Sommaire du numéro
N° 89 (1-2008)

Épidémiologie géographique des maladies diarrhéiques à Yaoundé (Cameroun)

Blaise Nguendo Yongsi  aGérard Salem aJean-Claude Bruneau a

Nguendo Yongsi B. Université de Chicoutimi, Québec.
Salem G. Laboratoire Espace Santé Territoire. Université de Paris X
Bruneau J-C. UFR Sciences Humaines et Sciences de l’Environnement, Université de Montpellier III

Résumés  
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Introduction

1.La ville de Yaoundé

Les premiers travaux sur les diarrhées en milieu tropical ont été l’œuvre des professionnels de la santé qui ont mis l’accent sur les aspects cliniques, thérapeutiques, et/ou physiopathologiques de cet ensemble pathologique (Behrens, 1993; Buisson et al., 1985; Mata et al., 1983). Ensuite, ont suivi des études épidémiologiques qui ont permis de mettre en exergue quelques facteurs de risques associés aux diarrhées (Ekanem, 1994; Manue’bo et al., 1994; Gendrel, 1997). Comme l’attention ne s’est guère portée, au départ, sur l’interrelation entre le développement de ces pathologies et les dynamiques spatiales, nous avons voulu à la suite de quelques précurseurs (Amat-Roze, Rémy, 1984; Dorrier-Apprill, 1993; Salem, 1998) élargir la question du rapport entre l’espace et la santé, en évoquant un fait de santé (maladies diarrhéiques) visible en milieu urbain.

Actuellement, les maladies diarrhéiques inquiètent par leur caractère endémo-épidémique. Elles arrivent en troisième position parmi les maladies infectieuses les plus meurtrières dans le monde avec 2,5 millions de décès en 2004, tous âges confondus (Thapar, Sanderson, 2004). En termes d’Années de Vie Corrigées de l’Incapacité (AVCI) perdues (1), les diarrhées arrivent, toujours en 2004, en deuxième position avec 73 millions d’AVCI, derrière les infections respiratoires aiguës (83 millions d’AVCI). Selon l’Organisation mondiale de la santé (2006), la probabilité de présenter des diarrhées est de 39,1% pour un Africain au sud du Sahara, contre 7,2% dans les pays développés.

C’est ce qui justifie l’intérêt que nous portons à ces maladies, en rapport aussi avec les objectifs énoncés par l’OMS («La santé est un droit fondamental de l’être humain et une finalité sociale universelle indispensable à la satisfaction des besoins essentiels de l’homme et à la qualité de la vie, et il faut y amener tous les peuples»). Au moment où les plus pessimistes, poussés par l’échec du plan «La santé pour tous en l’an 2000» et par les ravages du VIH-sida, annoncent une catastrophe sanitaire en Afrique, une réflexion pluridisciplinaire est nécessaire. L’analyse des configurations spatiales, apport spécifique de la géographie, peut aider à une bonne compréhension de ces maladies dans les villes africaines, et donc permettre de prendre des mesures appropriées. Tel est en effet l’intérêt que nous avons voulu accorder à l’étude des maladies diarrhéiques en milieu urbain équatorial, et plus spécialement dans la ville de Yaoundé (Nguendo Yongsi, 2004). Le présent travail se focalise sur les aspects spécifiquement géographiques de la pathologie. Nous présenterons d’abord le cadre sociospatial de l’étude, en prenant soin de situer les diarrhées dans l’histoire de la santé publique. Nous décrirons ensuite les différents aspects méthodologiques de notre étude, notamment les données utilisées, les modalités de leur acquisition et de leur traitement. Enfin, à partir de nos résultats, nous dresserons une image géographique des maladies diarrhéiques dans la capitale camerounaise.

Mise en contexte

Yaoundé, une métropole d’Afrique subéquatoriale

La ville de Yaoundé se trouve en Afrique centrale, en milieu tropical, légèrement au nord de l’équateur. Plus précisément, elle est localisée entre 3°47’N et 3°56’N, et entre 11°10’E et 11°45’E (fig. 1).

Située à environ 250 km de la côte de l’océan Atlantique et à la lisière nord de la grande forêt sud-camerounaise, Yaoundé présente un relief très accidenté (fig. 2), et est soumise à un climat de type équatorial guinéen classique: précipitations régulières et abondantes (1 600 mm par an), amplitude thermique annuelle faible (2°4).

