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Autour du vin: une promenade architecturale dans Barcelone
Une promenade attentive dans Barcelone, capitale de la Catalogne permet de se rendre compte qu’il existe un grand nombre d’éléments architecturaux à motifs vitivinicoles. Peintures, fresques, vitraux et anciennes affiches publicitaires ornent les façades des immeubles, alors que de nombreuses statues s’élèvent au hasard des places... Tous rappellent que la vigne et le vin ont été au cœur d’un des secteurs économiques les plus puissants de la Catalogne. La viticulture est ainsi présente dans Barcelone; elle est d’ailleurs encore dans la mémoire de beaucoup de ses habitants, qui sont originaires de villages plus ou moins proches de la capitale. Les nombreux artistes pressentis par les architectes pour décorer les édifices de la ville ont mobilisé dans leurs œuvres ce référent identitaire commun à beaucoup de Barcelonais. Il y a au final une foule d’œuvres de qualité qui célèbrent la vigne et le vin. Pourtant ce patrimoine n’est pas valorisé par les acteurs du tourisme et aucun circuit n’est proposé pour le découvrir. Nous présentons ici quelques-uns de ces monuments, sculptures ou éléments décoratifs, pour qu’un visiteur curieux puisse les découvrir et apprécier ainsi une nouvelle facette du patrimoine d’une ville à forte notoriété. La vigne et le vin en Catalogne Comprendre l’importance de cette présence de la vigne et du vin à Barcelone implique de revenir, même brièvement, sur l’histoire puis sur l’économie de la région. La viticulture remonte en Catalogne au VIe siècle av. J.-C, avec l’arrivée des Grecs. Sa première expansion correspond à l’arrivée des Romains à partir du IIIe siècle av. J.-C. Au cours du Moyen Âge, les moines venus de France établirent leurs monastères dans toute la Catalogne et y assurèrent le développement de la viticulture. Durant le XVIIIe siècle, la vigne profita de l’augmentation du prix du vin et de la découverte des eaux-de-vie. Les villes de Barcelone et Reus, entre autres, exportaient alors du vin et des eaux-de-vie dans les colonies espagnoles d’Amérique. L’essor de la monoculture viticole dans de nombreuses régions catalanes fut un moteur de croissance économique, mais la richesse créée fut captée pour l’essentiel par Barcelone pour son développement industriel. En 1879, le phylloxera détruisit toutes les vignes, ce qui entraîna une grave crise économique et démographique dans les régions viticoles. Il fallut attendre ces dernières décennies pour assister à un nouvel essor de la vigne grâce au mouvement coopératif. Aujourd’hui, la production du vin en Catalogne est redevenue une activité d’importance. En 2001, les vignes couvraient 65 614 ha, soit 5,5% du vignoble espagnol et 7,1% de la superficie agricole utilisée (SAU) de la Catalogne. La production était de 2 992 354 hl, soit 7,2% du total espagnol. La production de vin y est très variée: vin rouge, vin blanc, vin rosé, vin de liqueur, vin doux, cava (vin mousseux), vin de messe et vin cacher. Avec l’entrée de l’Espagne dans l’Union européenne en 1986, la viticulture catalane, dominée jusqu’alors par la production de vins de table, s’est réorientée, à l’instar de toute la viticulture espagnole, vers des productions de qualité. Les dénominations d’origine (DO) sont aujourd’hui au nombre de 12 et leur production représente 90% du vin catalan et 21,4% des vins de qualité espagnols. Les éléments décoratifs et architecturaux que nous nous proposons de faire découvrir sont, pour l’essentiel, des témoignages de la splendeur passée de l’économie vitivinicole catalane, mais ils s’inscrivent aussi dans un contexte contemporain où le vin catalan est un produit au prestige montant, dont l’évocation dans le paysage barcelonais actuel ne dépare pas.
