N° 87 (3-2007)
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L’archipel nord-coréen:
transition économique et blocages territoriaux
César Ducruet, Stanislas Roussin
Erasmus University, Rotterdam, SERIC Corée, Séoul General manager & head of research department, SERIC CORÉE, Séoul |
Introduction Au cours de la dernière décennie, la République Démocratique Populaire de Corée (RDPC), ou Corée du Nord, s’est trouvée confrontée à un nombre incalculable de contraintes à la fois politiques et économiques. Un bref rappel s’impose tant la situation actuelle est complexe. Suite à la chute du bloc soviétique (1989-1993), la Corée du Nord perd brutalement ses partenaires commerciaux traditionnels (pays de l’Europe de l’Est, URSS) et leurs circuits commerciaux fondés sur le troc (encadré). Dépourvue de devises et donc incapable de se fournir en hydrocarbures sur le marché international, l’économie nord-coréenne, plus isolée que jamais, périclite. Les usines s’arrêtent, les mines sont ennoyées, les transports sont paralysés et, faute d’engrais, les rendements agricoles s’effondrent, provoquant une large crise humanitaire, aggravée par les catastrophes naturelles de 1994-1995. Parallèlement, le président Kim Il-Seong meurt en 1994: suit une période de vacance de trois ans à la tête du pouvoir, le temps que son fils aîné Kim Jeong-Il s’impose de manière indéniable aux yeux du Parti, du gouvernement et de l’armée. Ces mêmes années 1990 voient la tension s’accentuer avec les États-Unis au sujet du programme nucléaire nord-coréen, ce qui aboutit à une politique intérieure de plus en plus centrée sur l’armée. En effet, les militaires s’impliquent d’une manière croissante dans la vie économique du pays (génie civil, construction de nouvelles usines et de logements), afin de pallier la désorganisation des autres institutions. Depuis cette période de crise extrême, les pouvoirs en présence (armée, parti et gouvernement) ont entrepris un long travail de réforme, objet régulier d’affrontements entre tenants de l’orthodoxie (idéologie Juche, définie par une politique délibérée d’autosubsistance et d’indépendance à la fois économique, politique et militaire) et tenants d’une ouverture vers le marché. Ce travail est d’autant plus laborieux que la tension diplomatique demeure très vive (condamnation et sanctions de l’ONU contre le programme nucléaire), donnant régulièrement aux adversaires de la réforme des arguments pour un retour à une ligne dure. Pourtant, indéniablement quoique que très progressivement, c’est le choix de l’ouverture qui s’impose. Ainsi, dès 1984, une loi sur l’investissement extérieur est votée, qui se traduit par l’expérience courte mais fructueuse de la zone franche de Rajin-Seonbong en 1991. La volonté d’ouverture aux capitaux étrangers se manifeste une nouvelle fois en 1998 avec quelques réformes agraires, mais surtout après le sommet inter-coréen de juin 2000 — avec l’apparition officielle du terme de «marché» dans les textes des réformes de juillet 2002 qui accordent une certaine liberté de gestion aux unités de production (on ne parle pas d’entreprise en RPDC) et surtout aux investisseurs étrangers. Si la Région administrative spéciale de Sinuiju, à la frontière chinoise, a périclité dès son lancement en 2002 pour des raisons politiques, d’autres projets comme la Zone de tourisme international du mont Geumgang depuis 2002, ou encore la Zone industrielle de Gaeseong depuis 2004, financés par la Corée du Sud, peuvent être qualifiés de francs succès au regard du volume respectif de touristes sud-coréens — 223 000 en 2006, soit plus d’un million depuis l’ouverture (Ministère de l’Unification de Corée du Sud, 2006), et d’emplois créés — 10 000 ouvriers nord-coréens y travaillent fin 2006 dans une quinzaine d’entreprises (Ducruet, 2007). D’autre part, la présence chinoise croissante et l’accueil régulier d’entreprises étrangères le long du corridor industriel, qui se crée entre Pyongyang et Nampo, témoignent d’une ferme volonté de placer le pays sur la voie de la transition. Ainsi à l’heure actuelle, la Corée du Nord se retrouve dans une situation paradoxale. Tandis que la main-d’œuvre qualifiée, bon marché (trois fois moins chère qu’en Chine), et les ressources naturelles sont abondantes, la possibilité d’attirer des investissements extérieurs se heurte, malgré les réformes, au délabrement de l’appareil productif. On estime qu’environ 20% des usines sont opérationnelles et que la production d’énergie couvre seulement 30 à 50% des besoins du pays (Ahn, 2003). En raison du système de transports déliquescent, les unités de production en Corée du Nord dépensent 40 % de leurs coûts manufacturiers dans la logistique (Ahn, 2002; Jo, Adler, 2002; Jo, Ducruet, 2006; Taaffe, Morrill, Gould, 1963). Au-delà de ce problème, une série d’autres facteurs se combinent pour donner à la dimension spatiale une importance de premier ordre, en termes de polarisation et de discontinuités.