Dans le périmètre urbain actuel de Yaoundé, on trouve une végétation mixte d’arbres fruitiers et de forêt relique (fig. 3). Révélée au reste du monde par les colonisateurs allemands Kund et Tappenbeck en 1889, Yaoundé a connu une croissance rapide de sa population. Avec moins de 100 000 habitants aux premiers dénombrements de la population en 1926, la ville abrite de nos jours près de 1 500 000 âmes (Minville, 2001). Cette croissance démographique s’est naturellement accompagnée d’une forte extension spatiale, notamment dans les années récentes: on passe de 6 500 ha en 1982 à 18 000 ha actuellement. Les différents modes d’occupation du site par les citadins et l’intervention des pouvoirs publics ont contribué à donner de Yaoundé l’image d’une ville où s’opposent quartiers spontanés et quartiers organisés. La littérature médicale évoque cette structuration différenciée de l’espace, tout comme elle signale la permanence de nombreuses pathologies infectieuses et parasitaires, au rang desquelles les maladies diarrhéiques.

Les maladies diarrhéiques: un ensemble pathologique cosmopolite

2. Les altitudes du site de Yaoundé

Les maladies diarrhéiques sont connues depuis très longtemps (Gallien, 1854). Vers le milieu du XVIIe siècle, elles sont nommées maladies «humoristes», et sont classées dans la catégorie des maladies des intestins, au même titre que l’obstruction intestinale et la dysenterie (Cocheton et al., 1987). Elles ont durablement marqué tout le XVIIIe siècle, tant par les souffrances engendrées que par les dramatiques épidémies occasionnées, notamment au sein des armées où les conditions hygiéno-diététiques étaient généralement précaires (Dufour, 1814). Ainsi, alors que les agents responsables des diarrhées ne sont pas encore découverts et que leur caractère infectieux n’est pas correctement établi, les diarrhées sont déjà associées à l’insalubrité du milieu de vie. Cette compréhension somme toute judicieuse des faits oriente les médecins certes vers la prescription de thérapies curatives, mais davantage vers une stricte observance de règles d’hygiène de vie individuelles et collectives. Ceci va contribuer au recul de la pathologie, du moins dans le monde occidental où elle a été décrite en premier lieu. Toutefois, elles vont rester endémiques dans les pays en développement (PED), et ce depuis les premières descriptions de Nielly en 1881. Bien que les informations concernant leur incidence et leur prévalence soient parfois imprécises, les diarrhées ont toujours été décrites dans ces pays comme un des plus grands fléaux touchant les jeunes enfants (Snyder, Merson, 1982). Les statistiques en font une forte cause de mortalité entre la date de sevrage et l’âge de 5 ans (Imbert, 2001). Si la morbidité est réelle sous toutes les latitudes, la létalité concerne presque exclusivement les PED, où un enfant présente en moyenne 3 à 9 épisodes diarrhéiques par an, et où cette pathologie constitue le premier motif d’hospitalisation en milieu pédiatrique (Moyenuddin, Rahman, 1985; Bercion et al., 1994; Mashako, 1986). Il en est ainsi du Cameroun, où la littérature médicale rapporte que les maladies diarrhéiques sont la première cause de morbidité et de mortalité infantiles (Keuzeta, Merlin, 1988). C’est fort de ce constat que nous avons entrepris ce travail dont l’objectif est double: déterminer la prévalence réelle de la pathologie dans la capitale camerounaise, et y dresser le profil spatial de cette maladie.

Matériel et méthodes

Les informations qui sont présentées ici proviennent d’une étude interdisciplinaire, menée à Yaoundé en 2002, par l’unité de recherche Populations et espaces à risques sanitaires (PERSAN) de l’Institut de recherches pour le développement (IRD), en collaboration avec le Centre Pasteur du Cameroun (CPC). Il s’agissait d’une étude épidémiologique transversale qui avait, entre autres buts, celui d’objectiver les facteurs de risques de diarrhée dans la ville. Bien que notre base de sondage ait été composée de tous les quartiers et ménages de la ville, nous avions procédé à un sondage stratifié à deux degrés, que des considérations d’ordre matériel et temporel justifiaient en grande partie. Dans un premier temps, nous avons choisi 20 quartiers représentatifs des 105 que compte la ville. Afin d’avoir une taille d’échantillon suffisante pour la validation scientifique de nos résultats, nous y avons ensuite sélectionné 3 034 ménages sur un total de 7 000 ménages. Chaque ménage devait comporter en son sein un enfant de moins de cinq ans, notre population cible étant les enfants dont l’âge était compris entre 6 et 59 mois. Coordonnée par nos soins, cette étude a été réalisée par des équipes de médecins en fin de formation à la Faculté de médecine et des sciences biomédicales de l’Université de Yaoundé I et par des enquêteurs attitrés de l’Institut de formation et de recherche démographiques (IFORD) de Yaoundé. Après plusieurs jours de stage théorique et pratique, ces équipes ont visité les ménages sélectionnés pour recueillir, à l’aide de questionnaires standardisés, les données relatives aux deux volets de ce travail.