Proposition d’itinéraire Dans la partie haute de Barcelone, où se trouve le domaine universitaire, au 686 de l’avenue Diagonal, entre le Palau Reial et la Faculté d’Économie, deux ensembles de sculptures ont été réalisés à l’occasion de l’Exposition universelle de 1929 (numéro 1). Taillés dans la pierre de Montjuïc, ces ensembles représentent deux provinces de Catalogne: Lleida et Tarragone (1). L’allégorie de la province de Lleida est l’œuvre de Manuel Fuxà (1850-1927); elle fut installée vers 1928-1929. On y voit plusieurs personnage: il en émerge une femme portant dans son giron de grosses grappes de raisin. À l’arrière, une autre figure, masculine, travaille dans les vignes. L’artiste a souligné ici la grande importance des activités agricoles — et particulièrement viticoles — dans la province (photos 1 et 2). L’allégorie de la province de Tarragone a été sculptée par Jaume Otero dans les années 1928-1929. L’artiste réutilise le style classique des œuvres romaines, faisant le lien entre la cité antique de Tarraco, capitale de la province romaine Tarraconaise, et la ville actuelle de Tarragone. Cet ensemble rappelle le caractère méditerranéen de la province souligné par la présence d’un pêcheur. Mais l’on peut noter que l’une des figures féminines porte une corne d’abondance, signe de fertilité, d’où sortent des grappes de raisin (photo 3). Sur la place Catalunya (numéro 5), on pourra voir à l’entrée d’un bâtiment une autre sculpture: une femme dénudée portant une brassée de roses est campée sur des vignes chargées de raisin (photo 4). Nous n’avons aucune indication sur l’auteur ni la date de réalisation de cette œuvre. Sur la façade d’un bâtiment réhabilité (aujourd’hui un hôtel), situé entre les rues Roger de Llúria et Consell de Cent (numéro 6) et construit entre 1862 et 1864, on remarque des peintures réalisées sur deux étages par l’artiste italien Raffaelo Beltramini. Chacune des figures représente une qualité ou un art; celles qui attirent le plus le regard sont celles du premier étage, aux couleurs vives. Au-dessus de la porte principale du bâtiment quatre figures féminines symbolisent les saisons; celle qui représente l’automne est couronnée d’une grappe de raisins et tient dans la main droite une coupe de vin (photo 5). Le Modernisme (Art Nouveau), mouvement artistique de la fin du XIXe siècle a influencé beaucoup de disciplines artistiques, de l’architecture aux arts décoratifs ou à la publicité. Les affiches publicitaires étaient parfois reproduites sous forme de mosaïque. Certaines de celles-ci ont été conservées dans des vitrines, même si la fonction de l’établissement a changé. Un des exemples les plus significatifs se trouve sur les Rambles (numéro 3), dans un bar qui était autrefois une épicerie. Deux vitrines comportent des éléments décoratifs anciens: dans l’une apparaissent des produits du terroir correspondant aux quatre saisons de l’année, tandis que dans l’autre (photo 6) sont montrées des boissons alcoolisées, dont une grande bouteille de cava, vin fabriqué en Espagne selon la méthode champenoise. Les artistes ont également figuré les liens étroits entre le vin et la religion, qu’ils évoquent des dieux païens ou des figures chrétiennes. Le dieu Bacchus est représenté sur la façade d'un bâtiment situé 17 rue Carabassa (numéro 4): il est entouré de vignes et de grappes de raisin; à ses pieds le vin s’écoule d’un tonneau comme d’une source (photo 7). Sur une place près du marché de la Boqueria (numéro 5), où les agriculteurs vendent directement leurs produits aux habitants de Barcelone, une mosaïque montre le saint patron de l’agriculture en Catalogne: saint Galderic - Galdric.(2) Sur cette mosaïque, le saint est représenté devant des vignes et des champs en pleine production; il tient dans la main une gerbe de blé. Cette mosaïque rappelle la trilogie méditerranéenne: blé, vin, huile d’olive (photo 8). Bien d’autres façades, portes et fenêtres sont ornées de motifs sculptés dans lesquels apparaissent une vigne ou une grappe de raisin... Ainsi dans le secteur qui va de l’Eixample à la place Catalunya (numéro 2) (photo 9) ou à côté de la place España (numéro 7) (photo 10). Les monuments et ornements du passé ne sont pas les seuls à rappeler le poids de la vigne et du vin dans l’économie régionale. De nouvelles manifestations de l’intérêt pour le vin apparaissent sous la forme de panneaux publicitaires comme sur l’avenue Diagonal (numéro 1) (photo 11) ou sur les véhicules des entreprises vitivinicoles. Les boutiques, qui vendent le vin catalan à travers le monde grâce à Internet, se multiplient, comme celle du marché de la Boqueria (numéro 5) (photo 12). Il n’est pas nécessaire d’aller dans le Penedès ou dans le Priorat, régions vitivinicoles du centre de la Catalogne — bien que l’on puisse recommander cette excursion — pour se rendre compte de la place du vin dans la Catalogne d’aujourd’hui. Gemma Molleví Bortoló (3) Remerciements
Notes 1- Les informations sont extraites de catalogue Art Públic, édité par des administrations et divers organismes publics et privés (Mairie, Université de Barcelone). 2-Ce saint catalan a été remplacé plus tard par Isidro, saint madrilène. 3-Docteur en Géographie (Geografia de la vitivinicultura en Catalunya, 2005, Universidad de Barcelona). |