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Géopolitique de l’Asie
C’est par un DVD de 45 minutes que Pierre Gentelle, seul face à la caméra et avec l’aide de cartes parfois animées, propose une introduction à la géopolitique de l’Asie. Belle préfiguration des universités de demain (par un chercheur du CNRS, qui plus est retraité !), où le DVD/CD-ROM remplacera le cours magistral, et des TD plus nombreux assureront la rencontre enseignant/étudiants. L’optique est en effet ici clairement pédagogique. Un petit livret reprend l’intégralité du script et propose une série de QCM vérifiant les connaissances acquises dans chaque séquence du film (par exemple, quel est le nouvel élément qui a beaucoup contribué à l’intensification des échanges en Asie: Le libre-échange ? Les zones franches ? Le dollar ? Le transport maritime ? Plusieurs réponses sont possibles). Toutes les cartes présentées, ainsi que des fonds de carte vierges, sont imprimables. L’exposé est rapide, remarquable de clarté, de savoir et d’intelligence. Neuf questions articulent le propos. Les trois premières plantent bien le décor: a) une Asie qui ne s’est jamais pensée comme une unité, sauf dans la tête des Occidentaux et par les séquelles de la colonisation; b) une région qui devient «atelier, usine, laboratoire du monde, bientôt banque», espace de croissance et d’inégalités, de pollutions et de nationalismes exacerbés; c) enfin sont présentés les acteurs et territoires clés, par une lecture étatique qui ne se focalise pas sur les seuls géants asiatiques (États riches pour le Japon, Singapour, Brunei, Corée du Sud, Taiwan et Hong-Kong, immensément peuplés pour la Chine et l’Inde, nouvellement industrialisés pour la Corée du Sud, la Thaïlande et les Philippines, en conflit ethnico-religieux pour l’Indonésie et la Malaisie, confrontés à des logiques territoriales très diverses de la Thaïlande au Timor Oriental). Vient ensuite une présentation géopolitique originale à travers les intérêts et ambitions des trois grands pays. Le Japon cherche à ne plus payer aussi cher la vengeance américaine de Pearl Harbour: pas de réelle puissance militaire ni nucléaire en dépit de périls chinois croissants. Le projet chinois quant à lui vise l’excellence dans tous les domaines face aux États-Unis, au Japon et à l’Europe, adoptant un capitalisme pragmatique, une croissance insoutenable pour la planète, et ne renonçant en rien à Taiwan, véritable Alsace-Lorraine pour l’empire du Milieu. L’Inde enfin, consciente de son unité, fait le choix du développement démocratique et de l’intégration asiatique, tout en hésitant entre deux voies: «sa compétition avec le Pakistan – et les autres États islamiques, Bangladesh, Indonésie – la convie à rester au niveau régional, à l’abri de son bouclier nucléaire. La rivalité avec la Chine lui impose de penser à la puissance mondiale» (p. 14). Les deux séquences sur les marges continentales et maritimes de l’Asie font très bien ressortir la concentration des tensions géopolitiques. Corée, Pakistan et Birmanie sont au cœur de problèmes brûlants (bombe nord-coréenne, Al-Qaeda, narco-dictature). L’Asie centrale partagée entre ex-URSS et Chine a vu entrer dans l’arène les Américains, qui sont arrivés « au centre du dispositif ex-soviétique, au beau milieu de champs de pétrole de la Caspienne, près de la base spatiale de Baïkonour et des champs d’essai nucléaire» (p. 16). Mais ce sont surtout les marges maritimes, Asie du Sud-Est au premier chef, qui suscitent le plus d’inquiétudes. Cet espace maritime fragmenté est un lieu de flux intenses et de piraterie massive, premier marché mondial d’armes entre des protagonistes nationalistes, en conflits larvés pour des eaux territoriales, devant faire face à des séparatismes divers ou à des instabilités politiques inquiétantes: «si le monde devait s’enflammer, l’Asie du Sud-Est pourrait se révéler aussi dangereuse que le Moyen-Orient» (p. 17). C’est dire si la dernière séquence conclusive «Comment s’expriment les rapports de force en Asie ?» a tout son intérêt. Certes les États-Unis ont sécurisé toutes les routes maritimes du monde, mais l’évolution russe est incertaine (européenne ? asiatique ? rivale des États-Unis ?), les blocages communautaires sont légion en Asie, la concurrence entre la Chine, le Japon et l’Inde pour savoir qui sera le premier mondial ne fait que s’amplifier. Les États-Unis ont tout à craindre, peut-être moins de ces géants, que de la variété des acteurs, grands et petits, dans ce terrain du jeu géopolitique mondial. On pourra regretter cette géopolitique qui choisit trop ostensiblement la grille de lecture étatique. Les réseaux de drogue ou de terroristes, les multinationales, les constructions régionales, les flux commerciaux sont cités mais peu mis en valeur. La déception vient surtout des cartes, trop artisanales, parfois trop complexes (carte des types d’économie), souvent trop illustratives, et absentes quand on en aurait le plus besoin (Asie centrale, la mer comme espace militaire). Pourquoi ne pas avoir proposé des photos des lieux emblématiques, des graphiques illustrant la montée en puissance des tensions, et des cartes en anamorphose pour montrer le poids des disparités régionales, alors que le format du DVD s’y prête particulièrement bien ? Il fallait oser faire des QCM, vu les pétitions de principe des universitaires à cet égard. Certains sont très réussis, par leurs questions intelligentes, avec plusieurs réponses possibles, ce qui complique la tâche et permet de bien assimiler les connaissances. D’autres en revanche tombent un peu trop dans la géographie descriptive. Il n’empêche que Pierre Gentelle, parfaitement maître du sujet, nous propose un exposé introductif à la géopolitique de l’Asie, remarquable de clarté et de vivacité. Il ne faudrait pas que ces quelques remarques formelles gâchent le plaisir intellectuel à l’écouter durant une petite heure, d’où étudiants, enseignants du secondaire et de premier cycle, et grand public sortiront éclairés sur cette partie de la planète qui devient de plus en plus le cœur du monde. Olivier Milhaud Pierre Gentelle, Françoise Dieterich (2007). La Géopolitique de l'Asie. 45 minutes pour comprendre les grands enjeux. Paris: Nathan, coll. «9 questions sur...», DVD de 45 minutes et livret. . ISBN: 978-2-09-810484-6. Prix: 14 euros. |