Le volet environnemental visait à apprécier le cadre et les conditions de vie domestiques et péri-domestiques des ménages, afin de relever les indices spatiaux permettant de comprendre les disparités des diarrhées dans la ville. Le questionnaire comprenait 30 entrées, regroupées en 5 items:

  • espace de jeu de l’enfant et aspect extérieur du logement (éléments d’une exposition de l’enfant à la contamination par voie tellurique;
  • mode de stockage de l’eau de boisson;
  • salubrité de la parcelle et cohabitation avec les animaux domestiques dont on sait que certains sont vecteurs de parasites;
  • pratiques dans la cuisine (comportement sanitaire des ménages du point de vue alimentaire)
  • toilettes ou W.C. (présence ou non de toilettes, type, distance de celles-ci par rapport à l’habitation), facteur intéressant pour comprendre les variations des niveaux de diarrhées liées à l’évacuation des matières fécales dans la cité.

Le volet médical, approuvé par le Comité national d’éthique du Cameroun, concernait uniquement l’enfant de moins de 5 ans présent au sein du ménage. En plus des antécédents médicaux, il visait principalement à détecter les diarrhées. Lorsqu’une diarrhée était déclarée lors du passage des médecins de l’équipe, ou mentionnée pour les 15 jours précédents, un échantillon de selles était prélevé et acheminé vers les laboratoires de bactériologie, de virologie et de parasitologie du Centre Pasteur, pour confirmation (2) et identification des germes en cause.

3. Vue du secteur nord-ouest de Yaoundé, avec en premier plan des arbres fruitiers disséminés entre les habitations et en arrière-plan des restes de forêts sur les sommets des collines

Une fois les résultats des différentes analyses médicales obtenus, chaque cas d’échantillon de selles confirmé comme positif a été mis en relation avec les données sociodémographiques du ménage (3) auquel l’enfant appartenait, ainsi qu’avec les caractéristiques de son environnement. Les fichiers de données ainsi constitués ont été intégrés dans un système d’information géographique (4).

Résultats et commentaires

Un niveau de prévalence somme toute élevé pour une métropole

Parmi les 3 034 enfants de notre échantillon qui ont fait l’objet de l’enquête médicale, nous avons relevé 437 enfants touchés par l’affection diarrhéique (tabl. 1a), avec une prévalence plus marquée chez les garçons (tabl. 1b). Soit, pour 2002, une prévalence de 14,4%. Comparé à celui relevé pour l’ensemble du pays (18,9%), et a fortiori à celui du milieu rural (19,7%), ce taux de 14,4% peut paraître modéré, mais dans le contexte de Yaoundé il reste élevé. On constate en effet que l’avantage urbain n’a que très peu joué pour ce type de pathologie (5). C’est que, depuis quelques décennies, les agglomérations urbaines d’Afrique subsaharienne posent de sérieux problèmes épidémiologiques d’un genre nouveau (Bruneau, 1990; Gateff, Lebras, 1982; Vennetier, 1991). Des pathologies, jusque-là considérées comme caractéristiques des zones rurales, trouvent désormais en ville des conditions favorables à leur développement. Une bonne partie de ce problème relève des mécanismes et caractères spécifiques de l’urbanisation de ces villes (6), qui en font des milieux «hétérogènes, denses et ouverts» (Salem, 1999) où l’épidémiologie de nombreuses maladies se trouve modifiée du fait de facteurs comme la densité de population, la promiscuité, la pauvreté, la présence de certains traits naturels, etc.

