématique. Ce classement surprend. Par ailleurs, il manque à l’ouvrage une conclusion générale, un index, une table des illustrations et une bibliographie (qui allégerait les notes infrapaginales), tous utiles au lecteur. L’ouvrage est, à mon sens, composé dans une forme trop universitaire (je sais, bien sûr, que c’est le lot de presque toutes les thèses publiées) ; en somme, le travail éditorial semble inachevé, ce qui est trop souvent le cas chez L’Harmattan. Un sillon est tracé par l’auteur entre les différentes acceptions conceptuelles de la nature, de la culture sous toutes ses formes, de la ruralité et de sa «mémoire». Il appuie sa démonstration sur des exemples précis d’œuvres d’art (des reproductions, en couleurs ou en noir et blanc, permettent d’en juger). L’art est, fondamentalement, le signe d’un rapport au monde, bien au-delà d’une simple et superficielle démarche écologique à laquelle aboutit pourtant l’auteur quand il invite «à réfléchir à l’urgence de trouver les chemins d’un équilibre viable entre l’homme et le monde qui l’abrite». L’ordre domestique peut intéresser le géographe et pas seulement le ruraliste (dont la part scientifique continue de décliner, on le sait, depuis les années 1970, au sein de l’université française). Territoire et création, espace rural et production artistique : le champ ensemencé par l’historien d’art peut être moissonné par le géographe. Laurent Grison (1) Pierre Paliard (2006). L’ordre domestique. Mémoire de la ruralité dans les arts plastiques contemporains en Europe. Paris : L’Harmattan, coll. « Arts et Sciences de l’art », 342 p. 30€. ISBN: 2-296-01635-9. (2) In Celant Germano (1989) Giuseppe Penone. Milan : Electa. Il me revient à l’esprit, en écrivant ces lignes, deux formules datant d’une période sombre de notre histoire nationale, celle du Régime de Vichy, si loin des propos de Penone : « La terre, elle, ne ment pas » et la charrue, «c'est la liberté». (3) On peut consulter sur Internet les traces du projet Sheepfolds (littéralement Parcs à moutons) réalisé par le britannique Andy Goldsworthy entre 1996 et 2003 dans le Cumbria (comté du nord-ouest de l’Angleterre, célèbre pour son Lake District). C’est un vaste projet à la fois artistique, paysager et environnemental. |