Ces lieux dont on parle |
L'île de Saint Martin/Sint Maarten, pourtant de superficie modeste (93 km2, néerlandaise dans le tiers sud, française ailleurs) (carte 1), regorge de contrastes: on passe d'un bout du monde pour milliardaires (les Terres Basses) aux quartiers pauvres portant l’empreinte de l’Amérique (Quartier d'Orléans), de pentes abruptes à des cordons littoraux sableux, des constructions relativement basses côté français (Marigot, Grand Case) aux micro-buildings côté hollandais (Philipsburg, Simsonbaai). On n’y dénombre pas moins de cinq langues en usage (français, néerlandais, créole, anglais, espagnol) pour deux monnaies (dollar et euro, les prix restant d’ailleurs souvent libellés en florins côté hollandais). Les contrastes d'ambiance entre plages sont également frappants. Entre les quelques 3 km de calme de la Baie Longue ou de la Baie des Prunes et l’univers minuscule et fourmillant de Maho Beach, on n’est pas dans le même monde. Cette dernière, située dans le quart sud-ouest de l'île, dans la petite baie de Maho (carte 2), offre d’ailleurs un spectacle étrange, un concentré des images du monde actuel et de ses excès. Elle symbolise ainsi l'étrange catégorie des «plages attraction».
Il s'agit d'une micro-plage entourée d'avancées rocheuses correspondant à des récifs anciens élevés, probablement ceux-là même qui sont à l'origine des importants volumes de sable qui occupent le plateau d'Anguille où sont situés Saint-Martin, Saint-Barthélémy et Anguille. Sur le haut de plage, à seulement une dizaine de mètres de la limite océane, on trouve successivement une route (4 m de large), un grillage et … une piste d'atterrissage!
C'est celle de l'aéroport international de Princess Juliana, par lequel ont transité, en 2004 par exemple, près de 1 608 000 passagers. Le ballet des décollages/atterrissages y est incessant, le rythme infernal d'un avion toutes les 5 à 10 min caractérisant la haute saison (surtout décembre et janvier). Le spectacle offert est alors étonnant. De la plage, lorsque l'on est face à la mer, on aperçoit au loin les feux d'un avion. Plus il se rapproche, plus le bruit devient inquiétant, au point d'être assourdissant au moment où l'avion passe au-dessus de l’observateur … à seulement 15 ou 20 m d'altitude.
Bien que des panneaux signalent le risque d'être blessé par le souffle lors des atterrissages ou des décollages (photo 3) et que les camions soient contraints d'attendre le passage de l'avion avant de poursuivre leur route, quelques audacieux debout sur la plage, l’œil au viseur de leur appareil, attendent l'ultime moment pour appuyer sur le déclencheur et retourner ainsi chez eux avec la photo d'une attraction peu commune.
À l'atterrissage, les plus gros avions (Boeing 747, Airbus A300) produisent de la houle. Leur décollage est plus impressionnant encore. L'appareil s'approche du bout de piste, à quelques mètres de la plage, puis se retourne et attend. À ce stade, les curieux sont soit sur la plage, soit accrochés au grillage qui marque la limite de l'aéroport, ou encore «tranquillement» attablés au Sunset Beach Bar ou au Tortuga Beach Bar, aux pointes rocheuses est et ouest qui encadrent la plage. Mais où qu'il se trouve, le touriste est rapidement pris dans un nuage de kérosène, invisible mais non moins enivrant. L’accélération soudaine de l’avion, dans un bruit de tonnerre, fait que les cheveux s’orientent en direction de l'océan, que les serviettes de plage s'envolent en même temps que le sable, et que les tables tremblent au point que les bières fraîchement servies débordent. Le bonheur absolu si l'on s'en réfère à l'incroyable niveau de fréquentation des deux bars tout au long de chaque journée. À Maho Beach, les fameux «3 S» (Sea, Sun and Sand) semblent s'incliner devant «3 F» (Fun, Flight and Fuel). On est loin de l'image classique du moment balnéaire baigné de calme et de sérénité. Ici, il y a tout le temps du bruit: celui des avions, des voitures, des bars, et des touristes nord-américains (près de 60% des visiteurs de l’île) qui se divertissent au soleil, bière ou champagne à la main, en attendant de passer leur soirée dans le casino qui jouxte la plage ou encore dans l'un des nombreux établissements d’Adult Entertainment de la partie hollandaise de l'île. Cette description peut paraître caricaturale; elle reflète pourtant fidèlement l’ambiance de la baie de Maho et, plus généralement, de la partie hollandaise de l'île (Redon, 2006). On retrouve cet «effet attraction» inhérent à la présence d'une piste d'atterrissage pour petits avions en bordure de plage, dans la baie de Saint-Jean, sur l'île de Saint-Barthélémy (Mangin, 2006). Mais l'ambiance y est résolument plus frenchy, en tout cas moins américanisée. Est-ce à dire que les touristes impriment leur marque sur les lieux de leurs vacances, ou bien, à l'inverse, que ces derniers possèdent une nature intrinsèque qui attire différents types de touristes en fonction de leurs attentes (se reposer, s'amuser, découvrir des paysages ou des populations différentes…). La catégorie des «plages attractions» pose ainsi la question des facteurs parfois inattendus qui façonnent les lieux du tourisme: endogènes? exogènes? ou mieux encore un subtil mélange des deux? Cette dialectique de la genèse des potentialités touristiques des espaces continue et continuera encore d'animer les débats géographiques (Équipe MIT, 2001; Dewailly, 2006). Alexandre MAGNAN Bibliographie DEWAILLY J.-M. (2006). Tourisme et géographie, entre pérégrinité et chaos. L'Harmattan, Paris, 221 p. ISBN: 2-296-00166-1. ÉQUIPE MIT (2001). Tourismes 1. Lieux communs. Belin, Paris, 320 p. ISBN: 2-7011-3248-7 MANGIN C. (2006). «Saint Barth, confetti ou élément du village global?» Mappemonde 4-2006, «Ces lieux dont on parle» REDON M. (2006). Saint Martin/Sint Maarten, une petite île divisée pour de grands enjeux. Les Cahiers d'Outre-Mer, 234, p. 233-266. ISBN: 2-86781-414-6 |