Image géographique des diarrhées: une inégale répartition spatiale des maladies diarrhéiques dans la ville

La prévalence diarrhéique de 14,4% calculée pour Yaoundé est une moyenne des 20 quartiers enquêtés. En fait, les taux de prévalence varient fortement d’un quartier à l’autre (tabl. 2). La figure 4 montre cette inégale prévalence, ce qui met en évidence le caractère hétérogène de la ville. On voit aussi qu’à Yaoundé il n’y a pas de séparation nette entre les quartiers réguliers et les quartiers irréguliers, tellement ils sont imbriqués les uns dans les autres.

4. Prévalence des diarrhées dans les quartiers enquêtés

Cette figure ne permet malheureusement pas d’avoir une image complète de la distribution des diarrhées dans la ville, et de ce fait d’appréhender les discontinuités spatiales — alors que cela est identifié classiquement comme l’un des enjeux de la géographie (Pumain, Saint-Julien, 1997) —, afin notamment de mettre en lumière, pour les géographes de la santé, les inégalités entre territoires (Nguendo Yongsi, 2006; McGlashan, Bkunde, 1983). Comment alors présenter une vision globale de la distribution de ces maladies diarrhéiques alors que notre échantillon, bien que représentatif, était spatialement partiel?

À l’instar d’autres phénomènes, biologiques ou non biologiques, les maladies constituent des modèles de distribution spatiale susceptibles d’être analysés par le géographe. Les cartes reflétant cette distribution sont souvent sujettes à controverse du fait de l’incertitude des statistiques sanitaires, notamment dans les pays en développement. L’interprétation en est encore plus difficile lorsque la maladie dont on veut appréhender la répartition appartient à un ensemble pathologique dont les causes, c’est-à-dire les facteurs de risque, sont aussi nombreuses que variées. C’est pourquoi il est recommandé «d’adopter l’approche écologique et de considérer les maladies comme le résultat d’interactions entre organismes évoluant dans des conditions environnementales, spatiales et temporelles spécifiques» (Curto, 1990). Lorsque l’objectif de la représentation (carte) est de montrer le lien de causalité entre le phénomène de santé et le facteur de risque suspecté, la distribution géographique peut être analysée en fonction de ce facteur (Donald et al., 2000). Mais dans le cas du présent travail, dont le but est de dégager les grandes configurations spatiales de la maladie, l’approche retenue pour caractériser les sous-espaces urbains se fonde sur le critère général de l’organisation spatiale des quartiers enquêtés. Ce critère général comprend deux éléments principaux: le mode d’installation des populations (occupation du sol) et la date de création du quartier. La prise en compte de ces deux critères a permis d’élaborer la figure 5 qui présente les quatre types de quartiers urbains et dont les éléments de compréhension sont donnés dans le tableau 3.

5. Typologie des quartiers de Yaoundé, selon le mode d’occupation du sol et la date de création du quartier

Pour cette présentation de la répartition générale des diarrhées dans l’espace urbain de Yaoundé, nous avons attribué aux quartiers non enquêtés les prévalences moyennes pondérées obtenues dans les quartiers où nous avons mené des enquêtes médicales. Cette extrapolation s’est faite sur la base des similitudes observées entre les quartiers, notamment au niveau des deux éléments retenus ci-dessus (7). Le choix de la moyenne pondérée se justifie par le fait que les effectifs des ménages enquêtés varient d’un quartier à un autre (Tomlin, 1990). Pour calculer cette moyenne pondérée, nous avons développé la formule suivante:

Sn 1 = (x1 *a1) + (x2 *a2) + (x3 *a3) +… + (xn *an)

S = moyenne pondérée
x1 = prévalence diarrhéique dans le premier quartier du groupe considéré
x2 = prévalence diarrhéique dans le deuxième quartier du même groupe
x3 = prévalence diarrhéique dans le troisième quartier du même groupe, etc.
a = poids du quartier enquêté dans le groupe dont il fait partie
n = nombre de quartiers considérés dans le ne quartier du groupe

Cette approche a ainsi permis l’élaboration de la figure 6 qui montre à l’échelle des quartiers une forte hétérogénéité dans la distribution spatiale des diarrhées dans la ville. Pour répondre à un souci de santé publique, dont les préoccupations sont de disposer de données agrégées à des fins d’intervention ciblée, nous avons opté pour une méthode de discrétisation qui met en évidence les secteurs marqués par une sous- ou une surreprésentation des maladies diarrhéiques à l’échelle de l’agglomération dans son ensemble (8). Ainsi, par rapport au taux moyen urbain qui est de 14,4%, on distingue deux types de secteurs.