Afin d’éclairer les structures spatiales fondamentales qui expliquent ces phénomènes, le propos sera organisé en deux temps: d’abord l’examen du modèle dominant centre-périphérie puis l’analyse de l’archipel en cours d’émergence, une forme d’organisation spatiale nouvelle liée aux projets de développement récents — lesquels provoquent un phénomène d’éclatement territorial. Enfin, une grille de synthèse chorématique est proposée pour aboutir à un modèle spatial de l’archipel nord-coréen. Le glissement vers l’Ouest et le renforcement du modèle centre-périphérie La dynamique de la population La primauté de Pyongyang, ville principale et capitale du pays, est certainement l’un des signes importants de la faillite des principes dits socialistes d’équilibre intra- et interrégional en Corée du Nord (fig. 1a et 1b ), bien que les autorités s’efforcent de contrôler le phénomène. En effet, les mouvements de la population sont soumis à un système strict de contrôle des migrations intérieures, et cette règle s’applique également aux entreprises, à l’exception toutefois des sociétés étrangères et des joint-ventures. Vivre et travailler à Pyongyang demeure un privilège. Cependant, cette domination démographique et économique ne doit pas masquer une tendance plus large, résultat de la politique plus pragmatique de ces dernières années: celle d’un glissement vers l’Ouest des populations et des activités (fig. 2).
La province du Pyongan du Sud, grenier à grain du pays, et la ville portuaire de Nampo, zone clef de l’appareil militaro-industriel, ont nettement bénéficié de ces flux de population. Pyongyang en a également profité, en raison d’un déclin moins prononcé qu’ailleurs de son industrie, de l’arrivée d’investissements étrangers — surtout chinois — et d’une agriculture de plaine en développement. Par effet d’entonnoir, les régions montagneuses du Nord par exemple voient leur population déplacée vers le cœur économique du pays. Une grande partie de ces flux s’explique par les besoins d’une agriculture peu mécanisée, dans un contexte de ruralisation de l’économie tout entière. Ainsi, à l’exception de quelques villes à l’Est, l’Ouest du pays concentre les fortes densités, ce qui illustre l’importance des plaines dans l’organisation récente du pays (fig. 3).
Ces dynamiques, bien plus que les caractéristiques physiques de leurs sites, expliquent les différences d’extension des villes nord-coréennes, entre les villes des régions centrales telles Pyongyang, Nampo et Haeju, et celles des régions périphériques comme Wonsan et Sinuiju (fig. 4). Ce phénomène est encore plus marqué à Pyongyang, qui s’est étendu davantage à l’ouest, le long du fleuve et des voies de communication, vers Nampo, son antenne maritime. À l’inverse, Sinuiju a stagné depuis 1978, notamment par rapport à Dandong, la ville voisine frontalière chinoise en croissance explosive. De même, Wonsan ne s’est guère étendue puisque la plupart des zones urbanisées à l’est de la ville, identifiées comme «nouvelles» en 2006, sont en fait des zones industrielles qui existaient déjà en 1978. La dynamique portuaire L’examen des mouvements de navires au cours des deux dernières décennies permet de vérifier ce phénomène de glissement vers l’Ouest (fig. 5). Jusqu’au milieu des années 1990, les flux maritimes se concentrent sur la façade orientale, grâce aux relations prépondérantes de Rajin, Cheongjin, Heungnam et Wonsan avec le Japon et la Russie, puis le rapport s’inverse en faveur de la façade occidentale, reflétant l’importance croissante de la Corée du Sud et de la Chine. Au-delà du changement dans les relations politiques et commerciales à l’échelle de l’Asie du Nord-Est, ce phénomène illustre le rôle-clef de Nampo, port de Pyongyang, pour la concentration de la plupart des trafics maritimes du pays. Certes, Nampo reste un port fluvial dont l’accessibilité nautique à la mer Jaune est réduite par le barrage de l’Ouest (une ouverture par jour), mais qui accueille la plupart des nouvelles installations portuaires de la Corée du Nord, dont un quai pour marchandises générales en 2001 et un terminal à conteneurs en 2006. Nampo est, de plus, le seul port correctement connecté à la capitale, grâce au lien autoroutier à dix voies, qui permet la desserte du plus grand arrière-pays (Ducruet, Roussin, 2007). Malgré les difficultés techniques rencontrées à Nampo en termes de coûts de manutention et de temps d’accostage des navires, cette concentration illustre indirectement l’aggravation de l’état des infrastructures portuaires dans les autres ports de commerce qui sont, de plus, mal connectés au système de transport terrestre et dont l’essentiel du trafic récent repose sans nul doute plus sur l’aide humanitaire que sur un trafic commercial régulier. La dynamique de concentration portuaire observée peut aussi être interprétée comme une tendance plus générale des pays en développement. Le modèle de Taaffe, Morril