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La ville et l’urbain: des savoirs émergents

Le genre littéraire de l’hommage à un universitaire de renom est désuet. Le plus souvent, il consiste à élaborer un fort volume de «mélanges» qui donnent une pâte hagiographique indigeste. Le livre publié par les Presses polytechniques et universitaires romandes (PPUR) en l’honneur du géographe suisse Jean-Bernard Racine (né en 1940 à Neufchâtel) échappe presque complètement à la loi du genre et présente un réel intérêt intellectuel. Les deux universitaires de Lausanne qui coordonnent l’ouvrage affirment, dans une longue présentation des enjeux de cette aventure éditoriale («Des champs d’émergence»), que rendre hommage à Jean-Bernard Racine consiste à articuler des «éléments susceptibles d’esquisser, du point de vue de la géographie urbaine, des savoirs émergents» (page 13). Bel objectif.

Sont rassemblées, en près de 500 pages, les contributions d’une quarantaine d’auteurs, pour la plupart des géographes reconnus internationalement dans le champ des études urbaines. Les chapitres sont de qualité variable et n’apportent pas tous un regard neuf sur l’objet d’étude partagé qu’est la ville. Plusieurs synthèses sont cependant remarquables de clarté comme celle de Denise Pumain («Les villes et le paradigme de la complexité») ou celle d’Antoine Bailly («Questions à la géographie urbaine ?»). À lire le recueil avec un œil d’épistémologue, on observe aisément que la pensée géographique de la ville, lancée et développée par des géographes audacieux comme Jean-Bernard Racine, Roger Brunet, Paul Claval et quelques autres, dans le cadre de la «nouvelle géographie», en donnant à la ville une place privilégiée dès les années 1960, a nourri plusieurs générations de géographes jusqu’à aujourd’hui. Mesurer l’urbain et ses dynamiques grâce à des méthodes quantitatives, analyser ses structures, nécessite de concevoir l’espace comme une production sociale, de conjuguer territoire et pensée politique.

L’héritage de cette pensée reste vif face à la tentation post-moderne qui dilue souvent la réflexion géographique humaniste dans un verre trouble. De très nombreuses publications récentes consacrées à la métropolisation et à la question de la durabilité des systèmes urbains existent. Le livre se fait l’écho de quelques expériences et recherches (citons notamment «Greater London: cosmopolis ou cité des communautés ?» de Susan Ball et Petros Petsimeris). Il dresse, avant tout, un bilan, il propose aussi (d’une façon pas assez appuyée, selon moi) un regard critique et prospectif sur les savoirs relatifs à la ville et l’urbain. Lire ce livre donne envie de se replonger dans l’œuvre de Jean-Bernard Racine présentée dans une biobibliographie exhaustive de vingt pages. N’est-ce pas le meilleur hommage que l’on puisse rendre à cette figure de la géographie francophone, Prix Vautrin Lud en 1997 ?

Laurent Grison

DA CUNHA A. et MATTHEY L. La Ville et l’urbain: des savoirs émergents. Lausanne: Presses polytechniques et universitaires romandes, 496 p. ISBN: 978-2-88074-741-1. Prix: 37,45 euros