6. Distribution estimée des diarrhées à Yaoundé

a) Les secteurs de forte prévalence des maladies diarrhéiques sont les secteurs de la ville où les taux de prévalence sont significativement supérieurs au taux moyen urbain. Ils sont assez disséminés dans l’espace urbain, car il n’est aucun sous-espace qui ne renferme son secteur de forte prévalence. Trois grands groupes s’individualisent dans l’espace:

  • le groupe septentrional inclut, d’une part, les quartiers relativement récents et spontanés d’Emana, Mballa III, Okolo, et, d’autre part, légèrement vers le nord-est, des quartiers relativement récents et structurés (Ngousso), ou non structurés comme Mvog Ebanda et Momenbelengal;
  • le groupe central inclut le plus grand nombre de quartiers aux prévalences élevées. Il y a Mvog Ada, Etam Bafia et Ayene, quartiers spontanés anciens connus pour leur caractère populeux et pour l’insuffisance et l’obsolescence de leurs équipements socio-urbains; mais aussi Briqueterie et Tsinga-Elobi, un peu au nord-ouest, et, dans une moindre mesure, Ndamvout, Ekounou I et Nkomo, qui présentent des densités de populations moyennes mais qui souffrent eux aussi d’un manque d’infrastructures
  • le groupe méridional comprend à la fois des quartiers spontanés récents peuplés d’allochtones (Nkolzié, Eba), ou d’autochtones (Nsimeyong II, Nsam, Nkolkié, Messamendongo). Les habitants s’y distinguent par une consommation quasi quotidienne d’eau des puits et de source, et par une gestion peu hygiénique des ordures ménagères et des eaux usées, facteurs de contamination bactérienne et parasitaire. De fait, ces trois groupes constituent des espaces extrêmement pathogènes car s’y conjuguent —- notamment dans les bas-fonds marécageux habités —- l’insalubrité, l’entassement et la promiscuité.

b) Les secteurs de prévalence moyenne des maladies diarrhéiques sont les plus nombreux dans l’espace urbain. Sur notre carte, ils correspondent aux zones où les taux de prévalence ne sont pas significativement différents du taux moyen urbain. Ils s’organisent en trois grappes autour du centre ville:

  • au nord, la grappe forme une espèce de croix avec les quartiers d’Etoudi, Mballa I, Mballa IV et Etoa Meki. Il s’agit de quartiers spontanés récents très cosmopolites du point de vue de l’origine ethnique de leurs populations, mais qui, dans l’ensemble, sont très peu équipés en voies et réseaux divers;
  • à l’ouest, se trouve la plus grande concentration de ces quartiers, qui affectent la forme d’un «t». Le trait vertical correspond à Messa Carrières, Mokolo, Madagascar, Obili, Etoug Ebé, et Ngoa Ekellé dans la base incurvée. Quant au trait horizontal, il correspond à Oyom Abang, Melen et Elig Effa. Cette grappe est véritablement homogène puisqu’elle ne renferme que des quartiers irréguliers, très pauvres en équipements urbains de base, tant il est vrai que certains sont plus anciens que d’autres;
  • à l’est, on a une grappe d’apparence compacte, mais qui est la moins étendue. À la différence des deux autres, elle renferme à la fois les quartiers spontanés faiblement équipés d’Emombo et d’Ekounou II et les quartiers structurés, dotés de réseaux sommaires et mal entretenus, comme Essos, Mimboman Plateau, Nkolndongo 2.

c) Les secteurs de faible prévalence des maladies diarrhéiques correspondent aux secteurs urbains où les taux de prévalence sont significativement inférieurs au taux moyen. À l’exception du quartier du Lac et du Quartier général des forces armées, ils se trouvent dans les périphéries. Sur le plan de l’occupation du sol, on y trouve aussi bien des quartiers planifiés et aménagés comme Bastos, Nkol Ebogo, la Cité verte, ou Biyem Assi, que des quartiers spontanés récents comme Nkolmesseng, Biteng, Bitotol, Ahala, Awaé Mvog Manga, ou Mendong-village. Deux facteurs peuvent expliquer ici cette faible prévalence des diarrhées: la faible densité démographique partout, et la présence d’équipe­ments urbains de base dans les quartiers planifiés.