et Gould montre la prédominance d’un port unique qui, étant le mieux intégré au corridor de développement principal du pays, finit par concentrer l’essentiel des trafics maritimes tout en provoquant l’isolement voire le déclin des autres ports, moins bien connectés et devenus périphériques. La dynamique portuaire illustre bel et bien la conjonction entre le déclin industriel des villes côtières orientales et la dégradation des infrastructures de transport les reliant au reste du pays (Ducruet, Jo, 2007; Bang, 2004; Tsuji, 2005; Roussin, Ducruet, 2006; Cotton, 1996). Réseaux de transport et circulation interne Seulement 7 % des routes sont bitumées en Corée du Nord, principalement à l’ouest du pays, ce qui révèle le privilège accordé au chemin de fer, dans la tradition du modèle soviétique (fig. 6). Le réseau routier, plus ramifié, est d’un entretien coûteux et se trouve peu adapté à long terme au transport des produits des mines et de l’industrie lourde, qui sont majoritaires. Au total, 80% des produits transportés sont des matières premières ou des pondéreux, contre 20% seulement de produits finis ou semi-finis. Par ailleurs, le gouvernement limite le transport routier par camion et automobile afin de mieux contrôler les flux de circulation, de limiter les dépenses liées aux achats de véhicules et de carburant, et de protéger l’environnement: moins de 5 000 voitures sont en circulation à l’échelle nationale, dont 3 000 pour Pyongyang. On estime donc que le trafic se répartit entre le rail (70 %), la route (17%), la mer (10%), et l’air (3%) dans les années récentes. Ainsi, la voie ferrée représente le seul mode de transport en mesure de desservir les zones montagneuses centrales et septentrionales, où l’on a pu recenser de nombreux accidents de camions. Inversement, Pyongyang est au carrefour des axes autoroutiers est-ouest et nord-sud, renforçant par là sa centralité et illustrant le rôle de l’armée dans la planification des déplacements au sein du pays. Par voie de conséquence, 30% des flux de transport intérieur se font entre Nampo et Pyongyang (Tsuji, op. cit.). L’éclatement régional et la désintégration du territoire L’inégale accessibilité Avec l’aggravation des conditions de transport et le recentrage des activités autour de Pyongyang, les facteurs physiques, comme le relief et le climat, prennent une importance croissante dans l’organisation du pays (fig. 7). Par effet de barrière, les discontinuités de l’altitude et de la distance tendent à isoler les provinces les unes des autres. Ainsi, la région capitale devient incapable d’exercer son rayonnement sur les autres régions devenues périphériques, qui doivent compter sur elles-mêmes pour leur développement. En l’absence de statistiques autres que la population des villes et des provinces, il n’est malheureusement pas possible de vérifier l’impact de ce changement de fond sur les économies urbaines et régionales. La persistance d’un trafic maritime, même en des proportions réduites, dans les villes de l’Est, laisse à croire que certaines activités traditionnelles se sont maintenues dans des secteurs comme la pêche ou des industries de base qui trouvent encore des débouchés rentables à l’extérieur (métallurgie, scieries), mais leurs arrière-pays portuaires sont très limités.
En quelques années, l’accessibilité n’a progressé qu’à l’Ouest (fig. 8), laissant d’importantes zones d’ombre dans le reste du territoire. Il ne faut pas oublier le rôle de l’armée dans la définition de l’accessibilité, qui explique aisément le caractère fermé des régions du Centre-Nord et du Sud-Est pour des raisons stratégiques. Wonsan a notamment souffert, dans les années 1990, du déplacement d’une partie de ses activités industrielles dans les montagnes, au Nord, lors de la tentative de création d’un nouveau complexe militaro-industriel, qui devait pouvoir être à l’abri d’une intervention armée américaine (Jo, Adler, 2002), tandis que la frontière au Sud restait trop sensible: l’absence de traité de paix depuis la guerre de Corée (1950-1953) pèse encore aujourd’hui considérablement sur l’ouverture et le développement du pays. Flux commerciaux et coûts logistiques La prépondérance du transport continental dans le commerce international nord-coréen a pour conséquence la concentration du trafic aux frontières, nord et sud. Ainsi, on estime qu’environ 80% des exportations du pays transitent par Sinuiju pour rejoindre la Chine. Celle-ci est le premier partenaire commercial de la Corée du Nord avec 39% des échanges en 2005 (48% des exportations), contre 25 % pour la Corée du Sud et 5% pour la Russie. De même, la production de la Zone industrielle de Gaeseong ne peut être exportée directement de Corée du Nord en raison de l’embargo, et les produits semi-finis sont étiquetés en Corée du Sud, après leur passage laborieux à travers la Zone démilitarisée (DMZ) et avant leur réexpédition vers le reste du monde.