Conclusion

L’étude géographique des maladies diarrhéiques à Yaoundé présente, à l’échelle réduite du quartier, les nombreux aspects de la croissance des villes africaines au sud du Sahara, leurs relations avec la pathologie, et leurs conséquences sur le niveau de santé des citadins. La littérature médicale lie en effet l’endémicité de cette pathologie à la médiocrité du cadre et des conditions de vie des populations, aussi bien en ville qu’à la campagne.
Nous avons voulu montrer que les secteurs urbains (quartiers) ne sont pas tous intensément soumis aux mêmes niveaux de risques de diarrhées. Les figures 2 et 5 montrent que ces niveaux varient, traduisant ainsi le caractère différencié de l’urbanisation de la ville. En effet, l’occupation anarchique du sol par les citadins et l’intervention des pouvoirs publics ont contribué à donner de Yaoundé l’image grossie d’une ville au tissu urbain double: les quartiers spontanés et les quartiers organisés. Les premiers en 2002, occupaient près de 80% de l’espace urbain total et accueillaient plus de 60% de toute la population urbaine (Nguendo et al., 2007). Dans l’ensemble, ce sont des espaces mal structurés et sous-équipés dans lesquels les taux de prévalence sont les plus forts. Quant aux seconds (quartiers organisés), la faible densité d’occupation du sol fait que les habitations sont constituées d’immeubles ou de villas cossues; le niveau d’équipement en eau, électricité et en réseau d’évacuation des eaux usées y est satisfaisant (Zo’o Eyindanga, 1992): toutes conditions qui dénotent un cadre de vie salubre et donc hostile au développement des microorganismes à l’origine des diarrhées.

Les risques sanitaires auxquels est confrontée la population de Yaoundé dans son ensemble sont nombreux et variés, et ressortent essentiellement des processus sociaux et environnementaux. Le recours à l’analyse multivariée, notamment au modèle de régression logistique, a mis en évidence les principaux facteurs de risques.

Les caractéristiques individuelles des ménages sont le facteur de risque le plus grand. En effet, le niveau de vie est le déterminant le plus associé aux diarrhées; ensuite vient le niveau de scolarisation des parents, en l’occurrence celui de la mère.

L’assainissement vient ensuite: l’incidence de maladies diarrhéiques est liée aux comportements individuels (stockage des ordures ménagères, évacuation des matières fécales) et collectifs (évacuation des déchets solides et liquides du ménage) peu propices à la sauvegarde du bien-être physique des enfants.

La nature du site urbain sur lequel la parcelle a été aménagée vient en troisième position des facteurs de risques de diarrhées dans la ville. C’est avec la modalité «plateaux» que la liaison «exposition et diarrhée» a été la plus forte.

La source d’approvisionnement en eau a été le quatrième facteur statistiquement significatif. Le rapport des risques ici a été plus fort avec les points d’eau traditionnels (puits, rivières, sources).

De tout ceci, il ressort que les problèmes de santé à Yaoundé relèvent moins d’une problématique médicale que d’une problématique sociale, notamment de gestion urbaine. En effet, les problèmes liés à la gestion de la ville sont multiformes, et se situent à différents niveaux:

  • institutionnel: on note une multiplicité de structures et d’acteurs aux compétences floues et ambiguës, ce qui se traduit sur le terrain par des situations de conflits et de rejet mutuel de responsabilités;
  • financier: la ville souffre de l’étroitesse de l’assiette fiscale et du principe de l’unicité des caisses, c’est-à-dire que la ville ne dispose pas de trésorerie propre. Celle-ci est liée à celle du pouvoir central;
  • technique: les quelques services prestés souffrent de la non-maîtrise des techniques appropriées et de l’absence de normes
  • gouvernance: le manque de moyens financiers, humains et en matériel approprié est très souvent évoqué par les autorités. Il convient d’ajouter les détournements des fonds affectés et le manque de visibilité dans la priorisation des actions à entreprendre. Les gros investissements consentis dans l’achat de luxueux véhicules de service et d’autres actions d’éclat à l’occasion de manifestations politiques montrent bien que la gestion de la ville n’est pas véritablement une priorité. Autant de contraintes qui expliquent les dysfonctionnements et la gestion approximative de la ville; ce qui se traduit sur le plan sanitaire par les inégalités spatiales de maladies infectieuses comme les diarrhées.