Grâce aux données récentes fournies par une société étrangère présente en Corée du Nord, on constate l’accroissement exponentiel des coûts de camionnage depuis Pyongyang vers l’Est du pays. Non seulement le coût du transport devient prohibitif, mais la distance-temps et l’état des routes rendent certaines villes, notamment du Nord et du Nord-Est, pratiquement inacessibles (fig. 9). Par exemple, le trafic entre Pyongyang et Wonsan souffre de la dégradation des tunnels autoroutiers (effondrements ponctuels) pendant les pluies de mousson. Les chauffeurs ont aussi tendance à refuser de rouler sur les routes fortement dégradées permettant de se rendre dans les villes situées plus au nord, faute de stations d’essence, de secours adéquats en cas de panne et de la dangerosité des routes (éboulis, ravins, neige en hiver, pluies torrentielles en été). Les autorités tentent bien de réparer au mieux ces voies de circulation vitales, mais bien souvent les moyens sont insuffisants. Toutes ces difficultés, tant techniques que physiques, renforcent l’autarcie de la région industrielle du Nord-Est, qui fut pourtant l’une des plus dynamiques depuis l’occupation japonaise, mais «dont les usines sont arrêtées ou tournent au ralenti» (Pons, 2004). L’enclavement de cette région explique pour beaucoup le taux de malnutrition de la population (40%), deux fois plus élevé qu’à Pyongyang: en plus du manque de terres cultivables, l’accès routier aux ressources agricoles de l’Ouest est de plus en plus difficile, deux facteurs qui combinent leurs effets catastrophiques en période de famine. Cheongjin, «qui n’a guère l’animation d’un port» (Pons, 2006) tend à se tourner vers la Chine située en théorie à deux heures de chemin de fer pour son approvisionnement, ou vers la frontière russe, pour se raccorder à la zone franche de Raseon. Les trains restent rares le long du littoral, et sont également régulièrement victimes de la vétusté des voies et de la signalisation, quand de malheureux et terribles accidents ne bloquent pas la circulation des convois durant plusieurs semaines comme cela est arrivé en 2006. Enfin, les barrages d’inspection mis en place le long des routes ou bien les restrictions de circulation la nuit sont autant de freins à une connexion rapide entre les pôles industriels, comme Pyongyang et Gaeseong qui, malgré un parcours de seulement 150 km, en plaine et sur autoroute, sont à plus de huit heures de trajet l’une de l’autre. Espaces industriels et ressources naturelles La dynamique industrielle de la Corée du Nord reflète avant tout l’écartèlement régional des projets de développement, et l’absence d’un système national encourageant la complémentarité des différents lieux. L’industrie légère favorise essentiellement Gaeseong, tourné vers la Corée du Sud, Pyongyang, tourné vers Nampo et la Chine, et la zone spéciale de Rajin-Seonbong, dénommée Raseon depuis 2000. Cette dernière reste relativement isolée malgré son intégration au projet de développement transfrontalier du fleuve Tumen lancé par les Nations Unies en 1992 (PNUD). Ce programme, qui fut le plus important projet de développement proposé par l’ONU au milieu des années 1990 (Brunet, 1997), est au point mort à cause des tensions politiques. La situation périphérique de Raseon, facteur limitant principal dénoncé de façon récurrente par la plupart des critiques, est à relativiser. C’est bien plus le faible poids accordé au secteur manufacturier par rapport au reste des investissements (banque, hôtellerie, tourisme, casino, télécommunications) qui a causé l’échec du projet, faute d’une connexion aérienne suffisante et par manque d’association fonctionnelle entre les activités économiques choisies et le port (Jo, Ducruet, 2007; Hankyoreh, 2006; Chabaud-Latour, 2006; Choe, Cho, Kwon, 2005). Cependant, Raseon ferait l’objet d’une attention chinoise croissante, illustrée par la concession des terminaux portuaires pour cinquante ans, l’amélioration du lien routier vers la ville de Hunchen, et la création d’une zone logistique à Namyang en amont afin de promouvoir le trafic de transit entre les provinces chinoises voisines, le Japon et le Pacifique. Cependant, de nombreux projets de développement envisagés ne dépassent pas le stade de l’annonce, ou sont vite interrompus (fig. 5).