Remerciements

Nous voulons témoigner notre gratitude envers:

  • L’IRD, pour l’initiative de ce programme et le soutien financier apporté pour sa réalisation.
  • Le Centre Pasteur du Cameroun, pour l’appui logistique et matériel mis à notre disposition.
  • M. Arnaud Ndzana, Directeur des services techniques à la Communauté urbaine de Yaoundé, pour avoir gentiment mis à notre disposition, le fichier numérisé polyvalent de la ville de Yaoundé.

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Notes

1. Les AVCI équivalent à la somme des années de vie perdues (AVP) à cause de la maladie et des années vécues avec une incapacité (AVI). D’après le Glossaire de l’Agence de la santé publique du Canada.

2. Afin d’éviter la confusion entre d’éventuelles selles liquides manifestant une allergie à un aliment ou à un médicament quelconque et des selles proprement diarrhéiques, des examens macroscopique et microscopique étaient faits sur chaque échantillon prélevé, ceci pour s’assurer que le diagnostic établi correspondait bien à notre définition opérationnelle de la diarrhée, à savoir: émission en trop grande quantité de selles liquides, molles ou pâteuses depuis 3 à 5 jours consécutifs, accompagnée de colique, ténesme et fièvre.

3. Le volet sociodémographique comprenait un grand nombre de variables. À travers les 63 questions, il s’agissait d’obtenir des informations sur (i) les caractéristiques des membres du ménage (taille des ménages et, accessoirement, taux d’occupation des logements), (ii) les personnes responsables de l’enfant index, dans le but de vérifier leur implication dans la survenue des diarrhées, (iii) les conditions de vie du ménage (propriété du logement, nombre de pièces à coucher dans le logement, provenance de l’eau consommée, gestion des déchets ménagers), (iv) enfin le quartier du ménage enquêté (caractéristiques topographiques, type de lotissement et d’occupation du sol).

4. Chaîne logicielle: Epi info3 (enregistrement des données brutes, vérification et validation des informations collectées), SPSS 10.0 (analyse statistique et tabulation), et Arc Info 8.2 (modélisation spatiale).

5. On a toujours pensé que les villes, du fait qu’elles concentrent l’essentiel des infrastructures d’encadrement, offraient de bonnes conditions socio-économiques et sanitaires à leurs populations. L’étude menée en 1990 à Lubumbashi par J.-C. Bruneau ne confirme pas ce postulat (Bruneau, 1990).

6. De nombreux auteurs s’accordent à reconnaître que l’urbanisation rapide et soutenue a été à la fin du siècle dernier, un des événements majeurs de l’Afrique. Rurale à près de 80% dans les années 1960, l’Afrique était urbanisée à 31,5% en 1995. Avec un taux moyen annuel de croissance de 5% en 1995, on estimait à 34,3% le taux d’urbanisation de l’Afrique en 2000 (Vennetier, 1991). Au regard de ces niveaux et tendances, on peut penser qu’actuellement l’Afrique est urbanisée à près de 37,5% (Mainet, Mainet-Valleix, 2003). Ces auteurs, tout en relevant le caractère ample et anarchique de cette urbanisation, soulignent également les changements qui accompagnent cette évolution, notamment dans le domaine de la démographie et de ses conséquences sur l’état de santé des populations. C’est ainsi que dans la plupart de ces pays, on observe une corrélation négative dans le temps entre la proportion de la population urbaine et les niveaux de mortalité et de morbidité.

7. Pour mieux comprendre la démarche, prenons l’exemple du quartier Nsam qui a fait l’objet des enquêtes médicales et socio-environnementales. Les quartiers non retenus pour les analyses médicales auprès des enfants, et qui du point de vue des deux éléments constitutifs de notre critère général présentaient les mêmes caractéristiques que Nsam, se sont vu attribuer le taux de prévalence de diarrhée qui y a été relevé. C’est le cas des quartiers comme Oyom Abang, Messamendongo, Simbock. Voir quartier type B, tableau 3.

8. La méthode de discrétisation choisie est celle de la comparaison avec la valeur standard (taux de prévalence moyen) dont l’objectif est de donner un aperçu à grands traits de la répartition spatiale des diarrhées dans la ville.