Autour de Pyongyang, environ 120 entreprises chinoises auraient investi récemment, dont la Daean Friendly Glass Factory au nord de Nampo, offerte par le gouvernement chinois. L’arrivée d’entreprises françaises et européennes dans des secteurs comme les mines, la confection, l’agro-alimentaire, la pharmacie, la mécanique, l’énergie, la logistique ou la distribution, s’explique sans nul doute par l’adoption de l’euro comme monnaie d’échange internationale en 2002 par la Corée du Nord, par une législation protégeant les investissements étrangers, et par l’existence d’une main-d’oeuvre très compétitive, à l’heure où certaines sociétés commencent à remettre en question les avantages d’une localisation en Chine. Enfin, l’importance des mines, reflétée en partie par la distribution de la main-d’œuvre (fig. 10), n’est pas négligeable puisque la Corée du Nord concentre 98% du lignite et de l’anthracite, 94% du minerai de fer, 70% du zinc et 100% du minerai de magnésite de la péninsule coréenne, sans compter une large gamme de métaux non-ferreux, de métaux précieux et de roches rares. Des projets en cours à Danchon (3e plus grande mine de magnésite au monde) et à Jeongchon (graphite) attestent du potentiel énorme des régions de la côte est, même si le problème de l’exportation des matériaux ne semble pas encore résolu. Modèle spatial de l’archipel nord-coréen La synthèse proposée dans la carte-modèle montre que l’archipel se structure sous l’effet d’une force centripète et de forces centrifuges (fig. 11). La dynamique centripète émerge par la combinaison de la primauté urbaine de Pyongyang et du mouvement de population récent vers les plaines et villes de l’Ouest. Cependant, l’étendue limitée du réseau ainsi que la barrière logistique et montagneuse ne permettent pas au centre de contrôler la périphérie. Les projets de coopération et flux transfrontaliers, aux quatre coins du pays n’ont, en effet, pas de relation avec le cœur économique de la Corée du Nord, sauf pour le Nord-Ouest qui ouvre sur la Chine. Les centres urbains de l’Est du pays survivent tant bien que mal mais de façon individuelle, car l’ensemble ne forme pas un sous-système intégré.
La carte-modèle représente aussi les voisinages de l’espace nord-coréen. L’influence croissante de la Chine est sans commune mesure avec l’influence russe, confinée à quelques projets énergétiques et ferroviaires en Extrême-Orient, ou avec celle de la Corée du Sud, qui ne dépasse pas les enceintes des deux zones de Gaeseong et du Mont Geumgang. Une première couronne marque l’influence immédiate de la Chine sur Sinuiju, ville frontalière avec Dandong au nord-ouest, point stratégique des échanges internationaux nord-coréens. Une seconde couronne englobe les projets de modernisation portuaire à Rajin et à Nampo, la propagation des entreprises dans les villes majeures et la diffusion des produits chinois dans la plupart des marchés. On a bien la représentation d’un enjeu géopolitique de taille: le risque de voir se transformer la Corée du Nord en une province chinoise. Plus que jamais dans l’orbite de Pékin au niveau énergétique et commercial, Pyongyang ne peut pleinement répondre aux attentes de Séoul, le frère ennemi, avec qui les projets de coopération et la paix durable ne sont possibles que sous l’égide de Washington.
L’exemple de la Corée du Nord montre, en définitive, la coexistence de deux systèmes spatiaux distincts. D’une part, le modèle centre-périphérie, plus visible, répond à des logiques communes aux pays en développement, mais n’a pas conduit à l’hypertrophie urbaine de la capitale en raison de la persistance d’une régulation socialiste du territoire et d’un long déclin économique. D’autre part, l’existence d’un archipel régional signale plutôt l’absence d’un système intégré et le tiraillement du territoire aux périphéries, vers les partenaires les plus proches, dont la Chine est l’acteur principal. Il y a donc en Corée du Nord un lien subtil entre l’évolution de l’organisation territoriale du pays et celle de ses relations avec l’extérieur, ce qui montre bien le paradoxe entre fermeture et dépendance. Face à de telles pressions à la fois internes et externes, il est difficile de proposer des scénarios à moyen ou long terme, du moins tant que la Corée du Nord n’est pas en mesure de mener une politique globale et cohérente qui allège ses contraintes et mette à profit ses potentialités.
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